Introduction : Corbyn trébuche sur le Brexit
Stathis Kouvélakis
En ce terrible été 2015, le succès inattendu de Jeremy Corbyn, élu à la tête d’un parti dont il fut pendant plusieurs décennies une figure isolée, courageusement et stoïquement campé sur une aile gauche marginalisée, fut l’un des rares rayons de soleil pour la gauche européenne frappée au cœur par la capitulation de Tsipras et de son gouvernement face à la Troïka. L’émergence de Corbyn et de Sanders, ou plus exactement, celle des forces qui leur ont permis de quitter les marges de la vie politique dans lesquelles ils furent longtemps cantonnés, ont été sans doute le seul signe d’espoir pour la gauche des pays occidentaux au cours des années qui sont suivi. C’est pourquoi l’échec des travaillistes sous Corbyn revêt, pour la gauche radicale et anticapitaliste des pays occidentaux, une tout autre signification que n’importe quel échec passé de ce même parti ou de ce type de forces politiques.
La perte des bastions historiques du travaillisme
La carte que dessinent les résultats électoraux du 12 décembre est dépourvue d’ambigüité. La fameux « mur rouge », à savoir les bastions travaillistes historiques du Nord de l’Angleterre et des Midlands, l’ancien cœur industriel du pays ravagé par des décennies de néolibéralisme et de domination du capitalisme financiarisé, a cédé et s’est, pour une large part, tourné vers les conservateurs. Des sièges détenus depuis les années 1930 par le parti créé au début du siècle par Keir Hardie et les syndicats, au cœur des communautés minières et ouvrières, passent entre les mains des conservateurs, héritiers et continuateurs du camp monarchiste et de l’ordre impérial et aristocratique. Au cœur de ce basculement totalement inédit dans l’histoire du pays, la question du Brexit, qui domine l’agenda politique depuis le référendum de juin 2016.
La plupart de ces circonscriptions s’étaient en effet prononcées dans de larges proportions en faveur du Brexit, y compris d’ailleurs, n’en déplaise aux amateurs de clichés, celles qui comptent en leur sein d’importantes communautés issues de l’immigration ouvrière postcoloniale. Lors du scrutin de 2017, les travaillistes, bien qu’ayant fait campagne en 2016 faveur du maintien dans l’Union européenne (UE) [position du Remain], avaient réussi à les garder dans leur giron en adoptant une position de respect du résultat du référendum. Corbyn avait même insisté sur le fait que la sortie de l’UE rendait plus aisée la mise en œuvre de parties essentielles de son programme comme la nationalisation intégrale des chemins de fer et la reconstitution d’un monopole public de fourniture d’électricité. Or, au cours des deux années qui sont suivi, soumis à une pression croissante des partisans du Remain à l’intérieur de son parti aussi bien qu’à l’extérieur, Corbyn a dû accepter, à contrecœur, de modifier la position du parti dans le sens du Remain. Lors de ce scrutin, le Labour s’engageait à renégocier l’accord de Brexit conclu entre Boris Johnson et l’UE et à soumettre ce nouvel accord à un référendum qui devrait également inclure l’option du Remain. Même si Corbyn se disait « neutre » quant aux options soumises à un tel référendum, se plaçant dans une position à vrai dire illisible (comment peut-on ne pas vouloir défendre un accord qu’on a soi-même renégocié ?), la quasi-totalité des dirigeants et la plupart des élus du parti s’étaient d’ores engagés en faveur du Remain, y compris John McDonnell, le bras droit de Corbyn en charge de la politique économique au sein du « cabinet fantôme » travailliste, qui avait mis tout son poids pour faire adopter la position d’un second référendum (incluant l’option du Remain) lors du congrès du parti [1].
Comme c’était prévisible, l’électorat, et en particulier celui des classes populaires des régions déshéritées qui ont largement soutenu le Brexit, a sanctionné cette volonté à peine masquée de renverser le résultat du référendum de 2016. Celle-ci est apparue comme ce qu’elle est, à savoir un déni de démocratie. Le Labour à direction corbyniste s’est laissé emporter par le discours porté par le mépris de classe des élites et des classes moyennes « libérales » vis-à-vis de plébéiens ignares, supposément motivés par leurs seuls vils instincts xénophobes et racistes. Outre les travaillistes, les Libéraux-Démocrates, qui se sont posés en zélotes du Remain, en proposant d’annuler purement et simplement la demande de sortie de l’UE sans même passer par un second référendum, en ont également fait les frais. Leurs espoirs de victoire – leur leader Jo Swinson a ouvert la campagne en se présentant comme la future première ministre – ont vite été douchés et ramenés à un modeste gain en pourcentage de quatre points et d’un seul siège au parlement, Jo Swinson échouant même à se faire réélire dans sa circonscription. Quant aux travaillistes, sur un solde négatif de soixante sièges, ils en perdent quarante-trois dans leurs bastions traditionnels du Nord et des Midlands et reculent globalement de près de huit points, passant de 40% à 32,2% des voix. Une partie de ces pertes est certes compensée par un apport de voix venant des classes moyennes pro-Remain : le parti gagne ainsi 27% des élect.eur.rice.s Libéraux-Démocrates de 2017, et même 8% des pro-Remain conservateurs de 2017, ce qui explique pourquoi, alors que s’écroule le « mur rouge » des anciens bastions ouvriers, il gagne des sièges dans des circonscriptions de classes moyennes comme Putney ou Canterbury [2]. Mais, au bout du compte, la défection d’une partie substantielle du cœur de l’électorat historique s’est révélée fatale, comme le veut une « loi » bien connue des experts en sociologie électorale.
