Robin Delobel : Où en est-on dans le projet de résolution ?
Véronique Waterschoot [1] : En 2017, Ecolo et Groen ont déposé une « Proposition de résolution concernant le travail de mémoire à mener en vue de l’établissement des faits afin de permettre la reconnaissance de l’implication des diverses institutions belges dans la colonisation du Congo, du Rwanda et du Burundi ». Suite aux concertations menées à l’époque, le texte avait été co-signé par certains partis (le sp.a, le PS et le PTB).
Vu que la problématique de notre passé colonial était revenue sur le devant de la scène mon groupe a demandé d’inscrire cette résolution à l’agenda de la commission des relations internationales de la Chambre. En effet, le contexte politique traduisait un début de consensus et nous avons estimé qu’on pouvait, grâce à notre résolution, enfin avancer sur cette question sensible. Dans la foulée, nous avons tenu une nouvelle réunion de concertation technique avec l’ensemble des partis qui le souhaitaient.
Malheureusement, à deux reprises, certains députés ont joué la chaise vide en commission, le quorum nécessaire à la tenue de débats valides n’a pas été atteint et en conséquence, notre résolution n’a pas pu être présentée ni discutée. Ceci à la grande déception, justifiée, des associations et ONG qui s’étaient mobilisées en nombre dans les tribunes. Il faut déplorer cette situation. D’autres commissions continuent à travailler. Pourquoi pas celle qui devait traiter de la mémoire coloniale de la Belgique ? Je laisse les absents répondre.
Quel est l’objectif de la résolution ?
Le point de départ de notre proposition de résolution est très clair. Nous sommes convaincus de la nécessité d’initier un processus de recherche – tout en nuance mais aussi, autant que possible, en profondeur – concernant les phénomènes structurels liés au colonialisme, à savoir la violence et le racisme, mais aussi les aspects économiques, les activités des missions, la place de la modernisation, le souvenir et sa représentation, (…) Nous demandons la mise en place d’une équipe de recherche internationale et pluridisciplinaire investie d’une vaste mission et composée notamment d’historiens, de criminologues, d’anthropologues, de juristes, de sociologues et d’économistes provenant de Belgique, d’Afrique centrale et de la communauté universitaire internationale. Donc aussi de membres de la diaspora. Et nous proposons de confier à cette équipe une quadruple mission :
- Réaliser une étude historique approfondie sur le rôle structurel de l’État belge et de ses prédécesseurs dans le phénomène de colonisation, ainsi que la fonction des différentes institutions belges (la maison royale, les églises, les entreprises, les syndicats, les universités, les agences de presse…) dans ce passé colonial.
- Tirer des conclusions de cette analyse afin d’élaborer un fil conducteur que les autorités publiques belges et leurs représentants pourront suivre dans le discours de réconciliation postcolonial et en vue de la reconnaissance du comportement de la Belgique à l’égard de l’État libre du Congo, de la colonie belge et des territoires sous mandat.
- Formuler des recommandations sur la façon de stimuler et faciliter structurellement la recherche académique sur le colonialisme et la période coloniale belge. Il s’agira de déterminer quelles mesures peuvent être prises pour accroître la notoriété et l’accessibilité des nombreuses recherches existantes, pour favoriser la communication entre les différentes institutions universitaires et non universitaires. Cette équipe devra également s’intéresser à l’importance des sources orales dans l’histoire de l’Afrique centrale.
- Et enfin, dernière mission, formuler des recommandations sur les autres manières de donner, dans notre pays et notre société, la place qui convient aux conclusions de la recherche historique, notamment par le biais de l’enseignement et de l’espace public.
Pour réaliser ces missions, nous demandons au gouvernement :
- de confier les missions précitées à une équipe interdisciplinaire et internationale,
- de lui octroyer des moyens financiers et logistiques suffisants,
- d’ouvrir les archives publiques pertinentes aux chercheurs,
- d’user de son influence pour convaincre les institutions privées possédant des archives pertinentes de faire de même,
- et de charger l’équipe de recherche de faire annuellement rapport au parlement à propos de l’avancée des travaux.
Pour sa part, le parlement :
- se réserve la possibilité d’envisager l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur certains éléments, si cela devait se révéler nécessaire ;
- et s’engage à reprendre et ratifier les conclusions et recommandations de ce groupe de chercheurs relevant des compétences fédérales.
Quels sont les enjeux politiques ?
