Trois mois après l’incendie de Notre-Dame de Paris, l’Agence régionale de santé (ARS) d’Ile-de-France a rendu public, jeudi 18 juillet, comme elle s’y était engagée, un « point de situation » général de l’impact sanitaire pour la population parisienne des retombées de plomb issues de la cathédrale. Elle y fait un constat qui se veut rassurant, mais continue par ailleurs d’assurer la mise en œuvre d’un « dispositif de surveillance environnementale et sanitaire ».
Face à cet événement d’ampleur inédite dans l’histoire récente, l’agence a dû fixer un seuil de concentration du plomb, qui n’avait jusqu’alors jamais été arrêté par les autorités sanitaires. « D’habitude, c’est le HCSP [Haut Conseil de la santé publique] qui fixe des seuils »,et non l’ARS,affirme ainsi Bruno Vincent, le directeur de cabinet du directeur général de l’ARS. Mais aucune norme sur les surfaces extérieures n’existe en France. A rebours des principes de précaution, l’agence a donc fixé un seuil de référence particulièrement élevé – et donc potentiellement inadapté – des concentrations du plomb sur la voirie, et a circonscrit la catastrophe à une zone restreinte de la capitale.
Le plomb peut provoquer le saturnisme, principalement chez les jeunes enfants et les femmes enceintes. C’est une maladie due à une intoxication au plomb, dont les effets sont délétères même à faible dose, et qui peut se déclarer bien après l’ingestion ou l’inhalation. « C’est insidieux, on ne s’en rend pas compte, on traîne ça et d’un coup, y a des soucis », explique ainsi Mathé Toullier, présidente de l’Association française des victimes du saturnisme, arguant que l’élimination des traces de plomb dans le sang peut prendre des années. A la clé, selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, une baisse de croissance, d’audition et de QI, mais aussi pour les cas plus graves, anémie, hypertension, déficience rénale et des effets toxiques sur le système immunitaire et l’appareil reproducteur. L’Organisation mondiale de la santé rappelle par ailleurs le caractère « irréversible » des effets neurologiques et comportementaux.
Le 15 avril, des milliers de badauds ont regardé, médusés, les flammes qui s’échappaient de Notre-Dame de Paris et qui ont dévoré la toiture et renversé la flèche de la cathédrale. D’importantes volutes de fumées jaunâtres s’élevaient dans le ciel parisien, trahissant la présence d’oxyde de plomb dans le panache.
450 tonnes de plomb à température très élevée
De fait, les toitures de l’édifice principal tout comme la flèche étaient presque entièrement constituées de plomb : 210 tonnes, en fines plaques de 5 millimètres d’épaisseur pour les toits, et un manteau de près de 250 tonnes pour l’œuvre de Viollet-le-Duc qui a finalement cédé à l’assaut des flammes. En tout, plus de 450 tonnes de plomb mises à l’épreuve d’un feu à la température très élevée. « On est à peu près sûrs d’avoir atteint une température d’au moins 600 °C, peut-être 900 °C, et probablement plus », indique au Monde la chimiste environnementale Sophie Ayrault, à la tête d’une équipe d’une centaine de personnes au sein du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE).
A ces températures extrêmes, le plomb est déjà depuis longtemps entré en fusion – il se liquéfie à 327 °C – et peut partiellement être vaporisé. Sa dissémination dans l’atmosphère sous forme de microparticules présente un risque sanitaire pour les habitants de la capitale ainsi que pour tous ceux qui pourraient y avoir été exposés. Le plomb s’accroche à des poussières, cinq à vingt-cinq fois plus fines qu’un cheveu, qui sont générées par l’incendie et qui montent haut dans l’atmosphère.
