La colère gronde dans les deux provinces constituant la Papouasie indonésienne, situées à l’ouest de la Papouasie-Nouvelle-Guinée indépendante. La région est en proie depuis dix jours à un soulèvement qui a gagné toutes les principales villes. Selon certaines sources, six personnes ont été tuées dans des heurts dans un district du centre, Deiyai, mercredi 28 août, lorsque la police a tiré à balles réelles sur des manifestants. La police a, de son côté, confirmé un mort dans ses rangs et deux dans ceux des protestataires.
Les troubles ont débuté à la suite d’une descente de police non pas sur l’île de Papouasie mais dans la deuxième ville d’Indonésie, Surabaya, le 17 août, date de la fête de l’indépendance indonésienne. En cette occasion, les habitants de l’archipel doivent hisser le drapeau rouge et blanc devant chez eux.
Ce jour-là, des allégations selon lesquelles des étudiants de la minorité papoue auraient arraché un drapeau qui flottait devant leur dortoir, avant de le jeter dans le caniveau, sont remontées à la police locale. Les agents ont mené une importante opération sur les lieux, entrant par la force et employant des gaz lacrymogènes. Quarante-trois jeunes ont été emmenés au poste. Des vidéos ont circulé les jours suivant sur les réseaux sociaux dans la communauté papoue, montrant des policiers et des membres d’une milice nationaliste du quartier traitant les étudiants de « singes » et de « chiens ». L’armée a précisé que les officiers en question seraient rappelés à l’ordre.
Il n’en fallait pas davantage pour que les Papous se mobilisent, après des décennies de frustration politique. Ancienne colonie néerlandaise, la moitié occidentale de l’île de Papouasie a été rattachée à l’Indonésie de Sukarno après un accord de 1962, prévoyant l’organisation sous sept ans d’un référendum d’autodétermination pour ce peuple mélanésien. En 1969, seuls 1 025 citoyens soigneusement désignés par l’armée indonésienne étaient appelés à voter, et optaient sans aucune surprise pour le rattachement à l’Indonésie, un processus approuvé par les Nations unies.
La Papouasie indonésienne est depuis en proie à un mouvement indépendantiste, violemment réprimé par les autorités centrales, et incarnée par une rébellion armée, l’Organisation pour une Papouasie libre.
« L’étoile du matin »
Dès le 19 août, des manifestants descendaient dans les rues de Manokwari, la capitale de la province de Papouasie occidentale, et mettaient le feu au Parlement local. Une prison était également incendiée, permettant à 250 condamnés de s’enfuir. La mobilisation n’a pas cessé depuis. Internet a été coupé sur place, afin d’éviter, selon Djakarta, que se propagent les fausses rumeurs, mais la population y voit une tentative d’étouffer le mouvement, et au moins un bureau d’une compagnie de télécoms a été incendie.
A Sorong, la plus grande ville de cette province, les manifestants s’en sont pris à l’aéroport. Dans la ville de Deiyai, des milliers de protestataires se sont rassemblés lundi aux cris de « Papouasie libre ! », « La Papouasie n’est pas rouge et blanche, la Papouasie est l’étoile du matin », référence au nom du drapeau indépendantiste. Ou encore « Indonésie, va-t-en ! »
Jeudi, à Jayapura, la capitale de la province de Papouasie, les protestataires ont incendié une prison où sont incarcérés des militants indépendantistes, certains s’échappant, ainsi qu’un poste de police et des véhicules de la garnison locale. Des troupes supplémentaires ont été envoyées dans cette région déjà sous forte présence militaire, et à laquelle la presse étrangère n’a pas accès.
Investissements massifs
A Djakarta, des centaines de jeunes Papous ont défilé du quartier général de l’armée à la résidence présidentielle, mercredi. « Les étudiants et le peuple papou sont tous d’accord pour un référendum », a déclaré au Djakarta Post un des coordinateurs de la mobilisation, Ambrosius, qui, comme il est commun dans l’archipel, n’a qu’un nom.
Le président indonésien, Joko Widodo, surnommé « Jokowi », a appelé les Papous à ne pas commettre d’« actes anarchiques ». « Nous y perdons tous si les biens publics que nous avons bâtis ensemble sont endommagés », a tenté de faire valoir jeudi à la télévision le chef de l’Etat, qui avait déjà appelé à « se pardonner mutuellement » au lendemain de la descente sur le dortoir. « Le gouvernement reste déterminé à améliorer la situation de la Papouasie, afin que nos concitoyens et les enfants de Papouasie puissent jouir du progrès et de la prospérité », a dit le président, réélu en mai.
« Jokowi » espère atténuer les maux de la Papouasie indonésienne en y investissant massivement et en développant les infrastructures. La région est riche en ressources naturelles, elle abrite notamment le site de Grasberg, première mine d’or et deuxième site d’extraction de cuivre de la planète. Le président a annoncé en décembre 2018 que l’Etat avait récupéré une part majoritaire de ce site, contre 3,85 milliards de dollars, pour que la rente profite davantage au pays.
La route de la discorde
Le président a par ailleurs consacré l’équivalent de 1,25 milliard d’euros du budget de l’Etat à la construction d’une route nationale sur plusieurs milliers de kilomètres dans la moitié occidentale de l’île. Mais les indépendantistes papous y voient, au contraire, un moyen évident pour Djakarta de renforcer son emprise sur la région et d’en piller davantage les richesses.
Les attaques contre le chantier de la route se sont multipliées ; seize ouvriers ont été tués en décembre 2018. Les combats ont forcé des centaines de villageois à fuir. Le président avait dû annoncer en mars, à l’approche du scrutin, que 600 soldats seraient déployés sur le chantier pour mener à bien un des projets-phares de sa présidence.
Harold Thibault