Fruit d’un travail préparatoire important et concerté, l’objectif de la résolution – à savoir déployer les moyens nécessaires à un travail de mémoire approfondi sur le passé colonial de la Belgique – a récemment pris une nouvelle acuité au vu de l’actualité. En effet, en février 2019, un rapport d’un groupe d’experts de l’ONU recommandait à la Belgique d’œuvrer à un travail de mémoire et d’actes en faveur d’une meilleure participation des descendants congolais à notre société. Et, en février toujours, à l’occasion d’un intéressant colloque dédié à la gestion des collections coloniales de restes humains organisé par l’ULB, certaines tensions se sont exprimées entre des associations Afro-descendantes et l’université, ainsi qu’envers les discours scientifiques relatifs à la question des restes humains congolais dérobés par nos militaires et médecins belges. Ces facteurs ont réveillé la conscience des politiques : lors de l’examen d’une résolution relative aux œuvres translocalisées par les troupes de la révolution française (!), des amendements – votés à l’unanimité – ont par exemple introduit la question de notre passé colonial dans ce texte consacré au vol de tableaux belges par l’armée de Napoléon.
Vu cette actualité, sur les plateaux de TV et dans les médias, la plupart des partis se sont prononcés pour la tenue d’un large débat, d’un travail de mémoire. Les Verts s’en réjouissent, car ces expressions politiques traduisent les prémisses d’un consensus sur la nécessité d’un examen de cette question douloureuse qui fait partie de notre histoire, celle des rôles et responsabilités dans la colonisation du Congo, du Ruanda et du Burundi.
Dans ces expressions politiques, bien sûr, des nuances, voire des craintes, sont apparues, notamment au niveau de la forme que devrait prendre une reconnaissance et une prise de responsabilité, ou quant à la formulation d’excuses ou pas, par qui, quand, relatives à quelle période... Des nuances quant aux éventuelles formes de réparation également.
À cet égard, nous pensons que notre résolution offre une méthode de travail qui permet de dépasser les clivages, une méthode consensuelle : en effet, le texte ne se prononce pas sur la manière dont il faudra interpréter ce passé colonial, ni sur le type de réparation, restitution. Il avance en effet un plan rassembleur, permettant d’aboutir à la reconnaissance globale de notre passé colonial et de ses abus. Les décisions politiques à prendre en termes de reconnaissance ou réparation pourront ensuite se baser sur ce travail historique.
Certains collègues ont estimé qu’il était trop tard, que les élections arrivaient, que le gouvernement était en affaires courantes, ne pouvait plus agir, ou ne pouvait engager de nouvelles dépenses. Ce furent à nos yeux des arguments d’évitement et de tergiversation. Car adopter la résolution ne signifiait pas dégager immédiatement un nouveau financement, ni constituer en urgence une équipe de recherche. Combien de résolutions ne sont-elles votées et mises en œuvre que fort tardivement, voire pas du tout, par nos gouvernements ? Non, l’adoption de notre texte aurait simplement constitué un jalon important, et le parlement aurait ainsi pris ses responsabilités, et permis au prochain gouvernement de s’en saisir sans délais.
Politiquement, il s’agissait de passer des déclarations aux actes : les partis soulignent l’importance de la problématique dans les médias, se disent ouverts aux débats (s’agit-il de messages à portée principalement électorale ?), les demandes de la société civile sont là, comme celles des experts Onusiens, le parlement n’était aucunement en affaires courantes, c’est le gouvernement qui l’est, le texte sur la table était consensuel, ouvert à amélioration et à d’autres co-signatures : nous pouvions avancer. Certains en ont décidé autrement.
Quoi qu’il en soit, Ecolo et Groen ne lâchent rien et nous restons mobilisés : notre texte sera redéposé lors de la prochaine législature.
Quels sont les liens avec la résolution pour les restitutions ?
La résolution peut très bien intégrer le travail plus spécifique relatif aux restitutions d’œuvres ou de biens injustement dérobés : en effet, le groupe de chercheurs qui sera constitué peut très bien dédier une partie de son travail à la question des œuvres et restes humains volés. Les missions de ce groupe de travail préconisées comportent un travail d’inventorisation des sources relatives à notre passé colonial. Les objets dérobés par nos ancêtres (médecins, militaires, personnages politiques, civils) au Congo, constituent également des sources pour un travail d’analyse historique. Ensuite, lorsque les experts formuleront leurs recommandations sur les manières de donner, dans notre pays et notre société, la place qui convient aux conclusions de la recherche historique, ils pourraient très bien élaborer des propositions sur cette question spécifique de restitution, ainsi que sur les voies légales de les mettre en œuvre.
Le gouvernement annonce depuis deux ans avoir préparé, même si l’on ne voit encore rien venir de concret, l’installation d’un groupe de travail sur cette question spécifique de restitution. Il me semble que nous pouvons grouper les forces, les énergies et les financements, pour plus de cohérence et un travail réellement approfondi et complet, à la faveur d’une réconciliation postcoloniale et de ponts à créer avec notre présent commun.
Robin Delobel
Véronique Waterschoot
Abonnez-vous à la Lettre de nouveautés du site ESSF et recevez chaque lundi par courriel la liste des articles parus, en français ou en anglais, dans la semaine écoulée.