Une sociologie électorale inédite
Il ne fait aucun doute que c’est le Brexit qui a permis aux conservateurs de remporter ce scrutin grâce à une configuration électorale inédite, à savoir en vampirisant une partie de la base électorale ouvrière et populaire historique des travaillistes. Le pari n’était pas gagné d’avance. En effet, les Tories devancent désormais les travaillistes avec plus de 11 points (contre à peine 2,4% en 2017) en progressant de seulement 300 000 voix – et de 1,4% en pourcentage par rapport au scrutin précédent. Mais les déplacements importants se sont opérés au sein même de leur électorat. Car la radicalisation des conservateurs, sous la houlette de Boris Johnson, en parti pro-Brexit n’a pas fait que des heureux. Les Tories ont ainsi subi des pertes significatives parmi leur électorat de 2017, dont un peu moins d’un tiers avait voté en faveur du maintien dans l’UE lors du référendum de 2016. Or, un tiers de ces élect.eur.rices.s Tories pro-Remain ont fait à présent défection, pour l’essentiel vers les Libéraux-Démocrates (21%), et même, pour 8% d’entre elles et eux, vers les travaillistes. Ces pertes ont toutefois été largement compensées par l’apport d’élect.eur.rices.s travaillistes pro-Brexit, ou, de façon encore plus significative, mais complètement passée sous silence par le discours dominant, par des élect.eur.rices.s pro-Remain mais qui ont rejeté la remise en cause du résultat du référendum de 2016. En effet, contrairement à ce que les médias et les campagnes pro-Remain n’ont cessé de répéter, les rangs de ce dernier groupe se sont révélés bien plus fournis que celui des élect.eur.rices.s pro-Brexit de 2016 qui ont basculé vers le camp du Remain (13% vs. 5%, respectivement, dans l’ensemble de l’électorat britannique). Les conservateurs ont pu ainsi attirer 25% des élect.eur.rices.s travaillistes pro-Brexit de 2017 mais aussi 18% de l’ensemble des élect.eur.rices.s ayant voté Remain en 2017 mais qui tenaient à ce que le résultat du référendum soit respecté et mis en œuvre.
Le tableau devient encore plus saisissant si on passe à l’analyse du vote par catégorie sociale. Selon la nomenclature de la stratification sociale britannique, les conservateurs devancent désormais les travaillistes de 6 et de 20 points dans les catégories du bas de l’échelle, soit, respectivement, dans les catégories DE (chômeurs, travailleurs manuels qualifiés et semi-qualifiés) et C2 (salariat d’exécution qualifié). Par rapport à 2017, les travaillistes reculent dans ces catégories, respectivement, de de 9 et de six points et les conservateurs progressent de 9 et de 6%. On peut raisonnablement penser que si on extrait les chômeurs du groupe DE, l’avance des conservateurs sur les travaillistes serait encore supérieure dans cette catégorie, dans laquelle ils réussissent de toute façon une percée historique.
Le score du Labour dans la catégorie C2, i.e. le cœur de son électorat dans le salariat actif, s’avère non moins désastreux. Distancé de 20 points par les conservateurs, sa performance y est même légèrement inférieure (30%) que dans les classes supérieures (31%), le groupe AB des managers de rang supérieur et intermédiaire et des professions libérales. Dit autrement, le Labour fait un score à peu près égal dans toutes les catégories sociales, soit autour de sa moyenne nationale de 32%. Sa performance est parfaitement transclasse, sans le moindre signe de vote préférentiel dans les classes populaires, à l’inverse du scrutin de 2017 lors duquel onze points séparaient sa performance entre le haut et le bas des catégories sociales (en faveur des secondes). Quant aux conservateurs, ils réussissent l’exploit inouï pour un parti de droite issu de l’élite aristocratique, et dont le dernier exécutif comptait une proportion inédite de millionnaires, de faire mieux dans la catégorie centrale du salariat d’exécution (C2) que parmi les classes supérieures, pilier traditionnel de son électorat (50% dans la catégorie C2, 44% dans AB).
