Vive la libéralisation de l’énergie grâce à laquelle on peut choisir un fournisseur d’électricité verte : tel est, en substance, le message du parti Ecolo et d’un certain nombre d’associations environnementalistes. « Faire le choix de l’électricité verte, c’est bon pour la planète, bon pour l’emploi, bon pour les générations futures et bon pour le portefeuille », lit-on par exemple sur le site Etopia (1). Dans cette prose enthousiaste, on cherchera en vain une critique de la libéralisation et de l’idéologie qui l’entoure ! La fin verte justifierait-elle les moyens bleus ? Verra-t-on bientôt nos Ecolo reprendre la phrase célèbre de Deng Xiaoping, l’artisan de la conversion de la Chine à l’économie de marché : « Peu importe qu’un chat soit noir ou gris, du moment qu’il attrape les souris » ?
Il fut un temps où les élus ECOLO au Parlement belge avaient le courage, seuls contre tous, de voter contre le Traité de Maastricht. En expliquant notamment toutes les bonnes raisons écologiques ET sociales de défendre les services publics et les entreprises publiques. Ce temps-là n’a pas duré. Dès 1999, Olivier Deleuze jouait une musique plus douce aux oreilles néolibérales : « En ce qui concerne le secteur énergétique, je suis partisan d’une économie de marché régulée » (2). José Daras abondait dans le même sens : la libéralisation voulue par l’UE « ne me donne aucun mal de tête idéologique » et « nous n’avons pas intérêt à en freiner le rythme » (3). Encore les déclarations de ce genre étaient-elles contestées à l’époque par une fraction de la base verte. Aujourd’hui, foin de contestation, cela semble passer comme lettre à la Poste… Une bonne participation gouvernementale à la gestion capitaliste, il n’y a décidément rien de tel pour déraciner dans un parti jusqu’à l’idée même d’une alternative de société ! Le modèle d’Ecolo, c’est le petit-bourgeois qui s’imagine que le « libre choix » de son fournisseur de courant, de téléphonie, d’internet (et demain d’eau, de services postaux, d’enseignement…) suffit à faire de lui un militant du changement.
Tout à leur euphorie turquoise, les verts n’hésitent pas à peindre en rose une réalité qui est beaucoup moins avenante. La question du statut des travailleurs de l’énergie ? Evacuée… Passons donc en revue les autres sources d’enthousiasme d’Etopia. « Bon pour la planète » et « pour les générations futures » ? Mmmoui… à condition que l’énergie verte remplace l’énergie fossile, dans le cadre d’une réduction importante de la consommation. Or, la libéralisation ne va pas dans ce sens-là, au contraire (4). « Bon pour l’emploi » ? Foutaise ! L’étude Econotec prévoit la suppression de 250.000 postes de travail dans le secteur européen de l’énergie, du fait de la libéralisation. « Bon pour le portefeuille » (5) ? On verra. Le portefeuille de qui ? Les marchés ça se manipule, les pénuries organisées pour faire monter les prix, ça existe (on a vu ça en Californie). D’une manière générale la libéralisation, tous secteurs confondus, et au-delà d’une première phase de mise en œuvre, se traduit par une hausse des tarifs pour le plus grand nombre.
Que les renouvelables soient bons et permettent de créer des emplois, c’est une évidence. Mais la libéralisation, elle, est mauvaise pour la planète, nuisible pour les générations futures, mauvaise pour l’emploi, source d’inégalités sociales accrues et destructrice de démocratie. Les Deng Xiaoping verts ont tort. La fin ne justifie pas les moyens. Certains moyens sont contraires à la fin. La libéralisation est contraire à la sauvegarde de l’environnement et au bien-être social. Plus exactement : elle est contraire à celle-là parce qu’elle détruit celui-ci.
(1) Etopia, Centre d’Animation et de Recherche en Ecologie Politique, est lié au parti Ecolo.
(2) Le Soir, 20/8/99
(3) Le Matin, 23/10/99
(4) Voir notre précédent article : « Liberté, très chère liberté » Liberté, très chère liberté… du prix de l’électricité
(5) Réalisée en 2000 pour le compte de la Commission Européenne
Léon Taniau
* Paru en Belgique dans le Journal du Mardi du 31 octobre 2006.
Une réponse de José Daras
Namur, le 9 novembre 2006.
Journal du Mardi
Monsieur le Rédacteur en chef,
Monsieur le Directeur,
Monsieur Taniau,
Dans le numéro du 31 octobre du Journal du Mardi, la chronique de « Léon Taniau » m’a particulièrement choquée par son ton à l¹égard d’Ecolo, son parti-pris quasi haineux et ses formules à l’emporte-pièce.
Passons sur l’encadré qui d’entrée de jeu affirme que « le modèle d’Ecolo, c’est le petit-bourgeois... », insulte gratuite qui augure mal de la suite (Renaud au moins après avoir étrillé les Bobos dans sa chanson, reconnait, à la fin, qu’il en fait plus ou moins partie).
