F. Vergès fait preuve ici comme dans son précédent livre d’une méconnaissance affligeante de la richesse de l’histoire des luttes féministes en France sur la longue durée et de la profondeur des débats et/ou des divergences qui ont traversé et traversent encore aujourd’hui les différentes composantes du féminisme en France.
« Le » féminisme « civilisationnel » en question
Au début de son livre, F. Vergès nous fait une confidence. Elle a longtemps hésité à se déclarer féministe connaissant l’ampleur des « trahisons » opérées par le féminisme « civilisationnel ». Rappelons d’abord que Françoise Vergès, dans sa jeunesse, a participé à un courant du Mouvement de Libération des Femmes, Psychanalyse et politique, qui conspuait le féminisme des siècles passés au prétexte que c’était un mouvement « bourgeois » non digne d’intérêt pour les « vrais » révolutionnaires [2].
Grande continuité donc dans cette prise de distance vis à vis du féminisme qui n’est pas sans poser problème. Pour F. Vergès, « la » France, plus que tout autre pays européen, serait porteuse collectivement d’une idéologie qui lui attribuerait une « mission civilisatrice » dans le monde et cette idéologie aurait contaminé non seulement les classes dirigeantes de ce pays mais également l’intégralité des mouvements sociaux, notamment les féministes « blanches », depuis la Révolution française jusqu’à nos jours.
L’auteure précise que la notion de féminisme « blanc » n’est pas une notion « biologique » mais politique. Mais cela ne suffit pas à lever toutes les ambiguïtés dans la mesure où elle n’opère aucune distinction entre les représentants des Etats et les mouvements sociaux, dans la mesure où elle appréhende « le » féminisme comme un tout homogène. Nous savons toutes et tous que les dirigeants les plus éloignés des mouvements révolutionnaires sont capables de truffer leurs discours de références aux « valeurs » de la « glorieuse » révolution française et ceci de Napoléon jusqu’à Macron ; nous savons que les gouvernements ont toujours trouvé des complices pour soutenir leur entreprise de colonisation ou de guerres impérialistes parmi les féministes ou au sein du mouvement ouvrier mais il y a toujours eu des opposant.e.s, même minoritaires.
Il est tout aussi indispensable de distinguer entre l’affichage féministe de bon nombre de gouvernements occidentaux depuis 1975 [3] qui mènent depuis le début des années 1980 des politiques néolibérales et de nouvelles interventions militaires dans le monde, notamment en Irak et les militantes féministes elles-mêmes dans leur diversité. Cette distinction que ne fait pas F. Vergès est pourtant essentielle. En France notamment, plusieurs composantes du mouvement féministe se sont opposées, plus ou moins radicalement (nous y reviendrons) aux gouvernements successifs et essaient, encore aujourd’hui, dans des conditions difficiles, d’obtenir, grâce à leur action militante, de nouveaux droits pour les femmes, de lutter contre les violences sexuelles et sexistes, contre la précarité et d’organiser la solidarité avec les femmes réfugiées et immigrées.
Un récit simpliste et anachronique
Pour illustrer sa thèse, l’auteure, comme d’autres avant elle [4], s’en prend à quelques personnalités emblématiques. La première est Olympes de Gouges (1748-1793) connue à juste titre pour sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne de 1791. F. Vergès reconnaît qu’elle a été abolitionniste et qu’elle a suscité le scandale du lobby esclavagiste en écrivant une pièce anti-esclavagiste Zamore et Mirza mais à ses yeux, cette pièce est « niaise » [5] et ne va pas assez loin. Sans doute. On peut même rajouter, comme nous le rappelle Dominique Godineau [6], qu’O. de Gouges, bien que solidaire des opprimé.e.s, a toujours préféré « l’ordre » aux émeutes populaires, au point d’ailleurs de dénoncer l’insurrection des esclaves à Saint-Domingue et qu’elle a été guillotinée en 1793 autant pour avoir soutenu publiquement la royauté et les Girondins que pour avoir dénoncé l’exclusion des femmes des droits politiques. Mais est-ce une raison pour la dénigrer systématiquement au lieu de prendre en compte, malgré ses contradictions, la portée de son Manifeste en faveur des droits des femmes, sa détermination à vivre libre, de sa plume et ce, dans un environnement hostile ?