Seule la distribution générationnelle apporte une vision inverse, et encore plus tranchée. Les travaillistes gagnent en effet massivement le vote jeune (de 55 à 57% dans les tranches 18-24 et 25-34), quoique dans des proportions nettement moindres qu’en 2017, accusant une chute de 10 et de 3 points, respectivement, dans les deux premières tranches d’âge. Cet écart s’inverse dès la tranche des 45-54 (8 points d’avance pour les conservateurs) et devient proprement abyssal parmi les seniors (54 points d’avance pour les conservateurs chez les plus de 65 ans). Comme le soulignent les textes qui suivent, l’appui des jeunes est incontestablement une réussite formidable du corbynisme mais elle s’est avérée insuffisante pour remporter des élections et compenser la perte de l’enracinement de classe. D’autant que l’abstention est forte dans la jeunesse, en particulier dans la jeunesse populaire, supérieure à 50% selon les estimations, ce qui relativise du même coup la portée des performances spectaculaires des travaillistes parmi les votants dans ces tranches d’âge.
La gauche face à l’UE : chronique d’un désastre
Il faut le souligner : dans ses grandes lignes, cette configuration ne relève en rien d’un exceptionnalisme britannique. L’Union Européenne fait l’objet d’un rejet profond et croissant des classes ouvrières et populaires du continent. Comme quelqu’un d’aussi peu suspect d’« antieuropéisme » que Thomas Piketty le relevait dans une récente tribune, fondée sur une étude comparative de résultats électoraux dans plusieurs pays de l’UE, « les votes autour de l’Union européenne se caractérisent toujours par un clivage de classes aussi marqué ». Ecartant les explications qui attribuent ce rejet à la xénophobie et au racisme supposément inhérent aux classes populaires blanches, Piketty avance « une explication beaucoup plus simple : l’Union européenne, telle qu’elle s’est construite au cours des dernières décennies, s’appuie sur la concurrence généralisée entre territoires, sur le dumping fiscal et social en faveur des acteurs économiques les plus mobiles, et fonctionne objectivement au bénéfice des plus favorisés » [3].
On peut donc dire que la défaite du projet de Corbyn, le seul projet de gauche digne de ce nom susceptible de parvenir au pouvoir gouvernemental au cours de la dernière période dans cette région du monde, signe le deuxième désastre de la gauche européenne face à l’Union européenne, après celui de Syriza en 2015. Comme le montrent les textes de militants britanniques que nous publions par la suite, tous participants de l’entreprise de Corbyn, cet échec résulte d’un refus de formuler une stratégie de rupture d’avec l’Union européenne « par la gauche », refus qui découle d’une perte de contact de la gauche avec sa base sociale ouvrière et populaire historique et sa culture d’affrontement avec les points forts de l’hégémonie de l’adversaire, et qui, à son tour, conduit inexorablement à l’amplifier. Les tentatives de lancer un véritable débat au sein du parti travailliste en permettant à une campagne en faveur d’un « Lexit » (position en faveur d’un Brexit de gauche) de se déployer s’est heurtée à une fin de non-recevoir de sa direction, y compris d’une partie du groupe corbyniste autour de John McDonnell et Diane Abbott et cela malgré l’appui tacite de Corbyn lui-même et de son équipe restreinte (l’ancien journaliste du Guardian Seumas Milne et le syndicaliste communiste Andrew Murray).
Maintenant, il devient encore plus difficile de le nier : un tel refus ne peut que conduire à l’échec assuré toute tentative de relance de la « gauche de gauche », qu’elle soit anticapitaliste ou « réformiste de gauche », comme Corbyn ou, de façon plus hybride, Syriza. Il est complètement illusoire de penser qu’il est possible de retrouver une quelconque crédibilité en tant que force de contestation de l’ordre existant sans se confronter à la question de la stratégie de rupture d’avec l’UE, et, disons-le clairement : de sortie unilatérale de ses institutions clé, en premier lieu de la zone euro pour les pays qui en font partie. Après le désastre grec, qui a démontré l’impossibilité de mener une politique de gauche (même très modérée) dans le cadre de l’UE, il est complètement illusoire de penser qu’il sera possible de retrouver l’oreille des classes travailleuses écrasées et exaspérées sans une position rupturiste claire sur cette question. Il est non moins illusoire de penser qu’il sera possible de convaincre au-delà des rangs – fort minoritaires – des déjà-convaincu.e.s sur les questions de la politique d’accueil inconditionnel des migrants et de défense non moins inconditionnelle des groupés racisés sans une volonté réelle de s’affronter à l’UE qui est aussi, ne l’oublions jamais, cette « Europe forteresse » qui envoie à la mort chaque année en Méditerranée (et dans les déserts sahariens) des milliers d’êtres humains et forge inlassablement une identité « européenne » directement héritée des stéréotypes « blancs » de l’époque coloniale.
