Une mer humaine, un déluge de pancartes et une nuée de drapeaux aux couleurs de la petite île caribéenne, territoire américain au statut spécial : Porto Rico a connu, lundi 22 juillet, une journée de manifestation exceptionnelle, d’une ampleur encore bien plus importante que les précédentes. Après dix jours de protestations ininterrompues, réclamant le départ du gouverneur Ricardo Rossello, empêtré dans un scandale mêlant propos homophobes et corruption, plusieurs centaines de millier de manifestants ont envahi l’autoroute Las Americas, principale artère menant à la capitale, San Juan.
Sous une chaleur écrasante et aux cris de « Démission ! », la manifestation s’est ensuite dirigée vers la maison du gouverneur. Partout, des banderoles et panneaux avec « Ricky renuncia » (« Ricky, démissionne »), « Voila comment on renverse un dictateur » ou « Nous marchons pour la patrie ». « La manifestation fait fi des clivages idéologiques, des gens d’opinions très différentes défilent ensemble, explique Lisette Sanabria, institutrice à Porto Rico, jointe depuis Paris. On partage tous le sentiment de participer à un moment-clé de l’histoire de notre pays. »
La veille, le gouverneur Rossello avait annoncé qu’il ne démissionnerait pas et renouvelait sa volonté d’aller au terme de son mandat. Dans une manœuvre désespérée d’apaisement, il expliquait cependant ne pas souhaiter se représenter aux élections de novembre 2020, et renoncer à la présidence de son parti, le Nouveau Parti progressiste (PNP). Un message qui semble avoir au contraire galvanisé les manifestants. « Son insistance est incompréhensible. Il aime le pouvoir (…), mais il est politiquement mort », insiste James Cohen, professeur à l’université Sorbonne-III.
Possible trafic d’influence
Depuis le 13 juillet, Ricardo Rossello fait face au scandale déclenché par la publication de 889 pages de discussion sur l’application cryptée Telegram, entre lui-même et onze de ses proches et membres de son administration. Ces pages ont révélé des propos insultants du gouverneur envers des victimes de l’ouragan Maria, qui a ravagé l’île en 2017, des femmes et hommes politiques portoricains. La publication de ce document, par le Centre portoricain de journalisme d’investigation, a également permis de mettre au jour un possible trafic d’influence au plus haut niveau de l’Etat.
A la suite de ces révélations, les rangs des partisans de la démission du gouverneur Rossello, parmi lesquels les stars de la musique de Porto Rico, Ricky Martin, et Bad Bunny, n’ont cessé de grossir. Donald Trump et plusieurs élus américains, parmi lesquels des candidats à la primaire démocrate, Bernie Sanders et Elizabeth Warren, ainsi que des membres du Congrès des deux partis, ont affiché leur soutien aux protestataires. « Les crimes commis par le gouverneur sont horribles, il est obscène, s’il ne démissionne pas, le temps est à l’impeachment », a tranché lundi Carmen Yulin Cruz, la maire démocrate de San Juan.
Vendredi 19 juillet, la Fortaleza, ancienne forteresse coloniale aujourd’hui résidence officielle du gouverneur, était assiégée par des milliers de Portoricains. Aux abords du palais, les manifestants avaient été dispersés avec des gaz lacrymogènes. « Le gouvernement lui-même étant très divisé et sur la défensive, je pense que la répression restera limitée », avance toutefois l’universitaire James Cohen. « Les balles en caoutchouc, en direct sur deux chaînes locales, font plus de mal au gouverneur »,ajoute Lisette Sanabria.
Le même jour, Carlos Méndez, président de la Chambre des représentants de Porto Rico, annonçait la création d’un comité spécial visant à déterminer si les actes du gouverneur justifiaient une éventuelle destitution. Le PNP contrôle les deux Chambres de l’île, mais James Cohen juge que les voix s’opposant à M. Rossello dans son propre camp pourraient se multiplier et éventuellement mener à sa chute. « C’est la mobilisation qui sera déterminante pour l’île », ajoute-t-il.
« La manifestation a explosé après la diffusion des messages [de la conversation cryptée Telegram], mais les vraies raisons [de cette mobilisation] sont la corruption, les mesures d’austérité et le traumatisme de l’ouragan Maria, qui a été mal géré », estime Lisette Sanabria. En 2017, Maria avait frappé l’île, détruisant 80 % de ses infrastructures. La mauvaise gestion de cette catastrophe, qui avait coûté la vie à au moins 3 000 Portoricains, a largement érodé la confiance qu’une large partie de la population avait en ses instances gouvernementales. La semaine dernière, les manifestants avaient déposé des dizaines de chaussures à proximité de la maison du gouverneur, en souvenir des morts causés par l’ouragan.