La deuxième personnalité mise à l’index est Hubertine Auclert qui a consacré toute sa vie (1848-1914) à défendre le droit de vote des femmes à une époque où les bourgeois libéraux et G. Sand elle-même préféraient réclamer les droits civils pour les femmes considérant que ces dernières devaient d’abord faire leur éducation en échappant à la tutelle de leur mari avant de réclamer le droit de vote. Elle serait, selon F. Vergès, la représentante type de ce « féminisme civilisationnel » caractéristique des féministes « blanches » en France. Nous ne pouvons revenir ici sur la polémique autour de la personnalité d’Hubertine Auclert. Nous l’avons longuement traitée dans un article rédigé en réponse au livre Les féministes blanches et l’Empire publié en 2012 [7].
Notons au passage néanmoins que F. Vergès ne craint pas, elle aussi, de tronquer des citations pour faire d’H. Auclert la plus raciste des racistes. Elle cite le dernier chapitre de son livre Droit de vote publié en 1908, intitulé « Les femmes sont les nègres ». Dans ce chapitre, dans un langage imprégné effectivement de préjugés racistes, H. Auclert cherche à pousser dans leur dernier retranchement les parlementaires : « Alors que les nègres votent, pourquoi les blanches ne votent-elles pas ? ». Puis elle déclare : « Certes, nous applaudissons à l’assimilation des nègres aux blancs ; mais on nous permettra de demander - Qu’attend-on pour assimiler à leur tour les femmes aux hommes blancs et noirs » ?
Or cette phrase n’est pas citée par l’auteure. Elle était pourtant plus conforme aux positions défendues par Hubertine Auclert après un séjour de quatre ans en Algérie aux côtés de son époux nommé juge sur place. Elle avait dénoncé en effet à l’époque le statut des femmes algériennes, notamment des petites filles mariées de force avant leur puberté mais également le vol des terres des Algériens par le pouvoir colonial et les violences multiples subies par les « indigènes ». Il fallait donner le droit de vote aux « indigènes », selon elle, si l’on voulait laisser une chance à une colonisation qui permettrait aux Algériens et aux Français de tirer bénéfice de cette collaboration. Incompréhension de la logique structurelle du colonialisme, sans aucun doute mais fallait-il pour autant « épurer » les déclaration d’H. Auclert comme l’a fait F. Vergès pour les besoins de sa thèse [8] ?
Seules Flora Tristan qui a pris en considération la détresse des femmes étrangères et ce qu’oublie F. Vergès, l’oppression des femmes prolétaires par les hommes prolétaires eux-mêmes ou Louise Michel qui s’est solidarisée avec les Canaques de Nouvelle Calédonie lors de sa déportation après la Commune, échappent à la critique. Ce sont effectivement deux militantes remarquables mais il y en a eu bien d’autres. Ce qui prouve bien, contrairement à ce que cherche à démontrer F. Vergès, qu’il y a toujours eu une diversité de positionnements parmi les féministes en France et plus largement parmi les femmes engagées sur le plan militant.
Les féministes « blanches » seraient coupables, selon l’auteure, de ne pas avoir fait le « récit des luttes » des femmes colonisées ou « racisées ». On ne peut citer ici la longue liste de chercheuses qui, en tant qu’historiennes, anthropologues ou sociologues, ont contribué à l’analyse du système esclavagiste et de l’évolution des rapports de genre dans ce cadre. Il est vrai que les études anglosaxonnes sont nettement plus abondantes que celles en langue française [9]. Que l’histoire du colonialisme et du postcolonialisme ou que le récit des luttes des femmes « maronnes » ne soient pas assez présents dans les débats, on peut effectivement le regretter mais pourquoi encore une fois opposer le travail des historiennes sur les féminismes en France ou dans les pays occidentaux à celui que peuvent faire des chercheuses dans le cadre d’études « postcoloniales ». Je ne connais aucune féministe hostile, par principe, à ce « décentrement » par rapport à l’Europe …
L’Histoire oubliée du courant féministe « luttes de classe » [10]
Contrairement à ce que laisse entendre F. Vergès, toutes les féministes « blanches » n’ont pas cautionné l’orientation sociale-libérale de la « gauche » gouvernementale depuis le début des années 1980.