Certains, à gauche, ont cru pouvoir enterrer le débat stratégique sur l’Union européenne, en particulier après la normalisation de Podemos et les reculs de la France insoumise sur cette question. Les dures leçons venant de la Grande-Bretagne devraient les inciter à réfléchir par deux fois. Car, ainsi que l’histoire nous l’enseigne, à chaque fois que le mouvement ouvrier et les militant.e.s de l’émancipation sociale s’avèrent incapables de s’emparer des questions posées par la conjoncture et l’évolution du système, ce sont les forces de la barbarie qui en profitent et les font travailler à leur profit.
Faire son deuil et s’organiser
Tariq Ali
Le refus du parti travailliste de soutenir la mise en œuvre des résultats du référendum sur le Brexit et, pour l’essentiel, d’ignorer ses partisans pro-Brexit dans le Nord du pays a conduit à sa défaite. Certains d’entre nous avaient déjà souligné les dangers, mais un parti et une direction divisés (sur ce point John McDonnell devrait être blâmé pour avoir insisté en faveur de l’engagement pour un second référendum) a été sanctionné par ses propres électeurs. C’est la principale raison de la défaite. Une bévue stratégique d’une énorme ampleur.
L’échec de la lutte contre « l’antisémitisme » [attribué par les médias à Corbyn et aux secteurs du parti travailliste qui le soutiennent] était également une erreur, bien qu’à une moindre échelle. L’assaut coordonné des médias contre Jeremy Corbyn a également eu un impact. La couverture par la BBC des débats dans le parti travailliste pourra désormais revenir vers les options « centristes ». Emily Thornberry est la candidate la plus probable à l’« unité ».
Il existe cependant une gauche sociale-démocrate radicale à l’intérieur et à l’extérieur du parti travailliste. Les élections ne sont pas tout. Une mobilisation autonome de la nouvelle génération ne doit pas être exclue et elle doit être à la fois encouragée et soutenue. Les politiques économiques de Johnson vont accélérer la crise et la mobilisation et les grèves seront la seule réponse comme le démontrent actuellement les Français. L’Ecosse voudra maintenant son indépendance et les Irlandais une certaine forme d’unité, donc les conservateurs anglais ne pourront pas en faire qu’à leur tête.
Posté sur la page facebook de Tariq Ali le 12 décembre 2019 – publié avec l’autorisation de l’auteur.
Tariq Ali est une figure historique de la gauche radicale en Grande-Bretagne. L’un des dirigeants de la contestation étudiante et contre-culturelle des années 1960, il a longtemps milité dans les rangs de la section britannique de la IVe Internationale. Il est l’auteur de nombreux ouvrages et membre de la rédaction de la New Left Review. On pourra lire plusieurs textes de Tariq Ali sur notre site.
Personne n’a dit que ce serait facile
Ronan Burtenshaw
Les résultats de ce soir dans l’ensemble du pays, mais surtout dans nos « bastions » (heartlands), sont vraiment mauvais pour notre mouvement. Après une campagne énergique menée par des milliers de militant.e.s pendant plusieurs semaines, ce sera une pilule difficile à avaler. Mais les retombées les plus importantes seront pour celles et ceux en dehors du parti. Cinq autres années de gouvernement conservateur signifieront davantage d’attaques contre les syndicats et la classe ouvrière, contre nos services publics et les personnes qui dépendent de l’aide de l’État pour vivre.
Dans des moments comme ceux-ci, il importe de remettre les choses dans une perspective historique. Le mouvement ouvrier dans ce pays a subi de profondes défaites, et il a néanmoins pu rebondir. En 1926, nous avons perdu une bataille de masse, celle de la grève générale. En 1929, le parti travailliste était le plus grand parti au Parlement. Dans les années 1930, le chef du parti Ramsay MacDonald [en faisant défection en 1931 des rangs travaillistes avec une petite minorité de députés et en formant avec les conservateurs et les libéraux un gouvernement d’« union nationale » qui mit en œuvre une féroce politique austéritaire et pro-impérialiste] a quasiment détruit le parti que beaucoup avaient mis des décennies à construire. En 1945, un gouvernement travailliste majoritaire s’attelait à reconstruire le pays.
Ce moment de l’histoire est bien sûr différent. Mais il est bien plus proche de ceux-là que de la référence que la droite met en avant : la « longue défaite » de 1983 qui a conduit à l’effacement de la gauche de la scène politique pendant une génération. Au lieu de la social-démocratie, nous avons eu le néolibéralisme, des promesses de croissance économique et l’acceptation de longues années de crise économique. Aujourd’hui nous n’en sommes pas là. La classe dirigeante n’a pas trouvé de nouveau modèle de « prospérité populaire » [à la Thatcher] et le capitalisme reste en crise. Cette victoire conservatrice est substantielle, mais elle n’est pas d’ampleur historique à condition que le parti travailliste et la gauche en tirent les bonnes leçons.
