Il a d’abord cru à « une blague », à une « fake news ». C’est peu dire que le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), Daniel Cueff, a accueilli avec perplexité la proposition du gouvernement de fixer à 5 mètres ou 10 mètres, selon les cultures, la distance minimale entre les habitations et les zones d’épandage de pesticides. En mai, l’élu de cette petite commune rurale avait pris un arrêté interdisant l’usage de ces produits de synthèse à moins de 150 mètres des habitations. Celui-ci a été attaqué par l’Etat (le préfet) puis suspendu par la justice. Depuis, une vingtaine de maires l’ont imité dans leur commune. A l’instar de Daniel Cueff, ils ne cachent pas leur déception après l’annonce du gouvernement.
« Cette décision me paraît insuffisante. On acte, mais il faut aller plus loin », a également réagi l’ancien ministre de la transition écologique et solidaire Nicolas Hulot. Le 3 septembre, il avait cosigné avec d’autres responsables associatifs une tribune dans Le Monde pour appeler les maires de France à prendre des arrêtés contre les épandages de pesticides et demander à l’Etat de renoncer à les poursuivre.
Le gouvernement dit s’appuyer sur des données scientifiques issues d’un avis rendu en juin par l’Agence française de sécurité sanitaire pour fixer ces limites de 10 mètres et 5 mètres. Concrètement, la distance proposée est de 10 mètres minimum pour l’épandage des substances « les plus dangereuses » – les fongicides, herbicides et autres pesticides potentiellement cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques comme le fameux glyphosate. Pour les autres produits phytosanitaires, la distance dépendra du type de culture : 10 mètres pour les cultures hautes (vignes ou arbres fruitiers) et seulement 5 mètres pour les cultures dites basses comme les céréales.
« Chartes » départementales
Le gouvernement envisage même la possibilité de réduire ces distances dans le cadre de « chartes » qui devront être validées au niveau départemental, après « échanges » entre agriculteurs, riverains et élus. Ainsi, elles pourront être ramenées à 3 mètres pour les cultures basses et la viticulture et à 5 mètres pour les autres cultures, à la condition d’avoir recours à « des matériels de pulvérisation les plus performants sur le plan environnemental ».
Ce « nouveau dispositif de protection des riverains vis-à-vis de l’utilisation des produits phytosanitaires » doit déboucher sur un arrêté (distance minimale) et un décret (règles d’élaboration des chartes) qui entreront en vigueur le 1er janvier 2020. Il est soumis à une consultation publique qui s’ouvre lundi 9 septembre pour une durée de trois semaines.
Les maires qui ont pris des arrêtés antipesticides et les associations environnementales veulent faire entendre leur voix durant cette phase de consultation. « On sait que les dérives directes comme le vent et les réévaporations de pesticides après les épandages impactent les habitations environnantes largement au-delà des 100 premiers mètres du lieu de pulvérisation. Dans ces conditions, 5 mètres ou 10 mètres de distance ne représentent absolument pas une distance susceptible de réduire de manière significative l’exposition des riverains aux pesticides : c’est moins que la largeur d’un chemin rural et de ses bordures ! », estime François Veillerette, directeur de Générations futures.
En pointe dans la lutte contre les pesticides, cette ONG a indirectement contraint le gouvernement à prendre un nouvel arrêté encadrant leur usage. En juin, elle avait en effet obtenu devant le Conseil d’Etat l’annulation du texte du 4 mai 2017 qui réglementait les épandages. Et la haute juridiction administrative avait demandé à l’Etat de prendre des mesures supplémentaires de protection des riverains d’ici à la fin de l’année.
« Il s’agit d’une question de santé publique majeure et il est du devoir du gouvernement de protéger la santé des personnes face à ces produits dont beaucoup sont des perturbateurs endocriniens, pouvant agir à de faibles doses sur de jeunes enfants ou le fœtus. Il doit instaurer des distances bien supérieures sans pulvérisation de pesticides de synthèse, poursuit le directeur de Générations futures. Nous demandons au gouvernement de ne pas céder à la pression de la FNSEA. »
Le syndicat agricole n’a pas applaudi à l’annonce du gouvernement. « Ce sont des retraits importants de terres agricoles, ce qui représente un manque à gagner très important, surtout dans les zones périurbaines », a commenté son administrateur, Christian Durlin. Pour l’association France Nature Environnement (FNE), dont la pétition pour l’interdiction des épandages de pesticides à proximité des habitations a reçu plus de 16 000 signatures cet été, c’est pourtant une victoire du « lobby agricole ». « C’est assez décevant de voir qu’au sein du gouvernement, c’est le ministère de l’agriculture qu’on écoute, avant les enjeux sanitaires et environnementaux », a regretté Thibault Leroux, spécialiste des questions d’agriculture à FNE.