Nous avons tenté en 2007 de combler en partie l’ignorance des journalistes ou des jeunes générations féministes en écrivant l’histoire d’un courant féministe méconnu et décrié qui a tenté en permanence de faire le lien entre les luttes féministes et celles des femmes salariées, de défendre « l’autonomie » du mouvement féministe par rapport à l’Etat, dans une perspective « féministe-luttes de classe ».
Après 1981, les militantes de ce courant ont joué un rôle charnière dans la contestation des politiques néolibérales de droite et de gauche qui se sont traduites pour les femmes par une aggravation de leurs conditions de travail et de retraite : développement du temps partiel imposé, de la précarité et plus récemment renforcement du pouvoir patronal à tous les niveaux. Les féministes « luttes de classe » ont popularisé de nombreuses luttes des femmes parmi lesquelles celle des infirmières entre 1988 et 1989. Cette lutte emblématique témoignait comme d’autres (celle des institutrices, des assistantes sociales etc.) de la montée d’un salariat féminin qualifié dans le secteur public qui refusait de se laisser traiter avec mépris par le gouvernement qui leur refusait des salaires à la hauteur de leur qualification, réduisait leurs effectifs et mettait en cause la qualité des soins et du service public plus généralement, au prétexte que toutes ces femmes dans la santé, le travail social, l’enseignement pouvaient se contenter d’être sous-payées dans la mesure où elles réalisaient « leur vocation » etc. [11]. Questions toujours à l’ordre du jour.
Les féministes « luttes de classe » ont par ailleurs été capables de prendre des initiatives nationales très importantes comme cette journée du 24 novembre 1995 organisée par la Cadac [12] qui a précédé de peu le grand mouvement social de 1995 et qui a rassemblé 40 000 personnes dans les rues de Paris, contre le nouveau gouvernement de J. Chirac, pour la défense du droit à l’emploi des femmes, contre l’ordre moral et la montée de l’extrême droite, pour la défense et l’amélioration du droit à l’avortement des femmes et ce, avec le soutien de 140 associations, syndicats et partis de gauche ou d’extrême gauche [13]. Cette activité a permis de tisser de nouveaux liens avec des syndicalistes féministes dans les différents syndicats et de mettre sur pied les « Rencontres féministes intersyndicales » qui rassemblent plusieurs centaines de militant.e.s chaque année, depuis vingt et un ans [14] et de lancer un nouveau mouvement fédérateur en 1997 le Collectif national pour les droits des femmes, le CNDF.
Depuis, une nouvelle génération de féministes a grandi dans un monde bouleversé par la chute du Mur de Berlin et la mondialisation capitaliste qui n’a pas seulement accéléré la circulation des capitaux mais mis en concurrence l’ensemble des travailleuses et travailleurs du monde entier avec d’un côté le chômage massif dans l’industrie en particulier et la dégradation des services publics en Europe et de l’autre l’exploitation maximale d’une main d’œuvre très féminisée dans les pays du Sud, sous la houlette des multinationales. Tout ceci s’est accompagné de mouvements de migrations très importants Sud/Sud, Sud/Nord, Est/Ouest, dans lesquels les femmes sont aussi nombreuses que les hommes, voire majoritaires, dans l’espoir de trouver un travail et souvent une nouvelle vie.
Une association comme Attac et sa commission genre n’ont pas attendu les observations de F. Vergès pour analyser le nouveau contexte dans lequel les féministes doivent intervenir. Il suffit de lire ou relire le livre Quand les femmes se heurtent à la mondialisation publié en 2003 [15]. Mais les féministes, notamment en France auraient-elles ignoré la lutte des femmes « racisées » comme celles des travailleuses du nettoyage dans les grands hôtels ou celle plus récente des travailleuses du nettoyage à la SNCF (les travailleuses d’ONET) qui toutes ont gagné, du moins partiellement, grâce à leur détermination et au soutien de syndicalistes hommes et femmes. Non.
