SHANGHAÏ CORRESPONDANT
Parce qu’elles accueillent, à leur corps défendant, les usines les plus polluantes et les moins scrupuleuses, les campagnes chinoises font face à une crise écologique aiguë, cause de fréquents mouvements de protestation. Mais sur le terrain, les militants écologistes chinois et les paysans, qui voient leurs ressources et leur santé affectées, obtiennent rarement gain de cause. Zhang Changjian, un médecin de campagne qui a créé, avec d’autres habitants du canton de Pingnan, dans la province de Fujian, une ONG pour dénoncer une usine chimique polluante, en sait quelque chose.
Il y a cinq ans, les paysans ont entrepris de poursuivre en justice, au nom d’un collectif de 1 721 habitants, l’usine de la Rongping Joint Chemical Plant, qui déverse du chrome. Ils alertent la SEPA, l’agence pour la protection de l’environnement, qui finit par placer l’usine, en 2002 et en 2003, sur la « liste noire » des pires pollueurs de l’année. La Maison verte de Pingnan, l’ONG des paysans, reçoit le soutien d’organisations internationales et, en novembre 2005, les habitants gagnent leur procès. Ils n’ont obtenu toutefois que 680 000 yuans de compensation, vingt fois moins que ce qu’ils réclamaient, soit 40 euros par personne.
« L’argent n’a toujours pas été versé par le tribunal et, en réalité, quand on défalque les frais, ça ne fait que 10 euros par plaignant », précise, amer, M. Zhang, joint par téléphone. « Les mesures de pollution ont été biaisées et effectuées dans des zones très éloignées de l’usine. Ce n’est pas tant une question d’argent, que le fait que l’usine continue de polluer autant, et que cette pollution s’étend. L’usine a le soutien intégral des autorités locales. Le problème n’est donc pas réglé » dit celui qui, il y a treize ans, s’alarma du taux élevé de cancers parmi les villageois et décida d’agir.
Depuis leur victoire en demi-teinte, les habitants continuent d’être harcelés par les autorités : « Des paysans ont été battus ; on veut nous menacer, ou nous diviser en achetant quelques-uns d’entre nous, pour que nous cessions nos protestations », poursuit M. Zhang, dont les autorités ont arbitrairement fermé la clinique en 2004, en représailles. En octobre 2006, il a été détenu pendant quarante-six heures par la police, lors d’une visite à Pingnan de la vice-premier ministre Wu Yi, afin d’éviter qu’il fasse un esclandre.
Pour les défenseurs chinois de l’environnement, le combat des petites gens de Pingnan est un cas d’école : « Le recours à la justice en matière de pollution est de plus en plus fréquent. Mais l’approche légale est ardue et onéreuse, car la pollution a souvent amoindri les ressources des victimes. Surtout, les lois ne sont pas toujours appliquées, et il y a un fort protectionnisme au niveau local. L’alternative, c’est l’approche administrative, mais il y a aussi des obstacles », constate Xu Kezhu, chef adjoint du Centre d’aide légale aux victimes de la pollution à Pékin. Cette ONG, rattachée à une université pékinoise, a conseillé 90 actions en justice. Seules 30 ont abouti, dont celle de Pingnan.
LOURDES PEINES
Une goutte d’eau dans un océan d’indifférence : la presse chinoise estimait que 50 000 émeutes et protestations étaient imputables à des problèmes écologiques dans les campagnes chinoises en 2005. Le soulèvement, en avril 2005, des habitants de Huaxi, à Dongyang, dans la province du Zhejiang, a permis aux villageois d’obtenir l’arrêt des 13 usines chimiques qui empoisonnaient leurs terres. Mais l’action a eu un coût : sur les neuf paysans mis en examen, trois ont été condamnés à de lourdes peines. Et un groupe de militants écologistes, qui avait pris l’initiative d’évaluer de manière indépendante la situation de l’environnement à Huaxi, a été neutralisé sans ménagement : Tan Kai, son principal organisateur, a été condamné en décembre à Hangzhou, la capitale de Zhejiang, à dix-huit mois de prison pour avoir « révélé des secrets d’Etat ».
« Tan Kai s’est intéressé au cas de Huaxi, car la pollution privait les habitants de moyens de subsistance. Les accusations dirigées contre lui sont un prétexte pour l’empêcher d’enregistrer officiellement, à Hangzhou, l’association Green Watch, qu’il a créée », explique son avocat, Li Heping. Car si elles ont fleuri par dizaines à la faveur de la campagne d’information sur l’environnement orchestrée par le gouvernement, les ONG chinoises doivent se tenir tranquilles : enregistrées pour la plupart à Pékin, elles ont l’interdiction d’intervenir en province sans autorisation des autorités locales.