Personne ne sait encore quelle quantité de plomb s’est ainsi envolée dans le ciel parisien. Selon Maxime L’Héritier, historien et trésorier d’une association de scientifiques chargés de mesurer les enjeux de la restauration de la cathédrale, « tout n’a pas été inventorié, pesé. Il y a des morceaux de plomb qui sont tombés intacts. Il y a des bouts fondus, des plaques tombées (…). Ce qui a fondu a formé un magma avec du sable et des matériaux divers. C’est trop tôt pour savoir ce qui est resté dans l’édifice. » En tant que « coordinateur du groupe métal, dans le cadre du chantier CNRS de Notre-Dame » , il estime que la majeure partie du plomb subsiste sous forme métallique dans la cathédrale. Reste qu’une quantité non évaluée est nécessairement partie dans les airs.
Un impact jusque dans des zones éloignées de l’incendie
Poussé ce jour-là par un vent venu du sud-est, le panache de fumée a charrié les microparticules plombées en survolant l’ouest parisien. Airparif, mandaté par le ministère de l’environnement pour surveiller la qualité de l’air dans la région Ile-de-France, a annoncé le 11 juin avoir mesuré des concentrations inhabituelles de plomb dans l’air, à la station météorologique de Limay (Yvelines). Soit à plus de 40 km à vol d’oiseau de la cathédrale. L’organisme affirme que les mesures effectuées sur la semaine « montrent une augmentation des concentrations en plomb (…). Limay était bien sous le vent pendant l’incendie, et il est vraisemblable que ces concentrations en plomb soient directement liées à ce sinistre. »
Prudent, un ingénieur d’Airparif, Pierre Pernot, confirme au Monde que l’incendie a « pu avoir un impact à proximité » de la cathédrale et « jusque dans des zones éloignées » de l’incendie. Sophie Ayrault tempère : « Pour l’instant, on ne sait pas comment s’est comporté le nuage. » La chercheuse, elle aussi membre de l’association des scientifiques pour Notre-Dame, est chargée « d’analyser les champs de vent pour voir la propagation du panache ».
Dès la fin du mois d’avril, l’ARS indiquait « qu’il n’y [avait] pas de risque sanitaire lié au plomb en matière de qualité de l’air. Toutes les valeurs recensées sur l’île de la Cité sont inférieures au seuil réglementaire de 0,25 µg/m3 ». Même si le 24 mai, jour de la réouverture à la circulation autour de la cathédrale, le seuil a été franchi (0,38 µg/m3), l’ARS communiquait sur la « bonne qualité de l’air ». En réalité, le plomb est un élément naturel assez dense qui ne reste pas en suspension. Le potentiel danger sanitaire pour les habitants se trouve plutôt au niveau du sol.
Aucun seuil limite pour la voirie
Les particules de plomb présentes dans le nuage de fumée se sont très probablement répandues sur le sol parisien et à l’ouest de la capitale, sans que personne ne sache réellement jusqu’où. Des mesures de surface allant jusqu’à 1,3 million µg/m2
Carte non reproduite ici
Il n’existe aucun seuil limite en ce qui concerne les poussières de plomb dispersées sur la voirie. Une valeur réglementaire à ne pas dépasser de 1 000 µg/m2 a bien été établie par les autorités sanitaires, mais elle concerne uniquement les poussières de plomb présentes en intérieur. Pour Cécile Somarriba, coordinatrice de la plate-forme d’urgences sanitaires de l’ARS, « il y a des poussières [sur la voirie] avec des teneurs qui paraissent élevées parce qu’on n’a pas de recommandations sanitaires dans les rues ».
L’incendie de Notre-Dame et la dispersion de plomb dans les rues de Paris sont un événement sans précédent. L’ARS, en lien avec le ministère de la santé, a alors décidé de fixer une valeur de référence pour organiser prélèvements au sol et dépistages de la population. L’agence est partie du principe que Paris était déjà polluée au plomb avant l’incident. Le plomb est historiquement utilisé au cœur de la ville, pour le réseau d’adduction d’eau, en tant qu’additif dans l’essence ou dans les peintures. Elle a ainsi estimé ce « bruit de fond » de pollution parisienne à une concentration en plomb de l’ordre de 5 000 µg/m2. En clair, les autorités sanitaires estiment que ce seuil de concentration correspond à ce qu’on trouverait de manière habituelle dans Paris. Si les prélèvements scientifiques sur la voirie s’avèrent être en dessous de ce seuil, les autorités sanitaires ne procèdent pas à de plus amples investigations auprès des habitants de la zone.
