Sa suppression fragiliserait le médecin juridiquement
Bertrand de Rochambeau
Médecin gynécologue-obstétricien, président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (Syngof)
« Non, cette clause spécifique à l’IVG, prévue par la loi Veil, n’est pas redondante avec la clause générale du code de déontologie des médecins. Au contraire, elle vient la renforcer de manière essentielle. Dans les faits, pour un médecin il sera très difficile de se retrancher derrière une clause générale s’il exerce dans un service où tout le monde pratique l’IVG.
Le code de la santé publique consacre aussi les droits du patient à être soigné selon sa volonté, dans le respect de sa dignité. Sans cette clause spécifique, et si le médecin était attaqué devant un juge, un tribunal aurait à trancher devant deux droits de même valeur. Dans la défense des soignants qui sont soumis à cette demande d’IVG, il faut nécessairement quelque chose de plus fort qu’une clause générale pour le protéger. Il est certain que la suppression de cette clause de conscience spécifique fragiliserait juridiquement à terme les médecins.
En outre, il faut voir pourquoi émane cette demande de suppression. Ceux qui veulent abolir cette clause spécifique souhaitent tout simplement en finir avec tous les garde-fous de la loi Veil, et mettre sur le même niveau l’IVG, qui reste une vie qu’on supprime, et une opération de l’appendicite. Ils pensent aussi à tort que cette clause de conscience entrave l’accès à l’IVG, qui relève surtout d’une mauvaise organisation d’accès aux soins sur le territoire. »
Elle perpétue l’idée que l’IVG est une entorse à la déontologie
Laurence Rossignol
Sénatrice socialiste, ancienne ministre des droits des femmes dans le gouvernement de Manuel Valls, auteure d’une proposition de loi (rejetée) visant à supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG accordée aux soignants, en 2018.
« Je considère que cette clause spécifique est superfétatoire. Il existe déjà une clause de conscience générale dans le code de déontologie des médecins qui les autorise à refuser tous actes qu’ils ne voudraient pas accomplir. Elle renforce l’idée que l’IVG est un acte médical à part, comme une entorse à la déontologie médicale.
Or quand on fait des études pour devenir gynécologue-obstétricien, on doit accepter qu’une femme n’est pas seulement un individu qui va mettre des enfants au monde, mais aussi une patiente qu’on accompagne dans tous les épisodes de sa vie sexuelle, qui comprend tout aussi bien la contraception et le refus d’une grossesse. Je considère que cette clause spécifique témoigne du refus de cette complexité de la vie sexuelle des femmes.
Au fond, cette clause est la dernière citadelle des compromis obtenus par les médecins hostiles à l’IVG, au moment du vote de la loi Veil. La notion de détresse pour un avortement, le deuxième entretien préalable à l’IVG ont déjà été supprimés, les délais d’accès rallongés. Ce dernier compromis fait aux adversaires de l’IVG ne peut pas être éternel, en ce qu’il constitue un obstacle supplémentaire à l’accès à l’avortement. »
Recueilli par Héloïse de Neuville