À un moment où la classe réapparaît comme un élément central dans les sociétés occidentales et où nous pouvons à nouveau parler du capitalisme, la tâche du corbynisme était clairement de reconstruire le parti travailliste en tant que parti de la classe ouvrière. Comme un parti qui ne serait pas prisonnier des sections libérales de l’élite économique, qui serait perçu comme une force insurgée opposée à Westminster [siège du pouvoir gouvernemental] et, fondamentalement, comme le parti sur lequel la majorité de la classe travailleuse de ce pays, des gens qui dépendent de leur salaire pour vivre, pouvait compter pour améliorer son sort.
En cela, le corbynisme et tou.te.s celles et ceux qui en faisaient partie ont échoué. Mais nous, au magazine Tribune, avons tenté, après les élections européennes, de revenir sur l’une des concessions les plus dommageables : la transformation du parti travailliste en un parti qui s’opposait au mandat démocratique sur le Brexit. À l’époque, l’idée populaire parmi une grande partie de la gauche était que le parti pouvait considérer comme acquis ses élect.eurs.rices qui avaient voté en faveur du Brexit, car ils.elles avaient une profonde loyauté envers le parti, et que la véritable menace était de perdre celles et ceux qui s’étaient prononcés en faveur du Remain [maintien dans l’UE]. Ce calcul s’est révélé être une erreur fatale.
Déjà négligés par l’establishment politique depuis des décennies, les travailleu.rs.ses des zones postindustrielles ont correctement vu qu’ils étaient pris comme étant acquis.es au parti travailliste. Ils ont réagi en conséquence – soit en n’allant pas voter, soit en votant pour les conservateurs. Les conséquences de cet état de fait sont profondes. S’il y avait une part de vérité dans le récit de la loyauté, c’est que de nombreu.x.ses électeu.rs.ices qui avaient longtemps voté pour le parti travailliste le faisaient davantage par habitude que par conviction. Cette habitude est maintenant rompue. La rétablir ne pourra se faire qu’au prix d’une lutte monumentale. Ceci, malheureusement, nous amène à un autre profond problème du corbynisme, à savoir le fait que beaucoup de ces endroits qui avaient le plus besoin des transformations promises par le programme économique travailliste n’ont jamais eu le sentiment que ce projet était le leur. Alors que les adhésions au parti explosaient à Londres et dans le Sud-Est [les zones prospères du Royaume-Uni], elles stagnaient dans les « bastions » [du Nord et des Midlands] que nous avons perdu ce soir. Cela a été masqué par le résultat en 2017 mais ne peut plus être passé sous silence.
Le parti travailliste a perdu non pas parce qu’il est trop ouvrier, mais parce qu’il ne l’est pas assez, ou qu’il l’était dans trop peu d’endroits. Cela est en partie dû au fait que le corbynisme était par trop de ses aspects le produit de la gauche qui avait été vaincue au cours des décennies passées. Lors du reflux du socialisme, au cours des années 1990, celles et ceux qui résistaient furent extrêmement isolé.e.s. Ils et elles ont mené de courageuses batailles, sans lesquelles, et sans Jeremy Corbyn, le mouvement socialiste non seulement en Grande-Bretagne mais à l’échelle internationale serait aujourd’hui dans un état encore pire.
Cependant, lorsque la marée est remontée, cette gauche avait échouée depuis longtemps. Son contact avec la politique de masse était minime. Elle devait apprendre vite mais elle ne l’a pas fait, ou pas assez. Lorsque les choses devenaient difficiles, elle se tournait trop souvent vers l’étreinte réconfortante d’une jeune génération submergée par des perspectives d’emploi lamentables, d’endettement étudiant et de loyers exorbitants. Malheureusement, cette politique générationnelle et « progressiste » ne remplace pas l’enracinement de classe.
La critique que nous avons formulée à la suite des élections européennes – à savoir que nous nous penchions vers un « progressisme », un projet pour « construire des majorités en unissant celles et ceux qui ont des positions sociales progressistes » – ne signifiait pas que nous étions en désaccord avec de telles positions. Mais nous pensons qu’elles ne peuvent être la base d’une politique de classe. Celle-ci consiste en un effort pour réunir une majorité sur la base des conditions matérielles communes, au lieu de fractionner la société en segments de plus en plus petits pour essayer de répondre à chacun d’entre eux. Cela s’est malheureusement reflété dans le manifeste électoral, qui avait l’allure d’une liste de courses. Beaucoup de ses propositions politiques étaient en tant que telles populaires. Là réside en fait l’un des héritages et des succès du corbynisme. Nous devons nous battre pour conserver ces propositions politiques qui amélioreront le sort de la classe ouvrière dans tout le combat qui suivra. Mais cette liste de propositions, mises bout à bout, est apparue comme une offre spéciale dans les rayons d’un magasin. De plus en plus de choses, mais sans la vision unificatrice qui pourrait vraiment inciter à s’en emparer, sans le récit du type de société à laquelle aspirent les travaillistes. Et les gens, fondamentalement, ne nous ont pas cru.