Ce taux de référence ne correspond à aucune norme, qu’elle soit environnementale ou sanitaire : « Aucun expert, aucune agence n’a dit qu’il y avait un risque ou qu’il n’y en avait pas au-dessus de ce seuil », assure Bruno Vincent. Ce chiffre oriente pourtant les mesures de santé mises en place par l’ARS. Dans son communiqué daté du 18 juillet, l’agence précise qu’il a été fixé à partir de deux études « commanditées par la direction régionale des affaires culturelles [DRAC] en 2017 et 2018 dans le cadre de ses missions relatives au suivi des monuments historiques ».
La DRAC, qui a répondu par courriel au Monde, insiste sur le fait que ces études « ne sont en aucun cas destinées à répondre à des questions de santé publique ». D’ailleurs, l’étude principale sur laquelle l’ARS dit s’être appuyée pour estimer la pollution en plomb usuelle dans Paris n’est en fait qu’un simple tableur. Le fichier liste cent deux prélèvements bruts réalisés dans Paris en 2017. Seuls cinq résultats sur l’ensemble des prélèvements pointent des taux supérieurs à 5 000 µg/m2. La moyenne, quant à elle, se situe à 1 346 µg/m2, une concentration très inférieure à la valeur retenue par l’ARS. Pourtant celle-ci n’en démord pas : « On a retenu ce qui peut paraître être un taux habituel dans Paris. »
Un important risque d’ingestion par contact main-bouche
La détermination de ce « bruit de fond » amplifie les questions autour de la gestion de cette possible crise sanitaire. Pour Fabien Squinazi, membre de la commission spécialisée sur les risques liés à l’environnement et qui a participé à l’élaboration des dernières normes françaises sur le saturnisme, la valeur fixée par l’ARS est bien trop élevée. Avec une référence à 5 000 µg/m2, « il y a lieu de s’inquiéter », affirme l’expert en biocontamination. Si le niveau habituel de pollution au plomb auquel on peut s’attendre dans la capitale est réellement aussi élevé, il faudrait, dit-il, « dépister tous les enfants de Paris » à l’intoxication par le plomb. Le scientifique rappelle qu’un rapport de 2012 du ministère de la santé préconise qu’une concentration douze fois moins élevée que celle choisie par l’ARS « devrait inciter à rechercher une source de contamination significative(…) du fait de retombées atmosphériques ».
Le plomb dans l’air :
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25 µg/m3 : objectif de qualité en moyenne annuelle
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50 µg/m3 : valeur limite en moyenne annuelle depuis janvier 2002.
Les poussières de plomb sur le sol :
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70 µg/m2 : valeur de « réflexion » pour les pouvoirs publics dans les bâtiments accueillant des enfants. Avec cette valeur, le Haut Conseil de la santé publiqueestime qu’il peut y avoir une déclaration de saturnisme pour 5 % des enfants.
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1 000 µg/m2 : seuil réglementaire pour fixer les contrôles à l’issu des chantiers de retrait des peintures au plomb.
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5 000 µg/m2 : valeur fixée par l’ARS d’Ile-de-France pour décider d’une action sanitaire, à la suite de l’incendie de Notre-Dame.
Le plomb dans le sol :
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300 mg/kg : valeur-guide utilisée pour déterminer l’autorisation de cultures dans le sol
Le plomb dans l’eau :
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10 µg/L : limite de qualité pour l’eau destinée à la consommation humaine depuis le 25 décembre 2013, conformément à la valeur-guide recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (25 µg/L avant décembre 2013).