Pour retrouver la trace de cette solidarité nous vous invitons à relire l’intervention d’Evelyne Perrin concernant les luttes dans les Mac’Do à partir de l’année 2000 ou celle dans la chaîne des hôtels ACCOR et de l’un de ses sous-traitants ARCADE où trente femmes d’origine africaine ont fait une grève d’un an en 2002 [16]. Nous vous invitons également à visionner le très beau DVD de Corinne Mélis et Christophe Cordier D’égal à égales, réalisé en 2010 où plusieurs femmes syndicalistes, immigrées ou filles d’immigrées expliquent leur engagement militant face à des conditions de travail particulièrement éprouvantes et leur résistance contre l’exploitation, le sexisme et le racisme [17]. Toujours d’une grande actualité !
C’est encore ce souci de faire converger les luttes féministes et celle des femmes des milieux populaires qui a abouti dans plusieurs villes à la fois à la tenue d’AG communes entre des féministes et des femmes du mouvement des Gilets jaunes (Gj) et à la participation de féministes au cortège des femmes GJ, le 9 mars 2019 notamment. Est-ce là l’expression d’un féminisme « pacificateur » et bourgeois comme l’écrit l’auteure à propos « des » féministes « blanches » ?
Un féminisme décolonial
F. Vergès aurait décidé, quant à elle, de choisir le « bon » camp. Celui des femmes du « Sud global » contre le féminisme « blanc » qui prétend être « innocent » face au colonialisme et néocolonialisme. On pourrait ainsi départager un Sud où toutes et tous auraient été et sont victimes du néocolonialisme et le « Nord » où tous et toutes auraient bénéficié et bénéficieraient encore des « privilèges » associés à celui de « Blanc » dans les colonies et dans les métropoles.
Cette vision simpliste des camps ne permet pas de rendre compte des différenciations sociales et hiérarchiques qui existaient déjà au sein des sociétés précoloniales. C’est également passer par profits et pertes un peu trop rapidement les alliés qu’ont trouvés sur place les trafiquants d’esclaves et leurs successeurs. C’est surtout passer sous silence, les conditions de surexploitation subies par les femmes étrangères dans les riches familles d’Asie ou dans les pays du Golfe. Les tentatives des peuples d’Afrique depuis des décennies de se débarrasser de leur classe dirigeante corrompue (par les anciens et nouveaux colonisateurs) et la mobilisation massive des jeunes en Algérie actuellement devraient inciter F. Vergès à plus de finesse d’analyse.
Il est indéniable qu’en tant que « blanches » nous ne sommes pas confrontées aux multiples discriminations (logement, emploi, orientation scolaire, loisirs etc.) vécues par les jeunes descendant.e.s d’immigré.e.s d’Afrique du Nord ou subsaharienne ou les enfants de Rroms, dans leur vie quotidienne. Nous ne sommes pas immédiatement confrontées au racisme en raison de la couleur de notre peau, même si nos parents ou nos grands-parents (Juifs, Italiens, Espagnols, Portugais etc.) ont eu à subir au cours de leur vie des agressions, voire des crimes racistes et antisémites qui ont marqué notre histoire et notre mémoire. Nous sommes donc bien placées pour comprendre l’importance de lutter contre les violences policières exercées dans les quartiers populaires et pour la régularisation des Sans-papiers [18].
Par ailleurs, il nous semble logique que de jeunes féministes « noires » veuillent créer leur propre collectif ou que de jeunes syndicalistes victimes de discriminations racistes apprécient la possibilité de moments non mixtes dans des stages syndicaux pour discuter entre eux et elles de leurs revendications propres. Mais cette analyse ne nous conduit pas à « essentialiser » les « féministes blanches » comme un groupe homogène, ni à exiger d’elles une forme de contrition destinée à racheter leur prétendue culpabilité collective et transgénérationnelle liée aux « privilèges » dont elles bénéficieraient [19].
En France, Houria Bouteldja a utilisé la notion de féminisme « décolonial » avant F. Vergès pour décrire ce féminisme « paradoxal » qui est le sien face au racisme [20]. Suivant en cela les vieilles recommandations de C. Delphy [21], elle choisit de définir un ennemi « principal » le racisme et refuse de se confronter à son « père ou ses frères ». Soit, mais lorsqu’elle en explicite les conséquences, cela devient nettement plus inquiétant. Son corps ne lui appartient pas écrit-elle : « J’appartiens à ma famille, à mon clan, à mon quartier, à ma race, à l’Algérie, à l’islam. J’appartiens à mon histoire et si Dieu veut, j’appartiendrai à ma descendance » .
