Des salariés d’AC Environnement, leader du diagnostic immobilier, surexposés à des substances cancérogènes
Des employés ont déposé plainte contre X pour mise en danger d’autrui après avoir été soumis à des concentrations de chloroforme vingt-cinq fois supérieures aux normes
La société AC Environnement n’est pas connue du grand public. Nombre de propriétaires font pourtant appel à ses services, parfois sans le savoir, avant de vendre ou de louer un appartement ou une maison.
Avec près de soixante-dix agences (dont trente-trois en franchise), 670 collaborateurs et un chiffre d’affaires de 53 millions d’euros, AC Environnement revendique la place de « leader » sur le marché florissant du diagnostic immobilier.
Amiante, plomb… : cette société a réalisé plus de 320 000 diagnostics en 2018 dans le cadre de ventes ou de locations, mais aussi avant des travaux ou une démolition, et dans le cas de dépollutions d’immeubles ou de sites industriels. Elle vient notamment d’obtenir le marché des sites devant accueillir les futures infrastructures (village olympique, centre des médias) des Jeux de Paris 2024.
Hépatite, infertilité, complications de grossesse…
AC Environnement érige en priorité absolue « la sécurité et la santé des personnes qui vivent et/ou travaillent » dans les bâtiments qu’elle diagnostique et met en avant « la rigueur de ses méthodes ». Mais l’entreprise ne semble pas apporter le même soin à ses employés.
Selon les informations du Monde, une trentaine de salariés et ex-salariés de ses laboratoires de Gentilly (Val-de-Marne) et de Riorges (Loire) ont décidé de saisir la justice. Ils ont déposé deux plaintes contre X pour « mise en danger d’autrui », le 21 octobre, respectivement devant le tribunal de grande instance de Paris et celui de Roanne.
Ils se plaignent de plusieurs problèmes de santé : hépatite, infertilité, complications de grossesse, douleurs neurologiques, asthénies ou nausées. Tous ont en commun d’avoir manipulé des solvants très toxiques comme le chloroforme, l’acétone et l’éthanol dans le cadre de leur travail de laborantin afin d’évaluer, notamment, la présence d’amiante dans les échantillons collectés. Ces produits chimiques sont considérés comme cancérigènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR).
Fin mars et début avril, les salariés des deux laboratoires apprennent qu’ils ont été exposés à des niveaux très excessifs de chloroforme depuis au moins 2016. Un rapport commandé par AC Environnement et établi par la société Oxygenair en juin 2016 relève des concentrations de chloroforme atteignant jusqu’à 242,6 milligrammes par mètre cube (mg/m3) d’air sur une durée de huit heures dans le laboratoire de Gentilly. Soit près de vingt-cinq fois la valeur limite d’exposition professionnelle, fixée à 10 mg/m3. Selon des documents internes, « 200 personnes ont été exposées durant trois ans à 200 mg/m3 ».
88 fois la valeur de référence
En novembre 2018, l’une des employés de l’établissement de Riorges présente des signes d’intoxication. Elle sollicite la médecine du travail, qui décide de faire pratiquer des analyses sanguines à plusieurs salariés du laboratoire. Ce n’est qu’en avril et mars 2019 que les résultats sont obtenus. Ils révèlent d’importantes anomalies. Le taux de trichlorométhane (chloroforme) de la salariée intoxiquée atteint 88,2 microgrammes par litre de sang, soit plus de 88 fois la valeur de référence dans la population en général, qui est inférieure à 1 microgramme par litre.
Parallèlement, les employées du laboratoire de Riorges apprennent fin mars les conclusions d’un rapport commandité par AC Environnement. Conduit par la société Ispira, spécialisée dans la qualité de l’air, le document conclut à « un risque d’exposition élevé au chloroforme » et à « l’utilisation d’un système de protection collective inefficace » et « inadapté aux manipulations de CMR ».
Les salariés des deux laboratoires ne sont pas au bout de leurs surprises. Le 9 avril, ils reçoivent un courriel du président d’AC Environnement, Denis Mora. Il les informe que la directrice des laboratoires, Sana Bourguiba, a présenté sa démission une semaine plus tôt, après avoir assuré qu’elle avait dissimulé le rapport de 2016 de la société Oxygenair.
Contacté par Le Monde, le groupe AC Environnement assure avoir « immédiatement » pris des « mesures correctrices », et qu’aujourd’hui, les niveaux de chloroforme « sont surveillés quotidiennement et ne dépassent pas les limites réglementaires ». Certains salariés ont pu par ailleurs exercer leur « droit de retrait » et « un suivi médical a été mis en place avec la Carsat » [Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail] », indique le directeur de la communication, Raphaël Eulry.
Stéphane Mandard
• Le Monde. Publié le 28 octobre 2019 à 06h02 - Mis à jour le 28 octobre 2019 à 10h05 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/10/28/des-salaries-du-leader-du-diagnostic-immobilier-ont-ete-surexposes-a-des-substances-cancerogenes_6017149_3244.html
A Fos, des salariés d’ArcelorMittal gravement surexposés à un gaz cancérogène
Un rapport de l’inspection du travail alerte sur une « situation dangereuse pour les travailleurs » de la cokerie de l’aciérie avec une concentration 3 000 % au-dessus de la norme.