Pourtant, c’est bien en vertu de cette limite de 5 000 µg/m2 que la fermeture des écoles rue Saint-Benoît, dans le 6e arrondissement, a été décidée, jeudi 25 juillet. Peu après la décision, la Mairie de Paris l’a confirmé, certifiant par ailleurs qu’elle « applique ce que dit l’ARS, en collaboration avec eux ». Dimanche, le premier adjoint d’Anne Hidalgo, Emmanuel Grégoire, s’est fait plus précis : « Ce sont 7 000 µg/m2 qui ont été relevés dans la cour. Il y a eu un premier lavage et un deuxième relevé à 3 500 µg/m2. L’objectif que l’on se fixe collectivement, c’est de repasser sous les 1 000 µg/m2 », qui est la valeur indiquée par l’ARS pour la pollution intérieure, et non pas extérieure. « C’est possible que l’on rouvre dans quarante-huit heures. Et, pour être complet, nous n’avions aucune obligation de fermer l’école. [Le taux de 7 000 µg/m2] ne déclenche aucune alerte sanitaire particulière »,conclut-il.
Cette concentration de plomb est particulièrement préoccupante quand il s’agit d’enfants, tant les risques d’ingestion des particules de plomb par contact main-bouche sont fréquents. Des concentrations élevées en plomb ont aussi été relevées dans d’autres écoles parisiennes. Une enquête de Mediapart [1] avait poussé la Mairie de Paris à demander le nettoyage de plusieurs établissements, où avaient été relevées des concentrations en plomb très disparates.
L’absence de réglementation sanitaire concerne aussi les parcs, squares et aires de jeux pour enfants. Seules certaines aires de jeux à proximité de la cathédrale ont été analysées. Des points de prélèvement qui présentent des teneurs en plomb de plusieurs dizaines de milliers de µg/m2 ont été réalisés à seulement quelques mètres de parcs. Aucun prélèvement n’a par exemple été réalisé dans le square Taras-Chevtchenko, tout proche des écoles de la rue Saint-Benoît, aujourd’hui fermées car contaminées. Pour Jacky Bonnemains, directeur de l’association de protection de l’environnement Robin des Bois, « il serait de bon sens d’étudier les retombées dans les jardins publics, depuis le square du Vert-Galant [sur l’île de la Cité] jusqu’au bois de Boulogne ». Selon les informations du Monde, l’association, qui avait déjà lancé l’alerte après l’incendie de la cathédrale a déposé une plainte contre X pour « mise en danger de la personne d’autrui », vendredi 26 juillet, devant le tribunal de grande instance de Paris [2].
Alors que plusieurs associations s’inquiètent des conséquences du plomb au sol voire, pour certaines, dans les eaux de la Seine, l’ARS comme la Mairie de Paris restent sereines. « Tous les indicateurs qu’on a sont bons, donc il n’y a pas de raison d’avoir une appréciation alarmiste », assure M. Vincent par téléphone. Un constat que dresse aussi la Mairie de Paris, qui considère qu’« au regard [des] critères définis par les autorités sanitaires de l’Etat [il n’existe] pas “d’alerte” de santé. »
L’une comme l’autre estiment avoir d’ailleurs fait tout le nécessaire sur le terrain de la prévention et du conseil, en préconisant la poursuite des « nettoyages dans l’espace public » ou le respect « des comportements usuels d’hygiène » et en se félicitant qu’en trois mois seul un enfant ait été diagnostiqué pour un saturnisme, qui n’était selon leur enquête pas lié à l’incendie de Notre-Dame. Pour autant, quand l’ARS est interrogée sur la présence ou non d’une crise sanitaire, les interlocuteurs préfèrent faire un pas de côté : « On adapte nos mesures et nos actions en fonction de ce qu’on observe. [Si] des indicateurs font modifier notre appréciation de la situation, on adaptera à nouveau nos mesures. »
Jérémie Baruch, Audrey Freynet
Mise à jour, mardi 30 juillet, 10 h 03 : rajout d’une précision sur le rôle des membres de l’Association des scientifiques de Notre-Dame, qui agissent dans le cadre d’un chantier du CNRS.
• Le Monde. Publié le 29 juillet 2019 à 16h33, mis à jour à 09h58 :
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/07/29/incendie-de-notre-dame-le-seuil-de-concentration-du-plomb-choisi-par-les-autorites-est-il-dangereux-pour-la-population_5494674_4355770.html
Pollution au plomb autour de Notre-Dame : la Mairie de Paris lance un « nettoyage renforcé » des écoles
Des niveaux élevés de plomb ont été retrouvés dans certains établissements autour de la cathédrale après l’incendie. L’agence régionale de santé se veut toutefois rassurante.