F. Vergès, quant à elle, préfère parler de solidarité avec ses frères, plutôt que « d’allégeance ». Nuance qui mériterait d’être approfondie car qu’est-ce qu’un féminisme qui ne veut avoir aucun conflit avec les hommes de son groupe d’appartenance ? Les femmes qui recherchent une émancipation collective et individuelle doivent certes rechercher des alliances avec tous ceux qui sont prêts à les soutenir. C’est un gage de succès mais à la condition que ce soit elles et non pas ceux qui ont le pouvoir qui définissent le contenu de leurs luttes et à condition de se confronter, quand il le faut, à leurs « frères », leurs « camarades » qui en appellent toujours à leur sens du sacrifice pour « sauver » la famille, la grève, le parti, la révolution etc. que sais-je encore ? Les partisanes d’un féminisme décolonial devraient tirer les leçons des féministes afro-américaines du Combahee River Collective qui expliquaient la création de leur groupe dans les années 1970 par « leurs expériences et leurs désillusions ». Elles voulaient développer une politique « antiraciste à la différence de celle des femmes blanches » et antisexiste « à la différence des hommes Noirs et Blancs ». Elles avaient dû assumer les conflits potentiels avec leurs compagnons de lutte. Non par plaisir mais pour pouvoir se faire entendre.
Un féminisme multidimensionnel à vocation universelle
F. Vergès se réclame, en conclusion, d’un féminisme « multidimensionnel ». Nous ne pouvons qu’être d’accord sur ce plan. Mais à une journaliste de France Culture qui lui demandait s’il y avait des combats communs qu’elle envisageait avec différentes composantes du féminisme, F. Verges répondait : non, tant que les féministes « blanches » n’auraient pas fait ce qu’on pourrait appeler leur « autocritique ». Dans ces conditions le dialogue est effectivement très mal engagé. Ce qui est très préoccupant à l’heure où les classes dirigeantes sont à l’offensive sur tous les terrains, à l’heure également où l’aile la plus conservatrice de la droite extrême a le vent en poupe comme aux USA, au Brésil et dans plusieurs pays d’Europe ou d’Asie, à l’heure où le racisme sous toutes ses formes monte en flèche dans de nombreux pays. Il faudrait au contraire essayer de faire converger toutes les luttes dans une perspective anticapitaliste et éco-socialiste. A l’évidence, ce n’est pas le souci de F. Vergès. Malheureusement.
Quant à moi je reste persuadée, comme nous l’avons déjà écrit en 2011, qu’il faut développer un féminisme « à vocation universelle ». Il ne s’agit pas de considérer que « toutes les femmes sont pareilles », pour reprendre les mots de F. Vergès lors d’une réunion, ni de penser qu’il y a un seul chemin à suivre pour l’émancipation des femmes. Ce féminisme à « vocation universelle » ne peut être assimilé à celui affiché par quelques intellectuelles proches des gouvernements dits de gauche qui ont trahi toutes leurs promesses.
Nous faisons référence à un féminisme « à vocation universelle » car « l’universel n’est pas donné une fois pour toutes mais est le résultat de la conjonction de combats sectoriels en vue de l’égalité au fil du temps. Non pas un temps linéaire qui irait pas à pas vers le « progrès » mais un temps chaotique au cours duquel les mobilisations des opprimées et opprimés, avec leurs flux et leurs reflux, permettent d’ouvrir ou non de nouvelles perspectives d’avenir pour l’humanité. Nous avons le sentiment d’être aujourd’hui à un moment charnière : allons-nous être submergé.e.s par la logique infernale de la recherche du profit avec son cortège de misère, d’inégalités multiples, avec en supplément l’horreur nucléaire, l’étouffement des libertés par des régimes policiers, la montée du racisme, etc. ou parviendrons-nous à faire converger les luttes […] » . Ce qui est en jeu, c’est effectivement un changement radical de société mais pour cela, il faut créer un rapport de forces qui sape en profondeur les principaux rapports sociaux d’exploitation et d’oppression qui interagissent les uns sur les autres. Mais ceci n’est possible qu’en dépassant tous les sectarismes. On en est encore très loin.
Josette Trat