On le sait aujourd’hui : les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont menti sur les raisons du déclenchement de la guerre en Irak qui a fait des centaines de milliers de morts et de blessés. Les deux pays ont également appartenu à des coalitions militaires en Afghanistan, en Irak et en Syrie, responsables de nombreux actes de torture et d’autres crimes de guerre. Pour avoir révélé au public une part de ces exactions, Julian Assange et Chelsea Manning sont persécutés.
Condamnée à trente-cinq ans de prison en 2013, une peine commuée à sept ans sur décision de Barack Obama, Chelsea Manning continue d’être harcelée par la justice américaine, qui l’a de nouveau emprisonnée plusieurs mois parce qu’elle avait refusé de témoigner contre le fondateur de Wikileaks. Le sort de Julian Assange est encore plus préoccupant : maintenu à l’isolement et dans un état de santé alarmant, le journaliste attend dans une prison de haute sécurité près de Londres qu’une demande d’extradition formulée par les Etats-Unis soit examinée le 25 février 2020.
Julian Assange fait aujourd’hui l’objet de tortures psychologiques et de sanctions d’une rare violence. De l’aveu même de Craig Murray, ancien ambassadeur britannique, et de Nils Melzer, actuel rapporteur des Nations unies sur la torture, sa vie est à présent en danger : il y a urgence.
Poursuites inconstitutionnelles
Les charges qui pèsent sur lui aux Etats-Unis sont très lourdes : s’il n’est pas considéré comme un prisonnier politique, le journaliste y sera transféré et encourt jusqu’à 175 ans de prison. Que lui reproche la justice américaine ? Des faits de conspirations, hacking et espionnage, après que Wikileaks eut révélé en 2010 des documents fuités par un soldat, Bradley Manning (Chelsea Manning aujourd’hui) témoignant des exactions de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Le journaliste est ainsi accusé d’avoir « partagé l’objectif commun de subvertir les restrictions légales sur des informations classifiées et de les disséminer publiquement ».
Les motifs d’inculpation inquiètent un certain nombre d’organes de presse et d’organisations de défense des droits humains, telle que l’American Civil Liberties Union (ACLU), qui estime que les poursuites contre Manning sont inconstitutionnelles et s’alarme de la jurisprudence que ces poursuites pourraient entraîner. Ce sont en effet des journaux de réputation internationale qui ont traité et publié ces informations, et c’est le droit d’informer qui est ici gravement mis en cause, non par une dictature mais par des Etats démocratiques adoptant les méthodes des régimes autoritaires.
Dans l’attente de l’examen de la demande formulée par les Etats-Unis, Julian Assange est officiellement détenu en Grande Bretagne pour avoir rompu les conditions de sa liberté conditionnelle : en 2012, il s’était réfugié à l’ambassade d’Equateur à Londres pour éviter l’extradition alors qu’il était poursuivi pour agressions sexuelles par la justice suédoise. Bien que ces poursuites aient été abandonnées – jetant au passage le discrédit sur une personne pourtant disposée à répondre à la justice suédoise sous condition de ne pas être extradé –, Assange est maintenu en détention.
Aujourd’hui, Julian Assange ne profite pas d’un élan de soutien à la hauteur de l’indignation soulevée par les révélations de Wikileaks avec l’aide de Chelsea Manning. Il est même tenu à distance par les ONG et des organes de presse : attitude qui trouve sans doute son origine dans le rôle présumé de son fondateur dans la défaite d’Hillary Clinton à l’élection présidentielle états-unienne de 2016, dans sa proximité supposée avec le pouvoir russe ou dans l’enquête judiciaire dont il a fait l’objet.
Une vie broyée
Pourtant, il ne s’agit pas ici de juger la personnalité d’Assange ou la « dérive » que certains perçoivent chez Wikileaks, mais de constater que pour avoir mis au jour des crimes de guerre et des milliers de rapports militaires concernant les exactions, actes de torture, enlèvements et disparitions pour lesquels la responsabilité des Etats-Unis est engagée, la vie de Julian Assange se trouve aujourd’hui broyée.
Parce que nous sommes médecins et parce que la vie de Julian Assange est en danger – pour le seul fait d’avoir révélé des tueries –, nous nous associons à l’initiative internationale des 60 médecins qui demandent que Julian Assange puisse recevoir d’urgence les soins dont il a besoin dans un hôpital doté de personnels qualifiés.
Médecins sans frontières est aussi le témoin direct et indirect de massacres et d’exactions commis par des Etats qui ont le pouvoir de les taire ou d’en imposer le récit. En Afghanistan par exemple, les Etats-Unis ont nié – en dépit des évidences – avoir délibérément bombardé notre hôpital de Kunduz, provoquant la mort de 42 personnes en octobre 2015.
En tant que membres de MSF, inquiets pour ceux qui mettent au jour des crimes de guerre et qui en payent le prix fort, parce que le fondateur de Wikileaks est aujourd’hui isolé et abandonné à son sort et par solidarité avec les lanceurs d’alerte, nous appelons à la mobilisation du public et demandons la libération inconditionnelle et immédiate de Julian Assange et de Chelsea Manning, prisonniers politiques et victimes de la vengeance d’Etat.
Jean-Hervé Bradol (Ancien président de Médecins sans frontières) et Rony Brauman (Ancien président de Médecins sans frontières)