Par Stéphane Mandard Publié le
Il n’y a « aucun risque pour la santé », mais la Mairie de Paris va tout de même profiter des vacances pour effectuer une « opération de nettoyage renforcée » des crèches et des écoles dans la zone de Notre-Dame. Un peu plus de trois mois après l’incendie qui a ravagé la cathédrale, l’agence régionale de santé (ARS) avait convié la presse, jeudi 18 juillet, pour un « point de situation » visant à rassurer les Parisiens quant aux risques sanitaires liés à la pollution au plomb.
Entre la toiture et la flèche, ce sont près de 400 tonnes de plomb qui sont parties en fumée le 15 avril, et qui sont retombées sous forme de poussières sur le site et alentour, dans un périmètre indéterminé. Un événement qualifié d’« exceptionnel » et « auquel nous allons faire face durablement » mais qui serait sous contrôle, selon le directeur général de l’ARS, Aurélien Rousseau. « Toutes les données que nous avons pu collecter jusqu’ici montrent que la santé de la population a été préservée », a répété le patron de l’agence.
L’intervention du représentant de la Mairie de Paris, le sous-directeur à la santé, Arnaud Gauthier, a jeté un froid. « Aucune crèche ou école n’ouvrira à la rentrée si le moindre risque est détecté », a-t-il déclaré, laissant entendre, contrairement à l’ARS, que des doutes pouvaient donc subsister. Concrètement, le « nettoyage renforcé » passera par un « décapage des cours de récréation » avec du matériel à haute pression. Il devrait aussi concerner les murs et le mobilier. Les enfants en bas âge sont les plus exposés au risque de saturnisme car ils peuvent plus facilement ingérer le plomb contenu dans les poussières ou les sols, notamment lorsqu’ils jouent à l’extérieur en portant leurs mains à la bouche.
« Les niveaux moyens ne justifient pas d’alerte de santé »
Ce grand nettoyage d’été vise à « s’assurer que le risque est le plus minime possible », s’est ensuite repris le représentant de la Mairie, assurant, comme l’ARS, que « les niveaux moyens des prélèvements effectués dans les écoles sont inférieurs aux normes et ne justifient pas d’alerte de santé ».
Un peu plus tard dans la journée, le premier adjoint à la maire de Paris, Emmanuel Grégoire, convoquait à son tour les médias pour dire que « s’il y avait le moindre risque, non seulement les écoles n’auraient pas rouvert mais ne rouvriraient pas à la rentrée ».
Une façon de répondre à un article de Mediapart faisant état de « taux de concentration au plomb, parfois dix fois supérieurs au seuil d’alerte (…), relevés dans des écoles proches de l’édifice » et indiquant que la Mairie de Paris n’avait pas « effectué de nettoyage en profondeur des lieux ».
Soucieux de jouer la carte de la transparence après les critiques, l’ARS a rendu publics les résultats des prélèvements pratiqués dans certains de ces établissements. Ils font apparaître ponctuellement plusieurs valeurs très élevées.
« Concentrations moyennes »
Soit 255 microgrammes de plomb par mètre carré (µg/m2) dans la cour d’une école élémentaire sur l’île Saint-Louis ; 230 µg/m2 dans celle d’une école rue Saint-Jacques, rive gauche. Ou encore 130 µg/m2 « devant la petite maison » du jardin d’une crèche collective à deux pas de l’Hôtel de ville… Des niveaux supérieurs à la valeur de référence fixée, pour les poussières, à 70 µg/m2 par le haut-conseil de la santé publique (HCSP).
Mais, précise l’ARS pour rassurer, cette valeur s’applique à des moyennes. Et si l’on se rapporte à la moyenne des prélèvements réalisés dans les écoles, aucune ne dépasse effectivement les 70 µg/m2. La note de la Direction générale de la santé de septembre 2016 relative au dispositif de lutte contre le saturnisme infantile et de réduction des expositions au plomb précise en effet qu’il s’agit de « concentrations moyennes ».
