Olivier Sillam- Avec ce qui s’est passé sur le mouvement des Gilets Jaunes, tu as essayé de faire des recherches, entre autres, sur les gaz lacrymogènes. Est-ce que tu peux nous parler un peu du résultat de tes recherches ?
Alexander Samuel - Je ne suis plus chercheur officiellement puisque je suis enseignant. J’ai un doctorat en biologie et j’ai bossé au CNRS. J’ai arrêté la recherche pour avoir un peu plus de libertés. Je trouvais que la recherche du financement, être à la botte des entreprises, cela ne donnait une liberté intellectuelle suffisante. Je n’étais pas satisfait du système et j’aime bien enseigner. En parallèle, tout ce que je fais comme recherches, je le fais bénévolement, par curiosité scientifique et sans limite.
Je n’ai pas fait que de la recherche. J’ai fait un gros boulot de revue scientifique : j’ai lu beaucoup de papiers, avec une bibliographie de 500 œuvres ! J’ai regardé tout ce qui se disait sur ces gaz lacrymos. Au début, je pensais que c’était une fake news l’histoire du cyanure mais en fait, c’est un truc qui est très étudié, qu’on connaît depuis les années 1970, et même les années 1950. C’est glissé sous le tapis clairement. C’est écrasé par une référence qui s’appelle Bryan Ballantyne qui a dit que ce n’était pas dangereux parce que cela correspondait à deux bouffées de cigarettes. Sauf qu’il parle dans les conditions d’un manifestant qui se prend une grenade et reste dix minutes au contact. Mais ce n’est plus ce qui se passe en France : on est nassé, on reste une journée et on a des grenades directement dans la gueule. Il y en a une qui est sortie le week-end dernier des 16 et 17 novembre 2019. Il y a un gars qui s’est pris une grenade à 10/20 mètres directement en pleine face.
Qu’est-ce que tu as trouvé en particulier ?
Ce n’est pas moi qui l’ai porté en premier. Il y a des gens qui ont commencé à dire qu’il y avait du cyanure, Raquel Garrido notamment de France Insoumise. On l’a tout de suite moquée en disant que c’était du Zyklon B. Dans le Zyklon B oui, il y avait du cyanure. On a eu des analyses sur le thiocyanate qui ont été faites. C’est un dérivé du cyanure. On avait des analyses positives. Je pensais qu’avec la revue scientifique plus les analyses thiocyanate, cela suffisait pour qu’un gouvernement responsable se dise qu’il y a un principe de précaution ; on est en train d’exposer la population à un produit à risques, il faut faire quelque chose. Au contraire !
On a dit « les analyses sur le thiocyanate n’ont aucune valeur, il y a du cyanure à faible dose ». Le seul moyen de montrer qu’il y a du cyanure à haute dose c’est de le mesurer directement. Cela a été dit dans la presse par des toxicologues français. J’ai fait des analyses dans la rue pour vérifier les niveaux de cyanure parce qu’il ne reste que quelques minutes. On ne peut pas le mesurer deux jours après. Donc on a mesuré directement le cyanure avant et après manif. On a montré qu’avant on n’en avait pas et juste après le gazage, on montait à 0,7 mg, ce qui est une dose extrêmement dangereuse.
Qu’est-ce que tu en conclues par rapport à la politique de l’État aujourd’hui ?
Je pense que l’État a perdu toute responsabilité au niveau de sa gestion d’un maintien de l’ordre, qui est très violent. On peut s’attaquer aux Blacks blocks, dire que c’est eux qui ont commencé. Mais peu importe qui a commencé, c’est l’État qui est force de pouvoir et qui choisit le niveau de violence qu’il met en face. On est clairement dans une escalade en mettant des armes chimiques. C’est très inquiétant. Cela montre qu’au niveau du maintien de l’ordre on est totalement dépassé et plus du tout dans du rationnel.
Il y a un climat paranoïaque qui s’est installé quand on confisque les masques à gaz des manifestantEs en disant que c’est une arme. En fait, on a juste envie de survivre. Les manifs sont de plus en plus violentes et je ne pense pas que cela soit du fait des manifestantEs seulement. Je pense qu’il faut regarder plus globalement les stratégies de maintien de l’ordre. Quand on emprisonne des gens en masse pour écraser une manifestation comme cela s’est passé le week-end dernier, c’est d’une violence sans nom et qui est systémique.
À ton avis quelle réponse doit-on avoir ?
Il y a des intérêts économiques avec des entreprises françaises qui exportent des armes, (y compris non létales). Il faut du militantisme international, pour les droits de l’homme, pour éviter les trafics d’armes comme cela s’est passé au Barhein où la France a été très épinglée.
Au niveau militant, il y a plein d’aspects. Un militant est perçu comme quelqu’un de radical dans la population parce qu’il a un masque à gaz sur le visage. Si on arrête de gazer les gens et qu’on peut avoir un visage un peu plus humain, peut-être qu’on nous écoutera davantage. Il y a un enjeu stratégique à utiliser ce type de chose pour donner une apparence de violence à toute manifestation. D’un point de vue militant, cette apparente violence est néfaste pour convaincre la population. Cela permet de casser le militantisme.
Propos recueillis par Olivier Sillam