Le 9 octobre, dans la ville allemande de Halle (Saxe-Anhalt), un homme s’est attaqué à une synagogue dans le but d’assassiner des membres de la communauté juive. Ne parvenant à pénétrer dans celle-ci, il a tué deux personnes, l’une d’entre elles dans un restaurant de kebab. Dans un manifeste, le terroriste explique vouloir s’en prendre aux juifs en priorité mais aussi aux musulmans et aux militants de gauche.
Le terrorisme d’extrême droite n’est pas un phénomène récent en Allemagne : en 1980, une attaque à la bombe perpétrée par un néonazi fait douze victimes et des centaines de blessés durant l’Oktoberfest. Le Mouvement clandestin national-socialiste (NSU), qui a assassiné dix personnes dont neuf issues de l’immigration depuis 1999, est démantelé en 2011. En juin 2019, le chrétien-démocrate, Walter Lübcke, favorable à l’accueil des réfugiés, a également été assassiné par un néonazi.
L’attentat de Halle, dont le caractère antisémite et la motivation entretenue par une idéologie d’extrême droite ont rapidement été retenus par le procureur fédéral chargé de l’affaire, témoigne à nouveau du caractère violent de l’extrême droite allemande. Contrairement à la France, l’Allemagne a longtemps été marquée par l’absence d’un fort parti d’extrême droite et la présence d’une importante sous-culture d’extrême droite (25 000 personnes en 2019 dont certaines évoluent dans l’illégalité – 500 extrémistes de droite sont activement recherchés par la police).
Un paradoxe allemand ?
Le cas allemand peut sembler singulier et paradoxal : alors que ce pays est doté d’une des politiques publiques les plus développées contre l’extrémisme de droite, il continue d’être touché par des attentats motivés par cette idéologie.
Or ce que la séquence actuelle laisse peu apercevoir est l’évolution de la lutte contre l’extrémisme politique outre-Rhin. Dès les années 1990, les orientations de cette politique caractérisée par une approche répressive, principalement orientée contre l’extrémisme de gauche, ont été remises en cause. Durant cette décennie, des initiatives de prévention ont émergé au sein de la société civile pour lutter contre l’extrémisme de droite en priorité.
Progressivement, celles-ci ont pu profiter de fonds publics pour bâtir des projets durables tout en se professionnalisant. Désormais de nombreux acteurs associatifs disposent d’une réelle expertise et d’un fort potentiel de mobilisation devant la résurgence de violences d’extrême droite.
Par exemple, la mise au jour du réseau NSU en 2011 a déclenché de larges débats au sein de la société allemande sur l’incapacité des services de sécurité à identifier et à stopper les agissements du réseau terroriste pendant une dizaine d’années et sur la nécessité de réformer l’action des forces de sécurité dans la lutte contre l’extrême droite. Les critiques ont plus largement ciblé la tendance de certains élus – en particulier des chrétiens-démocrates – à continuer de minimiser le danger représenté par cette idéologie.
Cette nouvelle attaque montre que la politique de lutte contre l’extrémisme de droite, performante en matière de prévention, doit aussi être capable d’engager une répression plus systématique des groupes les plus radicaux constitués de longue date. Cela pourrait se traduire par le renforcement des effectifs de policiers et d’agents de renseignement spécialisés, comme l’a annoncé le ministre fédéral de l’intérieur, Horst Seehofer.
Les failles éventuelles des dispositifs existants
En Allemagne, la politique de lutte contre l’extrême droite est largement débattue, rendant visibles les failles éventuelles des dispositifs existants. Or il semble nécessaire, pour replacer l’attentat de Halle dans un contexte plus large, de retenir l’existence singulière de ces débats nourris et audibles dans les médias, faisant dialoguer publiquement acteurs administratifs, élus mais aussi et surtout représentants de la société civile actifs dans les programmes de prévention.
Le lecteur français pourra arguer que cette culture de la discussion est bien normale en raison de l’histoire allemande et d’une scène radicale avec une forte propension à la violence. Pourtant, Europol rappelle, dans un rapport confidentiel de septembre, que l’idéologie d’extrême droite et la mise en réseau des différents groupes extrémistes à l’échelle européenne sont réelles et constituent une menace qu’il faut prendre au sérieux, particulièrement lorsque ces groupes recrutent parmi les forces de sécurité.
Quant au cas français, si le potentiel violent de l’extrême droite n’est certes pas aussi important qu’en Allemagne (13 000 militants violents recensés outre-Rhin contre un millier environ en France), Patrick Calvar, l’ancien directeur de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), a néanmoins souligné dès 2016 la menace que représentent ces groupes.
Hormis des initiatives ponctuelles restreintes à un cercle d’experts telles que la commission d’enquête parlementaire portant sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en 2019, la question de la lutte contre l’extrémisme de droite reste peu discutée.
Elle est tantôt laissée à l’appréciation d’administrations de sécurité dont le travail (et les éventuelles limites) reste finalement méconnu, tantôt à celle de l’exécutif lorsque celui-ci décide, comme cela a été le cas au début de l’année, de dissoudre des mouvements jugés extrémistes. Il ne s’agit pas d’une politique faisant l’objet d’une régulation démocratique dans la mesure où les orientations choisies ne font pas l’objet de discussions publiques régulières permettant de fixer les buts à atteindre et les moyens nécessaires pour les remplir.
Or c’est précisément ce qu’essaient de faire les Allemands. Cette terrible actualité devrait nous amener à nous interroger sur la manière dont nous pensons (ou ne pensons pas, justement) la lutte contre l’extrémisme de droite, et plus largement la protection des valeurs démocratiques, en France. Dès lors, qu’attendons-nous ?
Bénédicte Laumond (Politiste)