Pour les autorités de santé, cette référence ne constitue pas, de surcroît, un seuil réglementaire mais une simple « incitation au dépistage ». « A partir de 70 µg/m2, cela signifie qu’il y a un risque de plombémie [détection de plomb dans l’organisme] mais ce n’est en aucune façon un seuil qui dit qu’il faut fermer l’école », argumente Aurélien Rousseau.
Lorsque les concentrations moyennes dépassent 70 µg/m2, 5 % des enfants qui y sont exposés risquent d’avoir une plombémie dépassant le seuil dit d’intervention rapide (50 microgrammes par litre, µg/l), précise pourtant le HCSP. Aussi, ce dernier « recommande que la connaissance d’un dépassement de ce seuil conduise à un dépistage du saturnisme pour les enfants de moins de 7 ans ».
Une menace qui plane sur les enfants
Jusqu’à aujourd’hui, 82 plombémies ont été pratiquées sur des enfants du quartier de l’île de la Cité et résidant dans les 1er, 4e, 5e et 6e arrondissements de Paris. Une seule s’est avérée supérieure au seuil de 50 µg/l. Elle concerne un enfant de 2 ans, mais serait due, selon l’ARS, non pas à l’incendie de Notre-Dame mais à la présence de plomb dans le bâti de son logement, plus précisément le balcon.
Ce que ne conteste pas l’ARS, c’est que des niveaux de plomb hors norme ont été mesurés sur le parvis de la cathédrale : jusqu’à 20 000 milligrammes par kg (mg/kg) de terre, soit pratiquement 70 fois la limite admise pour les sols (300 mg/kg). Pour ces raisons, le parvis reste fermé au public. Plus inquiétant, ces valeurs n’ont pas baissé. Aussi, la directrice régionale des affaires culturelles, Karine Duquesnoy, promet-elle d’expérimenter très prochainement de « nouvelles méthodes » pour nettoyer plus efficacement le parvis.
« Le plomb est un toxique pour lequel il n’y a pas de niveau en dessous duquel il n’y a pas de danger. C’est comme pour l’amiante, soit il y en a et le danger est là, soit il n’y en a pas »
Ces mesures sont largement insuffisantes et trop tardives pour Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). « Je suis indignée par les propos de l’ARS dans cette affaire, indique-t-elle au Monde. Si j’avais des enfants qui ont été exposés à des taux supérieurs à 70 µg/m2 pendant trois mois, je ne serais pas rassurée. Ce n’est pas acceptable de s’en tenir à des moyennes arithmétiques. Si dans une seule classe on était au-dessus de 70 µg/m2, il aurait fallu immédiatement évacuer l’école, décontaminer et pratiquer des plombémies. »
Habituée des dossiers de santé publique et de pollution depuis ses premiers combats contre l’amiante, Mme Thébaud-Mony souligne que « le plomb est un toxique pour lequel il n’y a pas de niveau en dessous duquel il n’y a pas de danger. C’est comme pour l’amiante, soit il y en a et le danger est là, soit il n’y en a pas ». Et comme pour la fibre tueuse, rappelle la présidente de l’Association Henri-Pézerat [3] (du nom de son défunt compagnon, toxicologue ayant contribué à faire interdire l’amiante en France en 1997), « les cancers liés au plomb peuvent se déclarer dix ans, vingt ans, trente ans après une exposition ».
Surtout, insiste l’infatigable lanceuse d’alerte, le plomb est une menace qui plane d’abord sur les enfants : « Depuis 2010, toute la littérature scientifique montre que c’est un toxique majeur qui a des effets à très faible dose : 10 µg/L dans le sang, c’est un point de QI en moins. »
Stéphane Mandard
• Le Monde. Publié le 18 juillet 2019 à 15h55 - Mis à jour le 19 juillet 2019 à 10h51 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/07/18/pollution-au-plomb-nettoyage-approfondi-des-ecoles-proches-de-notre-dame_5490840_3244.html
Notre-Dame : la pollution au plomb, un « risque sanitaire majeur », alertent des associations
Quelque 350 tonnes de plomb ont fondu et la substance, cancérogène, a été retrouvée en quantité « très importante » dans le sol du parvis.