« Folie pour les consommateurs »
Le 27 août, la ministre de la transition écologique et solidaire avait déclaré « partage[r] totalement la préoccupation du maire de Langouët », laissant penser que le gouvernement s’orienterait sur une distance d’interdiction de 150 mètres pour s’aligner sur les arrêtés municipaux.
Mais le 3 septembre, son homologue à l’agriculture, Didier Guillaume, a mis son veto. « S’il devait y avoir des zones de non-traitement de 150 mètres autour de toutes les habitations (…), ce ne serait pas de la folie pour les agriculteurs mais ce serait de la folie pour les consommateurs, avait tonné le ministre au micro d’Europe 1. Les agriculteurs ne seraient plus à même de fournir notre autonomie alimentaire et nous serions obligés d’acheter de l’alimentation venant d’ailleurs. » Le ministre estime que la surface agricole cultivée serait « amputée » de 20 % à 30 %.
Pour le gouvernement, avec ce dispositif de chartes et de zones tampon de 5 mètres à 10 mètres, « la France se dote d’un cadre national pour la protection des riverains et deviendra un des seuls pays européens à instaurer de telles mesures ». Une annonce qui intervient dix ans après la directive européenne de 2009 imposant aux Etats membres de définir de tels périmètres de sécurité à proximité de lieux accueillant le grand public.
Stéphane Mandard
• Le Monde. Publié le 09 septembre 2019 à 10h32 - Mis à jour le 09 septembre 2019 à 14h10 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/09/pesticides-bataille-autour-des-zones-tampons-entre-cultures-traitees-et-habitations_5508149_3244.html
Pesticides : le gouvernement propose une distance minimale de 5 à 10 mètres, « très insuffisante » pour les ONG
Cette distance minimale entre les habitations et les zones d’épandage de produits phytosanitaires est nettement inférieure à celle réclamée par certains maires qui ont pris des arrêtés antipesticides.
Voilà qui décevra les maires qui, un peu partout en France, multiplient les arrêtés antipesticides, après la suspension très médiatisée de celui de Langouët (Ille-et-Vilaine), en Bretagne, Daniel Cueff. Le gouvernement va proposer de fixer à 5 ou 10 mètres, selon le type de cultures, la distance minimale entre les habitations et les zones d’épandage de produits phytosanitaires. Soit une distance nettement inférieure à celle réclamée par certains édiles.
« Le gouvernement va soumettre à consultation lundi un projet de décret qui part des recommandations scientifiques de l’Agence nationale de sécurité sanitaire » (Anses), a fait savoir samedi 7 septembre un porte-parole du ministère de l’agriculture, confirmant une information de BFM-TV.
La distance minimale à respecter proposée est de 10 mètres pour les « substances les plus dangereuses », précise un communiqué commun des ministères de la transition écologique, de la santé et de l’agriculture. Pour les autres produits, elle sera de 5 mètres pour les cultures dites basses, comme les céréales et de 10 mètres pour les cultures hautes, telles que les vignes.
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Applicaple en janvier 2020
L’Anses a recommandé en juin de mettre en place des distances de sécurité « au moins égales » à 3, 5 et 10 mètres entre les cultures et les bâtiments habités, selon le type de culture et le matériel utilisé pour la pulvérisation. Des distances « supérieures » devraient être respectées « par mesure de précaution, en particulier pour les produits classés cancérogènes, mutagène ou toxique pour la reproduction ».
La consultation durera trois semaines. « Le gouvernement tranchera en octobre-novembre », a complété le porte-parole. « Dans la loi Egalim, il y a des dispositions spécifiques pour la protection des riverains via la mise en place de chartes concertées avec les riverains, les agriculteurs », a rappelé de son côté Matignon.
Ces règles concernant l’élaboration de chartes et de distances minimales à respecter pour l’épandage des pesticides « vont figurer dans des textes qui entreront en application au 1er janvier 2020 », a ajouté Matignon.
Appel à la « mobilisation citoyenne » pour aller plus loin
Les organisations écologistes, au premier rang desquelles France Nature Environnement (FNE), ont immédiatement protesté contre des mesures jugées « vraiment insuffisantes, au vu de ce que dit l’Anses, au vu des études scientifiques », selon Thibault Leroux, chargé de mission de l’association.