Après des décennies de néolibéralisme, il n’est pas surprenant qu’il en soit ainsi. Mais étant donné l’ampleur de cette défaite, nous devons nous poser de sérieuses questions sur les raisons pour lesquelles nous n’avons pas été capables de changer cela. Les réponses se trouvent dans le fait que nous n’étions tout simplement pas présents dans suffisamment d’endroits, dans la vie d’un nombre suffisant de gens de la classe ouvrière. Les causes renvoient également que le corbynisme n’a pas coïncidé avec une intensification de la lutte des classes qui aurait pu apporter davantage de gens de notre côté. Demain, le combat pour sauver ce que nous pouvons commence. Le mouvement socialiste a déjà connu de tels moments ici, et en les tranversant nous deviendrons plus forts. Ce qu’il y a d’authentique aura subi l’épreuve du feu. Mais ils nous combattront. Ce soir, nous devons nous rappeler que notre cause perdure, que tant qu’il y aura un système capitaliste, il faudra un mouvement socialiste et il nous faudra nous armer pour le prochain combat.
Paru en ligne dans Jacobin magazine le 12 décembre 2019.
Pourquoi nous avons perdu, comment nous allons gagner
Paul O’Connell
« Suffisamment d’intelligence pour concevoir, suffisamment de courage pour vouloir, suffisamment de puissance pour contraindre. Si nos idées d’une nouvelle société sont davantage qu’un rêve, ces trois qualités doivent animer la majorité des travailleurs ; et alors, je vous le dis, la chose sera accomplie » (William Morris)
Pourquoi le Parti travailliste a perdu les élections malgré les efforts immenses de milliers de militants dévoués et le manifeste électoral le plus progressiste depuis des années est une question cruciale pour l’orientation de la prochaine phase de la politique socialiste et de la lutte des classes en Grande-Bretagne. En effet, la bataille d’interprétation sur le résultat sera un facteur déterminant dans les luttes internes en cours au sein du mouvement syndical, dans les discussions sur la stratégie et la tactique sur l’avenir la gauche radicale et pour les leçons tirées par la classe ouvrière au sens large.
Une interprétation qui est déjà avancée par la gauche libérale est que le parti travailliste (lire Corbyn) a été trop lent à adopter la ligne du Remain [Rester dans l’UE]. Selon cet argument, le parti est resté dans un entre-deux, alors qu’il aurait dû embrasser les vertus du Remain, tout en emmenant avec lui des électeurs récalcitrants de la classe ouvrière. Cet argument est mis en avant par des groupes comme « Une autre Europe est possible » et la coterie habituelle des commentateurs libéraux dans le Guardian et ailleurs. Mais cette analyse tire les mauvaises conclusions des cinq dernières années et si elle s’imposait, elle ne ferait que préparer la gauche à un nouvel échec. Un autre point de vue, mis en avant par des forces à la droite du parti travailliste, est que celui-ci a perdu le contact avec la classe ouvrière « socialement conservatrice » ou « traditionnelle ». C’est une approche aussi erronée et nuisible que celle avancée par les libéraux, et les deux devront être rejetées à l’avenir par la gauche socialiste.
En vérité, la raison décisive pour laquelle le parti travailliste a perdu les élections est qu’au cours des trois dernières années, il s’est transformé d’un parti déterminé à respecter le résultat du référendum sur le Brexit en un « parti du Remain » de fait. Bien sûr, quelques autres raisons importantes ont pesé, qui vont du parti pris non-dissimulé des médias traditionnels au pessimisme enraciné par plus de trente ans de néolibéralisme et à la campagne concertée de diffamation dirigée contre Corbyn menée au cours des quatre derniers mois avec le soutien de nombreux députés travaillistes et de blairistes mécontents promus par les médias.
Mais le changement de position du parti travailliste sur le Brexit s’est avéré décisif, car c’était la question clé pour de nombreu.x.ses élect.eurs.rices lors de ce scrutin. Elle a constitué le cœur du message électoral des conservateurs (soigneusement répété par les médias) et se reflète dans les circonscriptions électorales ayant voté en faveur du Brexit que les travaillistes ont perdu au bénéfice des conservateurs. A mi-chemin, la direction travailliste a clairement reconnu que cette ligne nuisait à la campagne et s’est tournée vers les circonscriptions électorales du Nord et des Midlands, en écartant des projecteurs des médias les partisans les plus ostensibles du Remain, comme Emily Thornberry et Keir Starmer. C’était malheureusement trop peu, et trop tard.