Le 8 octobre 2018, la visite de l’inspectrice du travail des Bouches-du-Rhône dans l’usine d’ArcelorMittal de Fos-sur-Mer avait mal commencé : son badge d’accès « avait été désactivé ». Elle s’est terminée par un rapport accablant, concluant à une « situation dangereuse avérée pour les travailleurs » du groupe sidérurgique. Le Monde a eu accès à l’intégralité du document, dont l’existence a été révélée par le site Marsactu, lundi 28 janvier.
Lors de sa visite, l’inspectrice s’est concentrée sur la cokerie d’ArcelorMittal, où est produite la coke essentielle à la fabrication de la fonte. Venue contrôler « l’exposition au risque chimique des salariés » de l’une des usines les plus polluantes de France et d’Europe, elle est allée de mauvaise surprise en mauvaise surprise.
Dans son rapport, l’inspectrice relève de nombreuses anomalies et dysfonctionnements qui, note-t-elle, s’inscrivent dans la durée. Elle consigne ainsi « une nouvelle fois la persistance de fuites sur les portes de fours ». Les fours nO 108, 133, 138, 143,145, 148, 154, 158, 160… laissent échapper de manière importante des fumerolles jaunes caractéristiques de l’émanation d’agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR) tels que le benzène, le monoxyde de carbone ou les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP).
Des concentrations 3 206,7 % au-dessus de la norme
Une catégorie de travailleurs est particulièrement surexposée à ces gaz : les ouvriers qui se relaient dans les cabines d’enfournement du charbon. La présence de benzo[a]pyrène, un HAP classé CMR, a été mesurée en août 2018 à des concentrations égales à 3 206,7 % de la valeur limite d’exposition professionnelle. La situation s’est même dégradée, puisqu’un contrôle effectué en juin avait révélé un dépassement de 1 400 %. Aucune mesure corrective n’avait été prise par ArcelorMittal à la suite de ces contrôles, note le rapport de l’inspection du travail.
L’inspectrice a également constaté qu’un salarié conduisait l’une des enfourneuses sans protection respiratoire, que d’autres fumaient, buvaient et mangeaient dans des zones où le port du masque est normalement obligatoire ou encore que le dispositif de détection du monoxyde d’azote au sein des cabines était défaillant.
Sur la base de ces multiples infractions, l’inspection du travail des Bouches-du-Rhône a enclenché une procédure de mise en demeure préalable à l’arrêt temporaire d’activité, et donné deux mois à ArcelorMittal pour établir un plan d’action. Dans un courrier adressé à ses salariés mardi 28 janvier, le groupe sidérurgique tente d’éteindre ce nouveau départ d’incendie. « Contrairement à ce qu’affirment plusieurs articles de presse diffusés ces derniers jours, l’environnement et la santé sont notre principale priorité », indique ArcelorMittal. Le texte reprend les éléments de langage envoyés aux médias.
Le plan réclamé par l’inspection du travail est en cours : 44 actions sur 55 ont été réalisées pour rendre le port du masque obligatoire ou améliorer l’étanchéité des cabines. Le groupe annonce également l’acquisition d’une « enfourneuse de dernière génération », dont la mise en service est prévue en fin 2019.
« Un nouveau plan, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant. Il faut des investissements importants et réguliers car le matériel s’use vite, réagit un représentant de la CFDT d’ArcelorMittal Fos. Ce rapport de l’inspection du travail n’est malheureusement pas une surprise pour nous. Cela fait des années que nous essayons d’alerter la direction sur les problèmes de la cokerie. On sait très bien que les fours ne sont pas étanches et que les salariés sont exposés à des produits cancérogènes. »
Lire aussi La pollution industrielle imprègne les habitants de Fos-sur-Mer
ArcelorMittal explique que 500 personnes travaillant dans la cokerie font l’objet d’une surveillance médicale depuis 2012. Les inquiétudes des syndicats concernent surtout les salariés des sous-traitants, qui ne bénéficient pas toujours du même suivi. « Pendant des années, mon père a été l’un d’eux, confie la même source syndicale. Il faisait le nettoyage dans la cokerie avec un simple chiffon sur le visage, à la Touareg. Il est mort en 2016 d’un cancer du sang sans avoir profité de sa retraite, et quatre de ses collègues sont décédés dans les mêmes conditions. Mais c’est très compliqué pour nous de faire reconnaître les maladies professionnelles. »
La CFDT-Métaux de Fos a décidé de changer de stratégie et de prendre la voie judiciaire. En novembre, elle a porté plainte contre X pour « mise en danger de la vie d’autrui » avec plusieurs associations et riverains de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer. Fin décembre, c’est la préfecture des Bouches-du-Rhône qui a infligé une amende de 15 000 euros et 1 500 euros d’astreinte journalière à ArcelorMittal pour les rejets excessifs et répétés de benzène de sa cokerie.
Stéphane Mandard
• Le Monde. Publié le 30 janvier 2019 à 17h45 - Mis à jour le 31 janvier 2019 à 09h22 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/01/30/a-fos-des-salaries-d-arcelormittal-gravement-surexposes-a-un-gaz-cancerogene_5416861_3244.html