Le soleil décline et embrase le relief du parc national de Celaque, dans l’ouest du Honduras, où les paysans du hameau de Villa Verde (dans le département pauvre de Lempira) déplorent la perte de leurs récoltes à cause de la sécheresse.
Pedro Hernández et sa femme, Juana Rodríguez, vivent dans cette localité où l’opulence et la pauvreté se côtoient. Tous deux paysans, ils ne sont pourtant pas bénéficiaires des projets d’irrigation lancés par le gouvernement.
Pedro nous accueille aimablement dans le patio de sa petite maison au toit de tuiles, construite en adobe. Avec pour fond sonore une vache mugissante – sa seule source de nourriture – il nous raconte qu’il a acheté la bête grâce aux dollars envoyés par deux de ses trois fils installés aux États-Unis, où ils ont émigré en quête de nouveaux horizons, car “ici, nous sommes foutus”.
En raison de la sécheresse qui frappe le département de Lempira, Pedro et Juana ont perdu plusieurs fois leurs cultures de maïs et de haricots, qu’ils sèment sur une petite parcelle. Malgré l’adversité, ils continuent d’espérer que leur troisième fils, parti le dimanche 30 juin, arrivera aux États-Unis et leur enverra de l’argent pour subvenir à leurs besoins essentiels. Cette famille se trouve actuellement dans une situation très précaire.
Les caravanes de la sécheresse
Le flot de Honduriens qui émigrent aux États-Unis ne tarit pas depuis 1998, année où l’ouragan Mitch a détruit les récoltes et des infrastructures, mais a aussi provoqué d’autres dégâts collatéraux sur le plan économique. L’émigration s’est toutefois accentuée à partir de 2009, en raison du coup d’État [qui a chassé le président Manuel Zelaya, de centre droit].
Depuis, des gens de tous âges, parfois des familles entières, s’organisent en caravane pour partir.
Au Honduras, il est fréquent que les récoltes de céréales essentielles soient mauvaises, ce qui met à mal la sécurité alimentaire, dans un pays où 69 % des citoyens vivent dans la pauvreté.
Selon la police aux frontières des États-Unis, le nombre de Honduriens qui se présentent à la frontière avec le Mexique et qui y sont arrêtés est passé de 47 900 en 2017 à 205 039 au premier semestre 2019.
Près de chez Pedro, il y a un réservoir prévu pour l’irrigation. “Ils l’ont fait construire, mais ici, pour que les projets aboutissent, il faut de l’argent”, explique-t-il. Il dénonce aussi la politisation du projet, dont les seuls bénéficiaires sont les militants du Parti national (conservateur et proche du gouvernement).
En état d’urgence depuis 2016
Faisant valoir les mauvaises récoltes de céréales de base et l’insécurité alimentaire, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence dans 11 départements du “couloir de la sécheresse” – une bande à l’ouest du territoire hondurien qui subit de plein fouet les rigueurs du climat. Les autorités ont affirmé qu’elles voulaient à l’avenir pallier les effets de phénomènes tels que la sécheresse extrême ou l’irrégularité des pluies, provoqués par le dérèglement climatique.
Cet état d’urgence, qui reste en vigueur en août 2019, a été déclaré en septembre 2016. À ce titre, le ministère de l’Agriculture et de l’Élevage a déclenché le programme présidentiel de collecte d’eau, qui prévoit des réservoirs pour y retenir les eaux pluviales, mais aussi un réseau d’irrigation au goutte-à-goutte pour un certain nombre de citoyens.
Ce projet a été évalué à 8,2 millions de dollars [7,4 millions d’euros]. Pour avoir droit à ces mesures, il fallait avoir maximum un hectare de terres cultivables par famille afin d’irriguer la parcelle. Les foyers retenus devaient à terme obtenir une aide technique, mais elle n’est jamais arrivée.
Sur la propriété de Jeremías Miralda, un producteur petit et âgé qui vit dans le département d’Olancho (l’autre grenier d’Amérique centrale, dans le centre-est du pays), le gouvernement a creusé un gigantesque trou pour y créer un lac de retenue desservant des canaux. Mais ça n’a servi à rien, car ces travaux ont été réalisés à un endroit où il n’y a aucun affluent et où la nature des sols n’est pas compatible avec la filtration.
Projets mal finis et factures invisibles
Sur 70 retenues d’eau, 30 à 40 ne sont pas fonctionnelles, estime le responsable de l’irrigation et du drainage au ministère de l’Agriculture et de l’Élevage, Juan Carlos Colindres, car les bénéficiaires n’ont pas eu les moyens de construire des rigoles. Quand le système fonctionne, c’est parce que les travaux ont pu être terminés grâce aux ressources des bénéficiaires eux-mêmes.
Le projet de Villa Verde est représentatif des problèmes rencontrés : Juan Ramón Melgar explique que le système ne fonctionne qu’à moitié, car la tuyauterie qui relie le réservoir aux canaux d’irrigation n’est pas adaptée à la pression de l’eau et a donc été endommagée. Ce maraîcher raconte que le gouvernement l’a informé, sans montrer de factures, que le projet avait coûté environ 400 000 dollars, mais selon lui, les agriculteurs n’y croient pas. Il sous-entend même que le chantier a été surévalué.
D’après les informations fournies par le gouvernement, 24 entreprises du bâtiment ont à ce jour participé aux chantiers. Le gouvernement se prépare à valider de nouveaux dossiers, alors même que de nombreux ouvrages existants ne sont pas en état de marche.
100 000 personnes touchées par la perte de récoltes
Les erreurs commises sont manifestes. Dans de nombreux cas, les retenues d’eau sont devenues des incubateurs pour les larves de moustique et des abreuvoirs pour le bétail, au lieu de pallier les périodes de sécheresse et d’aider les paysans pauvres qui ont besoin d’un soutien économique et technique de l’État.
