Trois jours après les incidents racistes devant la résidence d’étudiants papous de Surabaya – à Java-Est –, Benny Wenda, militant indépendantiste papou, a publié un manifeste daté du 20 août 2019. Dans son texte, il réclame de toute urgence l’organisation d’un référendum. C’est, à ses yeux, la seule issue possible au conflit en Papouasie. Son message exhorte la population papoue à se mobiliser et à se consolider de manière pacifique.
Benny Wenda, 45 ans, est le président du Mouvement de libération uni pour la Papouasie occidentale (ULMWP). Il vit actuellement à Oxford, en Angleterre, où il a obtenu l’asile politique en 2003. Dans une interview publiée dans Tempo le samedi 31 août 2019, il déclarait :
“Enough is enough*. Notre génération a changé. C’est une génération well educated* qui prend conscience des injustices et s’implique.”
Diffuser les appels à manifester sans Internet
De l’Angleterre, le message de Benny Wenda a été diffusé en Papouasie via un parcours sinueux. Ainsi, le directeur de l’ULMWP, Markus Haluk, qui vit en Indonésie, explique qu’il n’a pas été facile de le faire connaître à la population. En effet, le gouvernement indonésien avait commencé à limiter l’accès à Internet en Papouasie, pour prévenir la désinformation.
La déclaration de Benny étant enregistrée comme fichier numérique, les membres de l’ULMWP l’ont découpée pour en faire des SMS. Ils ont aussi glissé les recommandations de Benny, à l’oral, dans leurs conversations téléphoniques. Ces deux modes de communication continuent à fonctionner en Papouasie malgré la suspension d’Internet.
L’ULMWP a également contacté les relais de l’organisation dans tous les coins de la Papouasie. Markus affirme que des groupes de sympathisants sont présents dans chaque ville et chaque canton :
“Ils ont tous entendu parler de l’incident raciste à Surabaya. Il suffit de pousser un peu le bouchon pour qu’ils bougent.”
Un feu qui couve depuis longtemps
Le président du Comité national de la Papouasie occidentale [KNPB, fondé en 2008 par diverses associations locales pour mener une campagne non-violente en faveur de l’organisation d’un référendum], Agus Kossay, reconnaît avoir lu le manifeste de Benny.
Selon lui, ce message n’est pas le seul à avoir poussé les gens à descendre dans la rue. Le KNPB, dit-il, projetait depuis longtemps d’organiser des manifestations contre la discrimination envers la population papoue.
“Nous voulons nous libérer des mailles de la discrimination et du colonialisme.”
Pour lui, l’incident raciste de Surabaya a attisé le feu qui couvait.
Agus a lancé l’ordre de manifester aux antennes du KNPB dans tous les districts et toutes les villes de Papouasie via une chaîne de SMS, et des tracts distribués dans les lieux publics. Au début, il réclamait juste l’ouverture d’une procédure judiciaire contre les auteurs des actes racistes de Surabaya.
Cette revendication s’est transformée en une mobilisation pour que le gouvernement indonésien organise un référendum sur l’indépendance de la Papouasie.
Une intégration à l’Indonésie rejetée
En août 1969, une consultation avait été organisée sur le statut de la Papouasie occidentale. Connu sous l’appellation “Acte de libre choix”, ce vote auquel ont participé des représentants de la population papoue sélectionnés par le gouvernement indonésien a décidé que l’Irian [nom alors donné à la Papouasie par l’Indonésie] ferait partie de l’Indonésie.
Depuis un demi-siècle, les groupes indépendantistes contestent ce référendum qu’il juge non démocratique. Pour Agus :
“L’intégration de la Papouasie à l’Indonésie s’est faite de force depuis l’origine.”
Selon deux hauts responsables de la police et un haut gradé de l’armée indonésienne, les manifestations en Papouasie ne vont pas s’arrêter avant la prochaine session de l’Assemblée générale des Nations unies, qui aura lieu le 17 septembre.
L’objectif étant ainsi de porter la question de l’indépendance de la Papouasie et des violations des droits humains devant ce forum. “Leur but est de réclamer un référendum”, affirme un de nos interlocuteurs.
Des manifestations qui tournent à l’émeute
Le 29 août, Rifai Yusup, comme plus de 2 000 autres habitants de Jayapura, la capitale de la province de Papouasie, s’est enfui de sa maison pour se réfugier dans la base militaire de la marine nationale, la situation en ville étant devenue trop dangereuse.
L’ambiance de la manifestation de ce 29 août était, raconte-t-il, différente des actions organisées dix jours auparavant. Le 19 août, les manifestants défilaient dans l’ordre. Le 29 août, les manifestants pacifiques s’étaient transformés en émeutiers. Rifai Yusup témoigne :
“Ils avançaient à pied en lançant des projectiles contre les bâtiments le long des rues. Et ils incendiaient les motos, les voitures et les magasins dans le quartier d’Entrop.”
Jayapura s’est enflammé. Le feu a détruit les bureaux de la compagnie nationale de téléphone, une station d’essence, le bâtiment du parlement papou et une partie du palais du gouverneur.
Un mot de passe pour incendier les bâtiments publics
Des émeutes visant des bâtiments publics se sont aussi produites dans d’autres régions : le feu a dévoré le marché Thumburuni à Fakfak, une prison à Sorong, et les bureaux du parlement régional à Manokwari.
Deux fonctionnaires chargés d’observer la situation, qui sont en contact avec les groupes de manifestants sur le terrain, disent qu’un code spécial circule pour inciter à mettre le feu aux équipements publics.
“Le mot de passe est ‘terang’ [‘clair’]”, affirme l’un de ces deux fonctionnaires.
“Si les manifestants disent que cette ville n’est pas encore ‘claire’, cela signifie qu’elle n’a pas encore subi d’incendie.”
Selon le président du KNPB, Agus Kossay, les incendies des bâtiments et des marchés par la foule sont des actes spontanés.
Symptômes d’un ras-le-bol
Un point de vue partagé par Ronald Mambieuw, le commandant du Parlement de la rue, un des mouvements qui a participé à l’organisation des manifestations. Pour lui :
“C’est une prise de conscience naturelle contre le racisme.”
D’après ses observations sur le terrain, nombre d’émeutes ont été menées par des foules qui ne sont affiliées à aucune organisation ni groupe précis de manifestants.
Benny Wenda réfute l’accusation de la police selon laquelle il serait l’instigateur principal de ces émeutes. Il répète que les raisons de cette fureur sont là depuis des années :
“C’est comme une bougie allumée qu’on pose sur des herbes sèches : elle va tout brûler.”
* En anglais dans le texte.
Raymundus Rikang
Steganus Pramono
Devy Ernis
Friski Riana
Hendartyo Hanggi
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