Le changement de position des travaillistes a été impulsé par une campagne concertée menée par les pires vestiges des années Blair (Peter Mandelson, Alistair Campbell, Tom Watson, Blair lui-même, etc.) avec le soutien de la plupart des médias et de la classe politique au sens large. Une fois que le parti travailliste a été amené, moyennant quelques manœuvres, à soutenir un second référendum, la logique électorale de cette position consistait à essayer de capter les classes moyennes mécontentes, qui forment la base sociale du bloc électoral du Remain, et d’espérer que les couches de la classe ouvrière qui avaient voté en faveur du Brexit pourraient être gagnées avec des promesses d’amélioration de leur situation matérielle sous un futur gouvernement travailliste. Pour mettre en œuvre cette stratégie, le parti travailliste s’est efforcé de faire porter ces élections sur « tout sauf sur le Brexit », mais c’était une stratégie naïve, dépourvue de la moindre chance de réussite.
Alors que la vie des travailleu.rs.ses est abîmée par les effets de l’austérité, des coupes dans le secteur public, de l’insécurité de l’emploi et de la baisse des salaires, et que le spectre de la catastrophe climatique est de plus en plus au centre de l’attention au cours de ces dernières années, la situation politique britannique (au sens étroit du terme, qui renvoie au terrain électoral) est dominée par le Brexit depuis près de quatre ans. Le Brexit est ainsi devenu le terrain sur lequel se déroule une « guerre culturelle » étrange, mais bien ancrée. Or, dans les semaines qui ont précédé le déclenchement des élections, le parti travailliste a refusé à deux reprises de voter au Parlement en faveur de la convocation d’élections législatives anticipées, en affirmant qu’il voulait obtenir des garanties permettant d’éviter un Brexit sans accord. En fin de compte, le scrutin est bien resté, comme c’était parfaitement prévisible, l’« élection du Brexit » et un grand nombre d’élect.eurs.rices de la classe ouvrière pro-Brexit (et même de nombreu.x.ses autres qui avaient voté pour le Remain) ont adhéré à la rhétorique vide et aux promesses de Boris Johnson et des conservateurs. Ils ont voté en espérant mettre fin à l’incertitude du Brexit (ce qui ne sera pas le cas), mais ils ont également voté contre le mépris qu’ils et elles percevaient dans l’offre mensongère du parti travailliste qui leur était destinée. L’élection a donc été perdue parce que les travaillistes ont choisi de privilégier la politique de la classe moyenne au détriment de celle de larges sections de la classe ouvrière sur la question déterminante du Brexit.
Cette question était également cruciale sur le plan fondamental de la confiance et de l’intégrité. Bien que le vote en faveur du Brexit soit complexe, la majorité des travailleur.se.s qui l’ont choisi (et c’était la majorité de celles et ceux qui sont déplacés aux urnes en 2016) vivent dans des régions qui ont connu le déclin industriel, la pauvreté et la marginalisation pendant des décennies. Ce sont des régions où l’on a dit à ces gens pendant des années, explicitement et implicitement, qu’ils et elles ne pouvaient rien faire pour changer leur sort. Avec le vote sur le Brexit, ils et elles ont eu leur mot à dire sur une question cruciale de la politique nationale, un mot à dire une fois dans leur vie. Mais lorsqu’ils et elles ont voté en faveur du Brexit, l’establishment a immédiatement réagi en s’efforçant de délégitimer et d’annuler le résultat.
Lors des législatives de 2017, le parti travailliste a promis de respecter le vote du Brexit et de se battre pour le meilleur Brexit possible. Cette position, combinée à son manifeste électoral radical, lui a permis de se présenter comme une véritable force insurgée. Lors de ces élections, en capitulant aux exigences du libéralisme réactionnaire et en s’engageant à convoquer un second référendum, le parti travailliste ne pouvait pas se présenter de façon cohérente comme un parti de changement et de transformation radicale tout en jouant la carte du statu quo ante sur la question du Brexit. Il ne pouvait pas être en partie radical, en partie du côté de la classe ouvrière dans les zones pro-Brexit, il devait l’être de tout cœur, et ce ne fut pas le cas.
Le résultat des élections nous laisse face à cinq ans de plus de gouvernement conservateur. Nous ne pouvons nous permettre aucune illusion sur le fait que, pendant cette période, les conservateurs vont attaquer les droits des travailleu.rs.ses, les migrant.e.s, les services publics et l’environnement. Étant donné que nous sommes probablement déjà entrés dans les premiers stades de la prochaine récession, l’austérité et l’inhumanité de la dernière décennie de gouvernements conservateurs (seuls ou en coalition avec les Libéraux-Démocrates) redoubleront d’intensité et la classe ouvrière sera, comme toujours, la principale cible de cette guerre de classe. Il nous faut donc nous défaire de l’impulsion tout à fait compréhensible de nous lamenter de cette occasion perdue, et, au lieu de cela, de commencer rapidement à nous organiser pour les combats à venir.
