“Les orphelins de la nation”. C’est ainsi que l’Indian Express désigne, dans son édito du lundi 2 septembre, les habitants de l’État indien de l’Assam (situé à la frontière avec le Bangladesh), auxquels la Cour suprême de l’Inde a décidé de retirer leur nationalité.
La liste des parias, en gestation depuis 2015, a fait apparaître 1,9 million de noms de gens qui, n’ayant pas été en mesure de prouver leur présence ou celle de leurs aïeux sur le sol indien avant 1971 (date de l’indépendance du Bangladesh voisin), vont maintenant devenir apatrides. Une très grande majorité d’entre eux sont musulmans.
De nouvelles lignes de fracture
“Les premières réactions des partis politiques et du milieu associatif indiquent que le registre national des citoyens a peut-être ouvert de nouvelles lignes de fracture”, observe le journal. À Delhi, le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi assure que “personne” ne sera renvoyé hors des frontières de l’Inde. “Il a promis une aide juridique à tous ceux qui souhaitent faire appel devant la justice dans les cent vingt jours qui viennent”, salue l’Indian Express.
Ce projet de recensement des migrants remonte à 1951 et, depuis, “la politique nationaliste locale, qui privilégiait l’identité assamaise par rapport à d’autres catégories, notamment la classe sociale, la caste ou la religion, a façonné l’imaginaire social dans la région, avec des conséquences dévastatrices”. Personne ne sait en effet ce qu’il va advenir des centaines de milliers de personnes concernées.
Les migrants du Bangladesh dans la ligne de mire
Dans une tribune publiée par Scroll, Smitana Saikia, professeur à l’université Flame de Pune, estime que “l’exercice bureaucratique complexe” qui vient de se dérouler dans l’Assam “a ironiquement rendu illégitimes les droits politiques des individus en invoquant la citoyenneté”, dans le but “de détecter les migrants clandestins” originaires du Bangladesh, qui était auparavant la partie orientale du Pakistan.
En dépit des affirmations de Delhi, les nouveaux apatrides devraient automatiquement voir leurs noms disparaître des listes électorales. S’agissant des musulmans, traditionnellement enclins à voter pour le Parti du Congrès et les partis régionaux, plutôt que pour le BJP actuellement au pouvoir, on comprend la logique.
Mauvais calcul pour le BJP de Narendra Modi
Mais comme le fait remarquer Scroll dans une analyse publiée dimanche 1er septembre, sur la liste du 31 août figureraient un certain nombre de gens parlant le népalais et l’hindi et, surtout, “un grand nombre d’hindous du Bengale”.
Résultat : les partisans du BJP sont très mécontents de l’issue de cette affaire, car elle va “à l’encontre de leurs calculs électoraux”. Les hindous, dont les racines se trouvent soit au Bangladesh actuel, soit dans l’État indien du Bengale-Occidental créé lors de la partition de 1947, “constituent le plus ancien réservoir de voix” du parti de Narendra Modi dans l’Assam. En somme, l’arroseur a été arrosé.
Guillaume Delacroix
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