Le projet de loi polémique pour la restauration expresse de Notre-Dame est une « incitation à la mise en danger de la vie d’autrui » ont dénoncé les associations Robin des Bois, Henri Pézerat et l’Association des victimes du saturnisme (AFVS) lors d’une conférence conjointe organisée vendredi 10 mai à Paris. Dans leur viseur, l’article 9 du texte dont l’examen vient de débuter à l’Assemblée nationale et qui prévoit « des dérogations ou des adaptations s’appliquant à la protection de l’environnement et à l’évacuation et au traitement des déchets ».
La cathédrale est aujourd’hui « un déchet toxique », « une friche industrielle » et représente « un risque sanitaire majeur » en raison de la pollution au plomb générée par l’incendie, alerte Jacky Bonnemain, le directeur de Robin des Bois, qui envisage « des recours en justice pour bloquer cette précipitation ».
Selon les estimations de l’association, entre la toiture et la flèche, ce sont environ 350 tonnes de plomb qui ont fondu le 15 avril et qui ont été disséminées sous forme de poussières autour du site sur un périmètre encore indéterminé.
Demande d’une cartographie précise
Dans un communiqué publié jeudi 9 juin, l’Agence régionale de Santé (ARS) d’Ile-de-France confirme la présence de poussières de plomb aux alentours de la cathédrale. Des mesures ont été effectuées par le laboratoire central de la préfecture de police de Paris. Les résultats montrent notamment une concentration « très importante » dans le sol sur le parvis et sur la voirie environnante, à des niveaux compris entre 10 et 20 g/kg de sol, soit très largement supérieurs au seuil d’alerte sanitaire, fixé à 0,3 g/kg.
« Il suffit de regarder les images de l’incendie pour constater que le panache toxique s’est dirigé vers l’ouest parisien », Jacky Bonnemain, de l’ARS
L’ARS indique avoir également identifié du plomb dans les étages supérieurs de locaux administratifs donnant sur la cathédrale. « Par l’opération du Saint-Esprit, les poussières de plomb ne seraient retombées que sur les bâtiments administratifs et auraient évité les appartements privés !, s’étrangle Jacky Bonnemain. Il suffit de regarder les images de l’incendie pour constater que le panache toxique s’est dirigé vers l’ouest parisien, en traversant notamment les 6e et 7e arrondissements. »
Les associations réclament une cartographie précise des retombées qui ne se limite pas à la seule île de la Cité. Elles appellent les autorités à entamer une campagne rigoureuse de prélèvement dans des lieux très fréquentés comme les Tuileries, les écoles ou encore les jardins de l’Elysée.
La présence de plomb, dans des quantités supérieures aux seuils réglementaires, ne peut avoir un impact sur la santé qu’en cas d’« ingestions répétées », veut rassurer l’ARS. Une assertion qui fait bondir Mady Denantes, médecin de l’AFVS. « Il n’y a pas d’effet de seuil avec le plomb. Toute présence de plomb dans le sang, même à des doses très faibles, a des répercussions sur le développement cognitif », rappelle le docteur Denantes. Les enfants et les femmes enceintes sont les plus exposés au risque de saturnisme. Aussi, les associations réclament aux autorités sanitaires de déclencher des campagnes de dépistage du saturnisme dès lors que des taux de plomb supérieurs aux normes sont retrouvés dans les poussières et de mettre en place un suivi pour les riverains et les travailleurs.
Mettre en place un protocole
Outre le saturnisme, le plomb est classé cancérogène, mutagène et reprotoxique. « Il faut arrêter de dire que le risque est négligeable, tonne Annie Thébaud-Mony, de l’association Henri Pézerat. Nous savons avec le scandale de l’amiante que les cancers peuvent se manifester trente à quarante ans après. » Directrice de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, Annie Thébaud-Mony insiste sur la nécessité de mettre en place un protocole de suivi pour tous les professionnels qui sont intervenus (et vont intervenir) sur les décombres de Notre-Dame, à commencer par les pompiers. « Les Américains l’ont fait au World Trade Center après le 11 Septembre et on s’est rendu compte quelques années plus tard qu’il y avait beaucoup de malades ».