Mais, pour aller de l’avant, nous devons faire le bilan des expériences des dernières années, comprendre comment nous en sommes arrivés là et nous orienter en vue de nos prochaines étapes. Pour ce faire, nous devons nous recentrer sur les principes centraux du socialisme. La politique socialiste est fondée sur les divisions centrales de la société entre la minuscule minorité qui possède la richesse de la société et le reste d’entre nous qui devons travailler pour les restes qui restent sur leur table. Le socialisme concerne la classe, les intérêts de classe, la lutte des classes et la compréhension du désordre vertigineux et déroutant de la société moderne vu à travers le prisme de l’analyse de classe, qui permet de lui donner un sens et de travailler à transformer la société.
Lors de ces élections, et au cours de ces quatre années marquées par la conjoncture du Brexit, les travaillistes et une large part de la gauche ont perdu de vue la centralité de la classe en ce qui concerne le Brexit. Il a de ce fait été possible de rejeter le Brexit comme une simple entreprise raciste, d’imaginer que le vote pro-Brexit pouvait être ignoré, et que la populace qui l’a soutenu pourrait être gagnée avec la promesse paternaliste de faire ce qui est mieux pour eux. Mais cela c’est la politique du fabianisme arrogant [4] et non la base pour construire une alternative radicale.
Lors des législatives de 2017, le parti dirigé par Corbyn a enregistré la plus forte remontée électorale qu’ont connu les travaillistes depuis la Deuxième Guerre mondiale en acceptant le résultat du référendum et en reliant l’énergie de rupture du vote du Brexit à un manifeste qui promettait un changement radical pour les classes laborieuses. Lors de cette élection, le parti travailliste a formulé des propositions politiques encore plus radicales, mais il n’a pas pu se présenter de manière convaincante comme le parti de la transformation radicale, car il s’est montré, en fait, déterminé à ignorer et à renverser le vote du Brexit.
Si la conjoncture du Brexit est complexe, elle est en premier lieu celle d’un rejet du statu quo. En ce sens, elle alimentait également le soutien croissant à Corbyn, et c’est pourquoi ce n’est pas une simple coïncidence si les plus fervents adversaires du Brexit sont également les plus hostiles à Corbyn et à son projet au sein du parti travailliste. Lors de cette élection, celui-ci s’est, sur une question cruciale, aligné sur ses opposants, et il a été rejeté par beaucoup de celles et ceux qui devraient être sa base naturelle.
Le grand gâchis dans tout cela est que sur presque tout le reste les propositions du manifeste électoral travailliste sont conformes aux intérêts des travailleu.rs.ses. Le problème fondamental est qu’en raison de son approche du Brexit, le parti de Corbyn a fini par apparaître dans de larges couches de la classe ouvrière comme une force étrangère, qui propose de faire progresser le socialisme en faveur de la classe ouvrière, mais pas avec elle. Cela vient du fait que si le succès de Corbyn reflétait une relance d’idées vaguement socialistes, il n’était pas ancré dans les communautés et les lieux de travail de la classe ouvrière. Le travail de « community organizing » récemment entrepris présage de ce qui peut et doit être fait sur ce front, mais ce type de travail a été un élément périphérique de l’expérience Corbyn et du mouvement plus large qui l’a entouré jusqu’à présent.
Nous devrons exploiter l’énergie déployée pendant cette campagne électorale et la transférer sur le plan de l’organisation et de la mobilisation pour transformer nos syndicats, pour construire des modèles alternatifs de démocratie et d’autonomie des communautés sur les questions des transports publics, des écoles, des soins de santé et de l’environnement. Et, surtout, nous devons réorienter notre politique vers la centralité de la classe, de la classe ouvrière dans son ensemble, pas d’une mythique classe ouvrière « traditionnelle » ou « blanche ». Cela doit être le centre de nos efforts, car sans la classe ouvrière, il n’y a pas de socialisme. En l’absence de communautés et d’organisations de classe ouvrière autonomes et protagonistes, il n’y a pas de rupture avec le statu quo. Nous devons tirer le meilleur parti du mouvement qui a émergé de Corbyn, mais aussi rompre avec les erreurs qui nous ont conduit.e.s là où nous sommes. Nous avons subi une défaite, mais la bataille de et pour nos vies commence maintenant.
Publié dans leftcampaign.org/ le 13 décembre 2019.
Paul O’Connell enseigne le droit à l’université SOAS de Londres et milite au sein de la plateforme LEFT (Leave-Fight-Transform : Quitter [l’UE]-Lutter-Transformer) en faveur d’un Brexit de gauche. Il est également l’un des animateurs du site Legal Form. A Forum for Marxist Analysis of Law (Forme Juridique. Un Forum d’Analyse Marxiste du Droit) legalform.blog/