Cette affaire odieuse, qui se voit étalée en toute impudeur, à coups de rapports gynécologiques, aura toutefois un mérite. L’affaire Hajar Raissouni a fait l’effet d’un électrochoc à la société marocaine. Une journaliste [au quotidien arabophone Akhbar Al-Yaoum], arrêtée pour avortement illégal… Rendez-vous compte. De quoi défrayer la chronique, choquer le monde et démonter bien des certitudes.
Voilà que, pour la première fois, c’est une personnalité publique qui se retrouve clouée au pilori de la justice et de la vindicte populaire. Non pas que ce soit la première à être arrêtée pour un avortement clandestin, bien qu’elle se défende du contraire. Quand bien même celle-ci aurait avorté, elle ne serait ni la première ni la dernière de cette très très longue liste de femmes, dont bon nombre font partie de nos entourages, qui ont eu recours à cette pratique un beau jour pour des raisons qui leur appartiennent et que nul n’est en droit de juger.
La violence de la procédure
Hajar Raissouni, bien malgré elle, se voit endosser aujourd’hui le rôle de porte-parole d’une cause à laquelle elle n’avait jamais été associée auparavant. Mais qu’est-ce qui fait la différence entre cette jeune femme et toutes les autres qui sont un jour passées sur la table froide d’un cabinet de gynécologue douteux pour avorter dans la souffrance et dans le silence ? Rien. Absolument rien.
Toutefois, grâce ou à cause de sa notoriété, les Marocains découvrent la violence de la procédure qui entoure cet acte considéré comme un délit. Oui, les policiers l’ont arrêtée. Oui, ils l’ont placée en garde à vue. Oui, elle a dû être soumise à des examens gynécologiques contre son gré. Oui, c’est violent. Oui, elle encourt une peine de prison [arrêtée le 31 août, elle a été condamnée le 30 septembre à un an de prison]. Oui, c’est moche. Et figurez-vous que tout cela n’est pas nouveau. C’est dans la loi, c’est écrit noir sur blanc dans le Code pénal.
Alors ? Que fait-on maintenant ? Va-t-on enfin se décider à faire bloc, tous ensemble, pour forcer le gouvernement à dépénaliser l’avortement et éviter aux femmes ce type de violences ? Ou va-t-on se contenter d’exprimer son indignation sur Facebook, outil d’un militantisme de pacotille, et oublier ce combat aussi vite qu’on a oublié qu’on a aussi “milité” contre les incendies en Amazonie, le plastique qui pollue, les gardiens de voitures de Casablanca et les loueurs de parasol sur la plage d’Ain Diab ?
Des idées reçues s’effondrent
C’est aussi la première fois qu’une femme connue du grand public, de surcroît réputée proche de l’idéologie islamiste, se retrouve confrontée à ce type d’accusations. Bien des idées reçues s’effondrent. Oui, figurez-vous que toutes les femmes, sans exception, sont concernées par l’avortement. Qu’elles portent le voile, qu’elles prient cinq fois par jour. Voilà donc une vérité enfin exposée au grand jour et qui fera peut-être réfléchir à deux fois les moralisateurs (-trices) qui se donnent le droit de juger les autres. Et dans ce cas de figure, la femme est la pire ennemie de la femme.
Cette affaire odieuse, qui se voit étalée dans la presse et sur les réseaux sociaux, en toute impudeur, à coups de rapports gynécologiques de la jeune femme et de contre-expertises qui violent son intimité, aura toutefois un mérite. Celui de mettre la lumière sur un sujet ô combien important, passé à la trappe depuis l’avènement au pouvoir des islamistes : le respect des libertés individuelles.
Zineb Ibnouzahir
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