La suite donc reproche à étopia et à Ecolo de faire la promotion de l’électricité verte. Dois-je rappeler que nous sommes dans le cadre d’une libéralisation du marché voulue par l¹Europe et que les anciens et actuelle Ministres Ecolo ont tenté, dans le cadre imposé, de faire la meilleure application possible, en protégeant les personnes en difficulté (voir le travail d’Evelyne Huytebroeck actuellement) et en permettant le développement des économies d’énergie et des énergies renouvelables ? Dans ce cadre, il est tout à fait indiqué de faire la promotion de l’électricité verte, tout comme il est logique pour Oxfam, par exemple, de faire la promotion de produits issus du commerce équitable dans le cadre du marché mondialisé.
Le fascicule que vous citez ne fait d¹ailleurs en aucune façon la promotion de la libéralisation du marché. Il s’agit d¹un outil destiné à aider les citoyens-consommateurs à faire un choix positif éclairé pour l’environnement, pour l’emploi et, dans un certain nombre de cas, pour leur portefeuille. Qui plus est, par comparaison avec d’autres publications sur le même thème (Greenpeace...), il s¹agit d’un outil d¹action collective s’inscrivant pleinement dans une logique d’éducation permanente.
Et, oui, quand 70 citoyens de Mettet s’associent pour passer à l’électricité verte en négociant ensemble le meilleur tarif possible, c’est bon pour leur portefeuille, c’est bon pour l¹environnement, et c’est bon pour le développement d’une filière économique riche en emplois.
Il est inacceptable de reprendre des citations tronquées d’Olivier Deleuze ou de moi en ce qui concerne le marché de l’énergie. Par exemple, si j’ai bien dit dans Le Matin du 23 octobre 1999 que la libéralisation du marché de l’énergie « ne me donne aucun mal de tête idéologique », je poursuis aussi ma phrase par « puisqu’il est actuellement monopolisé à hauteur de 88% par ce (Electrabel) groupe privé ». Et il est scandaleux que vous omettiez cette suite de la phrase. Le raisonnement d’Olivier Deleuze est évidemment le même lorsqu’il prend position pour un marché régulé. En fait, cette libéralisation n’a pas diminué le pouvoir de l’autorité publique, au contraire... mais on peut évidemment critiquer l’usage timide que fait cette autorité de ce pouvoir... depuis que les écologistes ne sont plus dans la majorité.
J’ajouterai que nous avons veillé à ce que les réseaux de distribution restent, eux, bien contrôlés par les pouvoirs publics. Dois-je donc comprendre de cette tribune que le Journal du Mardi était favorable au monopole fortement nucléarisé d’une filiale du groupe Suez ?
Je vous invite à comparer ce qu’était la politique énergétique avant et après le passage des Ecologistes tant en matière de renouvelable qu’en matière d’économie d¹énergie ou de protection des personnes précarisées. Et personne n’a contesté, jusqu’à présent, le travail du régulateur wallon.
Deux regrets principalement : l’absence d’un régulateur européen et surtout la disparité des prix de distribution. En ce qui concerne ce dernier point, j’ai essayé de pousser à la constitution d’un réseau de distribution unique pour la Wallonie avec le même prix pour tous. Malheureusement, les partenaires du Gouvernement wallon de l¹époque (surtout les socialistes) ont voulu conserver les anciennes intercommunales. On ne peut que le regretter.
De plus, je ne peux que m’élever contre la technique de généralisation abusive qui tenterait de faire des Ecologistes des partisans de la libéralisation et de la privatisation à tout va. Notre position face à la libéralisation d’un secteur où régnait un quasi monopole privé pratiquant des prix excessifs pour amortir plus rapidement ses centrales nucléaires, devenues depuis la vache à lait de Suez est évidemment spécifique. A titre d’exemple, je me suis opposé à l’ouverture du marché des transports en commun malgré la volonté de la direction de la srwt (les tec). Et au contraire, j’ai renforcé cette société publique par un nouveau contrat de gestion et un refinancement.
Je ne comprends donc pas cette chronique entièrement à charge des Ecologistes et passant délibérément sous silence ce qu¹a été leur réelle responsabilité et leurs réelles réalisations.
Je peux supposer que face à l’excellente interview de Jean-Michel Javaux contenue dans le même numéro du Journal du Mardi, certains ont estimé nécessaire de « rétablir l’équilibre » par de la désinformation.
J’espère que vous comprenez mon indignation et vous prie de considérer ce courrier comme un droit de réponse.
José Daras
Président d’étopia
Une réponse de Taniau
Merci à « José Daras » de mener le débat… Mais de quoi débattons-nous ? Je défie mon interlocuteur de citer la phrase où j’aurais « reproché à étopia de faire la promotion de l’électricité verte ». Ce n’est absolument pas la question ! Le point en débat est l’absence de prise de position contre la libéralisation. Si étopia disait en substance : « nous sommes contre la libéralisation, nous continuons à la combattre, mais nous recommandons quand même aux gens de choisir un fournisseur d’électricité verte », il n’y aurait pas de quoi fouetter un chat. Mais cette dénonciation est absente. Non seulement du « fascicule que je cite », mais aussi du site d’étopia en général (où de longues contributions invitent par contre à débattre du « capitalisme vert » comme la perspective « réaliste » des partis écologistes). Or, dans la chronique imputée, et dans une autre sur le même sujet (JDM N° 290), j’ai montré en quoi la libéralisation, selon moi, nuit non seulement à l’emploi mais aussi au remplacement des fossiles par les renouvelables. Ce sont des arguments, pas des formules haineuses. Il est dommage que M. Daras n’y ait pas répondu