Selon les chiffres officiels, lors de la première récolte de 2018 (du 15 avril au 15 août), 80 % du maïs et 20 % des haricots ont été gâtés dans sept départements du couloir de la sécheresse, une catastrophe qui a touché 100 000 personnes. Les données montrent que la récupération d’eau n’est pas efficace. Néanmoins, selon Juan Valladares, vice-président de l’Association hondurienne des producteurs de céréales de base (Prograno), les chiffres relatifs aux récoltes perdues que fournit le gouvernement ne sont pas fiables. Ils servent à justifier un état d’urgence, à valider des achats directs sans appel d’offres, et par conséquent à faciliter la corruption.
D’après les analyses d’Octavio Sánchez, ingénieur agronome et directeur de l’Association hondurienne pour le développement de l’agroécologie (Anafae), de nombreux travaux ont été réalisés sur des parcelles dont les propriétaires refusent maintenant le raccordement à leurs voisins, c’est pourquoi chacun des réservoirs profite exclusivement à un producteur. L’agronome y voit donc “un échec”, même s’il précise qu’il ne faut pas diaboliser les personnes concernées mais plutôt rectifier certaines erreurs, notamment revoir le profil type du bénéficiaire.
Emigrer malgré le risque d’être refoulé
Faute de mesures précises pour remédier à la perte des récoltes et à l’insécurité alimentaire, les habitants du couloir de la sécheresse continuent d’émigrer à l’étranger ou s’installent ailleurs au Honduras, dans l’espoir d’y vivre dans de meilleures conditions.
La municipalité de Cedros, en plein cœur du pays, est l’une des zones qui se vide le plus de ses habitants. Beaucoup d’hommes partent en direction des États-Unis, et les femmes vont plutôt en Espagne.
La famille de Vilder Canaca a été éclatée par les migrations. Quatre de ses six enfants ont émigré aux États-Unis. En juin, l’aîné, Osman, a été le cinquième à partir, mais son périple s’est soldé par un échec, car il a été expulsé en juillet par les autorités étatsuniennes. Outre les membres de la famille Canaca, beaucoup d’autres sont partis, certains en rémunérant des “coyotes” (des passeurs), d’autres en essayant de franchir le río Bravo ou d’escalader le mur de Tijuana, qui séparent le Mexique des États-Unis.
Selon un rapport rédigé en 2016 à partir de données de 2015, les Honduriens qui vivent dans le couloir de la sécheresse quittent leur région pour plusieurs raisons, dont le manque de nourriture et d’argent, le chômage, les mauvaises récoltes, le regroupement familial, le déplacement forcé ou encore les violences.
La sécurité alimentaire menacée
Cette étude, réalisée par la Banque interaméricaine de développement (BID), le Fonds international de développement agricole (Fida), l’Organisation des États américains (OEA), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et le Programme alimentaire mondial (PAM), révèle que les personnes qui quittent le Salvador, le Guatemala et le Honduras et qui sont ensuite présentées aux services mexicains de l’immigration sont principalement des hommes (79 %), et que la moitié d’entre eux travaillaient dans l’agriculture avant d’émigrer.
Les mauvaises récoltes de céréales essentielles sont récurrentes au Honduras. Mais la situation s’est aggravée à partir de 2014 en raison de la modification du régime des pluies, qui se concentrent à certaines périodes de l’année ou se prolongent à d’autres moments, selon les conclusions de la Commission permanente chargée de la gestion des catastrophes (Copeco).
Cette conjoncture menace la sécurité alimentaire. Face à cette crise, le gouvernement du Honduras a mis en place plusieurs mesures : l’indemnisation, la distribution de rations alimentaires, mais aussi la construction de petits réseaux d’irrigation, dont beaucoup sont insuffisants ou inefficaces, notamment les réservoirs d’eau.
Selon une étude du Programme alimentaire mondial, un foyer sur quatre dans le couloir de la sécheresse au Honduras est en situation d’insécurité alimentaire modérée ou grave – soit un total de 525 000 personnes.
Des millions de dollars à disposition
Paradoxalement, si les Honduriens n’ont aucun moyen de s’en sortir, les budgets affectés à la crise climatique et alimentaire sont de plus en plus importants. Dans le couloir de la sécheresse au Honduras, des millions de dollars ont été investis grâce aux fonds d’organismes internationaux de coopération.
Malgré tout, les résultats restent insatisfaisants, car la gestion des sommes allouées n’a pas été coordonnée, explique Rolando Sierra Fonseca, directeur de la branche hondurienne de la Faculté latino-américaine de sciences sociales (Flacso).
Lors de son discours au 26e Sommet ibéro-américain, qui s’est déroulé en novembre 2018 à Antigua (Guatemala), le président hondurien, Juan Hernández, a déclaré que l’émigration de ses compatriotes était en grande partie due aux conséquences du changement climatique.
Juan Hernández, qui est soupçonné de corruption, s’est félicité le 6 juillet de l’obtention de 35 millions de dollars affectés par le Fonds vert pour le climat (soit des dons à hauteur de 24,2 millions de dollars et un prêt de 10,8 millions de dollars). Le chef du gouvernement a spécifié que cet argent servirait à restaurer 270 000 hectares de forêts.
Le Honduras n’a pas non plus de ministère du Changement climatique. Cette question est placée sous la responsabilité d’un commissaire rattaché à la présidence de la République, c’est pourquoi les fonds alloués au Honduras pour gérer le changement climatique seront administrés directement par l’exécutif.
Emy Padilla
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