Alain Bazot n’est pas du genre à renoncer facilement. Ni à s’en laisse conter par la plus grosse multinationale de France. Il y a un an, le patron d l’UFC-Que Choisir avait proposé l’idée d’une taxe exceptionnelle sur le mégaprofits réalisés par Total en 2005 12 milliards d’euros , un record absol dans l’histoire du capitalisme français. « Démagogique », avait répondu le groupe pétrolier. « Il est urgent d’attendre », avait laissé entendre Thierry Breton. Et la proposition n’avait pas vu le jour. Cette année, nouvelle tentative. A la veille de la publication des résultats de Total qui devraient être aussi énormes que l’an dernier , Bazot a relancé hier l’idée d’un impôt exceptionnel, chiffré à 5 milliards d’euros et payé sur cinq ans. Avec un nouvel élément à la clé : après examen des comptes de Total, il s’avère que les arguments avancés par la multinationale pour échapper à cette taxe étaient « fallacieux ».
« Manipulation ». « Total explique que seulement 5 % de ses profits sont réalisés en France, soit 600 millions d’euros, détaille Alain Bazot. Et que cela n’aurait aucun sens de lui faire payer une taxe sur des profits mondiaux. A priori, c’est un argument frappé au coin du bon sens. Sauf que cela procède d’une manipulation. Nous sommes en mesure de démontrer que les bénéfices réalisés en France par Total représentent 20 % de ses profits mondiaux, soit 2,5 milliards d’euros. » Le raisonnement, détaillé par François Carlier, directeur des études à l’UFC, renverse en fait la perspective. Les 5 % évoqués par Total ne prennent en compte que les activités « aval », localisées sur le territoire français, à savoir le raffinage du pétrole et sa distribution. N’est pas concerné « l’amont », la branche exploration-production, située là où est extrait le pétrole (en Angola, Norvège, Iran...). « Pourtant, le prix payé à la pompe rémunère tous les segments de l’activité du groupe, note François Carlier. Il faut, en fait, considérer que les profits réalisés par Total en France correspondent aux profits réalisés sur le pétrole qu’il commercialise en France ».
A partir des chiffres 2005 fournis par Total, et en les extrapolant, l’UFC a ainsi retracé le cheminement des barils de brut et la marge faite à chaque étape, sachant que Total se vend à lui-même une bonne partie de sa production. L’association estime ainsi à 761 000 le nombre de barils vendus quotidiennement en France par les raffineries de Total et venant d’un de ses puits. Soit 17 % de ses ventes amont mondiales. Et elle considère que 36 % de ses produits raffinés aval sont distribués sur le marché français, soit 852 000 barils par jour. Ce qui donne, après divers calculs et ajustements, 2,5 milliards d’euros de profits, soit 20 % des bénéfices mondiaux. « Il s’agit d’une approximation, concède François Carlier. Si Total pouvait nous communiquer ses chiffres exacts, nous serions ravis... »
« Surprofits ». Poussant le raisonnement, l’UFC considère que, depuis l’explosion des prix du brut en 2003, Total a engrangé, en France, entre 7 et 8 milliards d’euros. Et elle les rebaptise « surprofits », puisque largement supérieurs aux 15 % de retours sur investissement, taux demandé par les marchés financiers. Pour l’association, la taxe exceptionnelle ne doit pas être interprétée « comme une logique de punition » : elle a pour objectif de compenser le manque à gagner des consommateurs, qui n’ont pas eu la possibilité de moins utiliser leur voiture ou de se chauffer autrement qu’au fioul. « Sur 2003-2006, leur facture est passée de 26 à 33 milliards d’euros, soit une augmentation de 33 %, à comparer avec l’inflation de 6 %», note Alain Bazot. Qui espère qu’ « avec le produit de la taxe l’Etat pourrait lancer des investissements pour permettre aux consommateurs de sortir de cette dépendance au pétrole ».
Dernier argument avancé par l’association, l’impôt ne sera même pas douloureux pour les finances du groupe pétrolier, et donc ses futurs investissements. « Chaque année, Total dépense 3 milliards pour racheter ses propres actions, relève François Carlier. Ce qui ne sert qu’à soutenir son cours. Avec 1 milliard prélevé par an, la conséquence sera seulement la diminution d’un tiers de cet acte destiné aux seuls actionnaires. »
Que pense le pétrolier de toutes ces bonnes idées ? Pas du bien. « On dirait qu’ils veulent affaiblir le groupe en Bourse. Ils ne voient pas qu’on est toujours sous la menace d’une OPA hostile », commentait hier une porte-parole du groupe pétrolier. Tout en refusant d’entrer dans le raisonnement de l’association. « Nous avons déjà rencontré l’UFC l’année dernière et nous sommes prêts à recommencer, ajoutait-elle. Mais nous n’avons pas eu le temps de regarder leurs documents. » Alain Bazot, lui, se fiche bien de la réaction de Total. En cette période de campagne électorale, le président de l’UFC espère surtout que son idée sera récupérée par des candidats ayant du mal à boucler le financement de leur programme. L’avis est lancé.