« Cette décision me paraît insuffisante. On acte, mais il faut aller plus loin », a déclaré l’ancien ministre de l’écologie Nicolas Hulot, lors d’une conférence au festival « d’éco-mobilisation » Climax.
Des premières versions du décret ont circulé avant l’été, et FNE s’attendait à « un fort lobbying du secteur agricole ». « C’est assez décevant de voir qu’au sein du gouvernement, c’est le ministère de l’agriculture qu’on écoute, avant les enjeux sanitaires et environnementaux », a regretté M. Leroux.
France Nature Environnement va participer à cette consultation et mise sur une « mobilisation des citoyens » pour faire bouger les lignes. « Je n’y crois pas, je pense que c’est un poisson d’avril », a réagi sur BFM-TV Yann Arthus-Bertrand, président de la fondation Good Planet :
« Je ne peux pas croire qu’aujourd’hui les lobbyistes soient plus forts que la santé de la population. C’est insultant pour les gens qui se battent depuis si longtemps contre les pesticides. »
David Cormand, secrétaire national d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), reconnaît un caractère « historique » à cette décision du gouvernement : « C’est la première fois que l’Etat admet qu’il y a un danger grave pour les gens » après l’épandage, a-t-il souligné sur la même chaîne. Mais « le problème, c’est le côté anecdotique de la décision qu’ils en tirent » : « Une zone tampon de 5 à 10 mètres, ça n’a pas de sens ! »
En revanche, la mise en place de zones de non-traitement est synonyme de mauvaise nouvelle pour la FNSEA. « Ce sont des retraits importants de terres agricoles, ce qui représente un manque à gagner très important, surtout dans les zones péri-urbaines », a commenté auprès de l’AFP Christian Durlin, administrateur du syndicat agricole.
« Nous pensons qu’il faut surtout se baser sur d’autres alternatives », a-t-il ajouté, précisant que la FNSEA souhaitait le développement de chartes locales.
Dans son avis, l’Anses recommande également de généraliser les dispositifs limitant la dérive des pesticides, comme des buses par exemple.
Le gouvernement opposé à une interdiction générale
Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation, Didier Guillaume, s’était opposé mercredi à l’idée d’une interdiction générale de traitement par des produits phytosanitaires dans une zone uniforme de 150 mètres autour de bâtiments habités, proposée par des maires et des associations.
« S’il devait y avoir des zones de non-traitement de 150 mètres (…) nous serions obligés d’acheter de l’alimentation venue d’ailleurs », car une telle mesure réduirait les surfaces agricoles et le potentiel de production alimentaire en France, a-t-il affirmé au micro d’Europe 1. « 150 mètres, c’est une mesure qui a été prise par des citoyens (...) je peux comprendre leurs craintes, mais nous, nous nous appuyons sur la science », a-t-il encore estimé sur BFM-TV.
Le maire écologiste de Langouët, Daniel Cueff, qui avait pris un arrêté interdisant les pesticides à moins de 150 m des habitations, suspendu par la justice, a qualifié de « pas croyable » la proposition du gouvernement de fixer une distance de 5 ou 10 mètres.
« Quand j’ai appris ça, je pensais que c’était une “fake news” et que ce n’était pas sérieux ! Cette proposition n’est pas croyable », a réagi le maire de cette commune rurale proche de Rennes. On est tombé de notre chaise, car ces 5 et 10 mètres, ce sont des protocoles déjà mis sur des bidons de pesticide de synthèse. » Et d’expliquer :
« On s’est aperçu que, pour moins respirer les glyphosates et les pesticides de synthèse, il fallait une bande de 150 mètres, car là il y a moins de chances de respirer ces pesticides qui sont volatils et qui sont dans l’air. »
Selon le maire, dont l’arrêté a entraîné la médiatisation du sujet au plan national, le président, Emmanuel Macron, et le gouvernement n’ont pas pris « la mesure de cette vague qui ne voudra pas et ne voudra plus être face à des pesticides de synthèse dans l’air ».
M. Cueff avait pris le 18 mai un arrêté interdisant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques « à une distance inférieure à 150 mètres de toute parcelle cadastrale comprenant un bâtiment à usage d’habitation ou professionnel ». Ce texte a été suspendu mardi par le tribunal administratif de Rennes.
• Le Monde. Publié le 07 septembre 2019 à 11h21 - Mis à jour le 08 septembre 2019 à 06h18 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/07/contre-les-pesticides-le-gouvernement-propose-une-distance-minimale-de-5-a-10-metres_5507642_3244.html