Jules Ravanello
• Le Monde. Publié le 22 juillet 2019 à 22h18, mis à jour le 23 à 11h05 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/22/manifestation-geante-a-porto-rico-pour-demander-le-depart-du-gouverneur_5492281_3210.html
A Porto Rico, des milliers de manifestants exigent la démission du gouverneur
Un scandale politique secoue l’île, qui ne s’est toujours pas relevée des conséquences de l’ouragan Maria en 2017.
Porto Rico, île de la mer des Caraïbes rattachée aux Etats-Unis, vit depuis une semaine au rythme de scandales politiques, frappant de plein fouet la classe dirigeante et menaçant de faire tomber le gouvernement. Depuis samedi 13 juillet, des milliers de manifestants descendent tous les jours dans la rue pour réclamer la démission du gouverneur, Ricardo Rossello.
Emmenés par des artistes tels que le chanteur Ricky Martin ou le rappeur René Perez, les protestataires scandent « Ricky, renuncia ! » (« Ricardo, démissionne ! »). Mercredi soir, cinq personnes ont été arrêtées à la suite de débordements. A New York, deux cents membres de la communauté portoricaine ont également manifesté.
A l’origine de la colère populaire, un document de 889 pages, diffusé par le Centre de journalisme d’investigation (CPI), contenant l’intégralité des échanges privés, à travers l’application Telegram, de M. Rossello avec des membres de son gouvernement. Ils s’y échangeaient des propos et insultes sexistes, homophobes et misogynes sur des femmes et hommes politiques de Porto Rico et des Etats-Unis. Le gouverneur lui-même se moque ouvertement des cadavres laissés par l’ouragan Maria, qui a dévasté l’île en 2017 en faisant 3 000 morts.
« Inefficience des structures publiques »
jeudi 11 juillet, M. Rossello a présenté ses excuses et, le dimanche suivant, lors d’un discours dans une église de San Juan, il a expliqué qu’il « [se] tourner[ait] vers Dieu pour [le] guider à travers les ouragans, figuratifs ou réels ».
Avant la catastrophe Maria, Porto Rico, Etat associé aux Etats-Unis depuis 1952, vivait déjà sous un régime d’austérité, imposé depuis Washington dès 2016. « Les Portoricains souffrent de l’absence de démocratie que ces mesures autoritaires impliquent », estime James Cohen, professeur à l’université Sorbonne-III. Le gouverneur passe aux yeux de la population pour le responsable de cette situation. Par la suite, « l’ouragan a été la démonstration de l’inefficience des structures publiques, souligne Christophe Ventura, directeur de recherche, spécialiste de l’Amérique latine à l’Institut des relations internationales et stratégiques. Les gens n’ont reçu qu’un soutien aléatoire de la part des autorités ».
Jeudi 18 juillet, le CPI a révélé un nouveau scandale. Trois personnes ayant participé à la conversation sur Telegram, Elias Sanchez, Carlos Bermudez et Edwin Miranda, des proches de M. Rossello, auraient empoché des millions de dollars grâce à des trafics d’influence. Elles auraient été à l’origine de l’obtention indue de contrats de travaux de reconstruction ou en lien avec les agences de traitement des dons après le passage de l’ouragan. M. Rossello, a révélé le CPI, avait connaissance de ces activités.
« Il a perdu toute légitimité »
« Il se passe un tas de mauvaises choses à Porto Rico, a tweeté, jeudi, le président américain, Donald Trump. Le gouverneur est en état de siège, la maire de San Juan est une personne méprisable et incompétente à qui je ne ferais confiance sous aucun prétexte, et le Congrès des Etats-Unis a bêtement donné 92 milliards de dollars d’aide après l’ouragan, dont beaucoup ont été dilapidés ou gaspillés. » La maire de la capitale, Carmen Yulin Cruz, avait appelé les manifestants à descendre dans la rue.
Le scandale qui touche le gouverneur « a choqué les foules comme rarement auparavant », explique Mario Negron Portillo, professeur à l’école d’administration publique de l’Université de Porto Rico, qui ajoute : « Je pense que M. Rossello a perdu toute légitimité. » Le gouverneur a pourtant affirmé qu’il ne démissionnerait pas et qu’il était déterminé à mettre en place des « mesures anticorruption », sans donner plus de détails.
« Je crois profondément qu’il est possible de rétablir la confiance et que nous pourrons, après ce processus pénible et douloureux, parvenir à une réconciliation », a-t-il encore déclaré jeudi dans un communiqué. Deux membres du gouvernement impliqués dans le « tchatgate » ont, eux, démissionné.
Pour Christophe Ventura, le mouvement s’inscrit dans une vague plus générale d’indignation populaire en Amérique latine : « L’origine première de ces mouvements, généralement la corruption, cristallise très rapidement d’autres formes de mécontentement et au bout du compte, peu de gouvernements résistent à ça. »
Jules Ravanello
• Le Monde Publié le 19 juillet 2019 à 11h39 :
https://www.lemonde.fr/international/article/2019/07/19/a-porto-rico-des-milliers-de-manifestants-exigent-la-demission-du-gouverneur_5491121_3210.html