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Plusieurs catégories professionnelles sont potentiellement concernées : les agents de la ville de Paris qui continuent de balayer les rues adjacentes sans masque, les employés des bars et restaurants travaillant en terrasse, les policiers, les jardiniers ou encore les journalistes ayant couvert l’incendie.
Les associations interpellent enfin les pouvoirs publics pour que, avant de penser au chantier de reconstruction, ils s’assurent que les travaux de décontamination, qui pourraient durer plus d’un an, se fassent dans des conditions de sécurité maximale pour les travailleurs comme pour les riverains.
Stéphane Mandard
• Le Monde. Publié le 110 mai 2019 à 18h10 - Mis à jour le 29 juillet 2019 à 18h17 :
https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/10/notre-dame-de-paris-la-pollution-au-plomb-un-risque-sanitaire-majeur-alertent-des-associations_5460685_3244.html
Les riverains de Notre-Dame invités à faire le ménage pour éliminer les résidus de plomb
La préfecture recommande aux Parisiens qui habitent à proximité de la cathédrale de faire un ménage pour éliminer tout empoussièrement.
Un ménage s’impose pour les riverains de Notre-Dame après l’incendie, selon la préfecture de police de Paris. Cette dernière recommande dans un communiqué diffusé, samedi 27 avril, à celles et ceux qui habitent à proximité de la cathédrale de procéder « au ménage de leur habitation (…) à l’aide de lingettes humides pour éliminer tout empoussièrement ». En cause : la combustion du plomb présent notamment dans la charpente.
« S’agissant des domiciles ou locaux privés, il est recommandé aux riverains à proximité immédiate de Notre-Dame de procéder au ménage de leur habitation ou local et de leurs meubles et objets, à l’aide de lingettes humides pour éliminer tout empoussièrement », lit-on dans le communiqué de la préfecture.
Des analyses effectuées par le laboratoire central de la préfecture ont mis en évidence « la présence de plomb dans certaines zones, très localisées, notamment dans des locaux qui ont pu être laissés ouverts au moment de l’incendie et où se sont déposées des poussières ».
Le risque d’intoxication aiguë reste limité
L’association environnementale Robin des bois avait réclamé la semaine dernière la « décontamination » de Notre-Dame, estimant que la cathédrale était désormais « à l’état de déchet toxique » en raison notamment de la fusion pendant l’incendie du plomb, présent en grande quantité dans la charpente et la flèche de la cathédrale – ce qui pourrait par ailleurs expliquer la couleur jaunâtre de la fumée qui s’échappait du bâtiment.
Selon la préfecture, « les intoxications aiguës sont très rares et se situent dans des contextes (généralement professionnels) différents de ceux de l’incendie. Aucune de ces intoxications n’a été signalée dans les jours suivant l’incendie ».
Airparif avait précisé au lendemain de l’incendie n’avoir pas relevé de dépassement de seuil des polluants habituels de l’air, notamment des particules fines, après l’incendie de Notre-Dame, ce qui suggérait une pollution très localisée. Mais l’organisme avait noté ne pas avoir ni les moyens ni le mandat de réaliser des mesures spécifiques permettant d’évaluer l’impact local.
« Les zones présentant une présence de retombée de plomb sont d’ores et déjà interdites au public, et leur accès ne sera rouvert que lorsque ces teneurs en plomb seront redevenues normales. Il s’agit, en particulier, des jardins aux abords de la cathédrale qui – à la différence de la chaussée ou des espaces fermés – ne peuvent être nettoyés rapidement », précise la préfecture.
Le Monde avec AFP
• Le Monde. Publié le 27 avril 2019 à 20h36 - Mis à jour le 28 avril 2019 à 10h21 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/27/les-riverains-de-notre-dame-invites-a-faire-le-menage-pour-eliminer-les-residus-de-plomb_5455793_3224.html