J’ai vaguement suivi la polémique sur la directive visant à permettre à chacun de déterminer son identité et d’exprimer son genre ainsi qu’à protéger les caractéristiques sexuelles des enfants et des adolescents. Contaminé par la légèreté et la superficialité des réseaux sociaux, le débat se concentre à chaque fois sur les détails du droit à des toilettes pour les élèves transgenres à l’école. Conséquence, les opinions radicales foisonnent pour ou contre la directive, et on oublie la modération et l’équilibre.
Il y a des personnes qui jouissent du rare bonheur de toujours avoir une vision claire des choses. Pour les uns, la transsexualité [un terme controversé en France, où les personnes concernées lui préfèrent celui de “transidentité”] est une aberration de la nature qu’il faut réprimer et cacher ; l’État ne peut donc imposer aux enfants “normaux” l’idée que cette déviation est normale. Pour les autres, peu importe qu’on soit garçon, fille, garçon dans un corps de fille ou fille dans un corps de garçon ; l’État doit donc formater la société et supprimer tous les facteurs de différenciation sexuelle, dans les toilettes, les vêtements, les jouets, les noms, partout.
Taux de suicide et d’échec scolaire très élevé
Les choses ne sont cependant pas aussi simples. Dans le confort d’un amphithéâtre, tout le monde peut s’accorder le luxe de proclamer des théories sur la vie des autres sans devoir les vivre et sans conflit de conscience. Or dans ces vies, bien réelles, il y a des situations dramatiques, des enfants et des familles qui sont en grande souffrance, victimes de persécutions, et connaissent un taux de suicide et d’échec scolaire très élevé.
L’État n’a pas à promouvoir ni à réprimer les théories relatives à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, il n’a pas à poser que le fait d’être garçon ou fille n’a aucune importance ni qu’il est erroné et anormal d’être garçon et de se sentir fille ou d’être fille et de se sentir garçon. Ceci ressort du domaine de l’individualité et de l’intimité de chacun et de chaque famille.
Cependant, il y a un problème : les écoles n’ont pas les outils pour gérer les enfants et adolescents qui sont en difficulté à cause de leur sexualité et de leur identité de genre, moqués par leurs camarades, rejetés et malheureux. L’État a donc l’obligation de prendre toutes les mesures adéquates pour favoriser l’inclusion, l’acceptation de la différence et le respect des droits fondamentaux des personnes qui appartiennent aux groupes minoritaires et sont donc plus exposées.
Loin de la caricature
Quand on se donne la peine de lire cette directive, on constate que son contenu n’a rien à voir avec la caricature du garçon effronté qui va pouvoir aller espionner les filles dans leurs toilettes. Les mesures les plus controversées ne s’appliquent qu’aux enfants et aux adolescents qui se trouvent en cours de “transition sociale d’identité et d’expression de genre”, ce qui présuppose que la situation a déjà été détectée et que les intéressés font l’objet d’un suivi par les personnes chargées de l’éducation et les services de pédopsychiatrie.
Il ne s’agit donc pas de permettre à tous les élèves d’intervenir sans contrôle sur les droits des autres – l’idée qu’à partir de maintenant ça va être le foutoir, que tous les garçons et toutes les filles pourront aller dans les toilettes de leur choix est une bêtise. Ce que la directive prévoit, c’est que les enfants et les adolescents transgenres pourront changer le prénom figurant sur les documents scolaires, utiliser le prénom qu’ils se donnent dans toutes les activités de la communauté scolaire, participer aux activités et porter les vêtements correspondant au genre avec lequel ils s’identifient, s’il existe des activités et des uniformes différents selon les sexes et oui, utiliser les toilettes et les douches attribuées au genre avec lequel ils s’identifient.
Il est clair que tout ceci produira à terme un changement culturel. Nos enfants et petits-enfants regarderont leurs camarades transgenres avec plus de naturel, plus de tolérance. Ils cesseront de les humilier et de les rabaisser. Est-ce que c’est mal ? Quelle est l’alternative ? Abandonner ces enfants et ces adolescents à leur sort comme s’ils n’étaient pas des sujets de droit comme les autres ? Les parquer dans les écoles séparées ? Les laisser se suicider en masse ? Ne pas voir leur souffrance et celle de leur famille ? Il ne s’agit pas ici d’être conservateur ou progressiste, de droite ou de gauche, il s’agit de savoir comment faire naître dès l’enfance, à l’école, le respect pour l’autodétermination, la diversité et la vie privée et éliminer les facteurs de différenciation qui favorisent la discrimination et le harcèlement, lesquels n’ont que trop souvent des résultats tragiques.
Manuel Soares
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