Deux jours après les annonces d’Emmanuel Macron censées répondre à la crise sociale, les « gilets jaunes » comptaient, samedi 27 avril, se remobiliser à travers le pays pour protester, cette fois, contre le « blabla » présidentiel.
Pour cette nouvelle journée d’action, la mobilisation a rassemblé 23 600 « gilets jaunes » en France, selon le ministère de l’intérieur – contre 27 900 manifestants il y a une semaine. Ces chiffres sont parmi les plus bas depuis le début du mouvement à l’automne 2018, mais ils s’expliquent en partie par le fait que certains manifestants avaient prévu de faire l’impasse ce samedi pour se concentrer sur les manifestations du 1er mai, qui s’annoncent tendues.
Par ailleurs, ces données sont contestées, semaine après semaine, par les intéressés, qui publient leur propre décompte. Les « gilets jaunes », pour leur part, ont ainsi dénombré « 60 132 manifestants minimum », selon un relevé provisoire.
Il y avait 2 600 « gilets jaunes » à Paris samedi 27 avril, chiffre auquel s’ajoutent les 3 500 personnes qui se sont jointes au cortège, plus traditionnel, de la CGT, selon le ministère de l’intérieur. Cette mobilisation en baisse dans la capitale, où les autorités avaient dénombré 9 000 manifestants une semaine plus tôt, a en partie été compensée par une plus grande participation dans certaines villes comme à Bordeaux.
« Tous ensemble » à Strasbourg
Après Toulouse pour l’acte XXIII, Strasbourg était l’épicentre du mouvement samedi. A un mois des élections européennes, un appel « international » à manifester à partir de 13 heures en direction du Parlement européen a été lancé sur les réseaux sociaux. La préfecture du Bas-Rhin avait interdit « toute manifestation » dans certains quartiers de la ville, dont celui des institutions européennes.
Le rassemblement, qui a réuni environ 2 000 personnes selon la préfecture, s’est terminé aux alentours de 17 heures. L’après-midi été marqué par plusieurs moments de tensions, notamment lorsque les manifestants ont essayé, sans y parvenir, de rejoindre les institutions européennes.
Selon la préfecture, « de nombreuses dégradations ont été constatées (éléments du mobilier urbain détériorés et brûlés, vol de matériel de chantier, etc.) » au cours de la journée ; 42 personnes ont été interpellées.
Dans la foule, un drapeau allemand a été aperçu et des manifestants belges, allemands, suisses, luxembourgeois et italiens étaient présents à cette manifestation « internationale », selon les journalistes présents sur place. Certains « gilets jaunes » brandissaient aussi une banderole « Hollande + Bayrou = Macron » ou une caricature de « Macron Picsou » tandis qu’une dizaine de fourgons de la police protégeaient les bâtiments municipaux voisins.
Interrogé par l’AFP, Pascal, un pré-retraité strasbourgeois de 58 ans, a estimé qu’il n’y avait « rien eu de concret » dans les annonces du président de la République Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse à l’Elysée jeudi soir. « Ça m’a remotivé », a-t-il expliqué, jugeant que le chef de l’Etat s’en était tenu à du « blabla ».
Le journaliste indépendant Gaspard Glanz se trouvait par ailleurs à Strasbourg pour y couvrir la manifestation. Placé en garde à vue après l’acte XXIII de la mobilisation des « gilets jaunes » à Paris pour avoir fait un doigt d’honneur après avoir été poussé par un policier, ce reporter de 32 ans a été interdit de se rendre dans la capitale tous les samedis ainsi que le 1er mai en attente de son procès, qui se tiendra le 18 octobre.
Gaspard Glanz
@GaspardGlanz
Allez, on retourne au travail !#Strasbourg. Contrôle à la frontière (FR seulement, les all s’en foutent) + Secteurs interdits dans le centre-ville & Secteur Parlement + Départ officiel 13h place de l’Etoile + Medics Allemands venus de Francfort + qq magasins barricadés…
A Paris, « riposte générale » et « marche sur les médias »
A Paris, plusieurs milliers de manifestants, gilets rouges de la CGT, « gilets jaunes » et représentants de partis de gauche mêlés, ont manifesté pour opposer une « riposte générale » au gouvernement et au Medef. Partie vers 13 heures de Montparnasse, la manifestation s’est dispersée moins de deux heures plus tard place d’Italie, sans incident.
Leur défilé a rassemblé 5 500 personnes tous manifestants confondus, selon la police, dont 2 000 « gilets jaunes » qui défilaient en tête de cortège. Les organisateurs, eux, affirment qu’ils étaient 35 000. Le cortège, très étiré, avançait au pas de course.
Des militants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) étaient aussi présents, dont les leaders de la formation Philippe Poutou et Olivier Besancenot, tout comme, côté La France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, le député du Nord Adrien Quatennens ou encore celui de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière.
Dans le carré de tête, Amar Lagha (CGT-Commerce), l’un des organisateurs interrogé par l’AFP, s’est montré déçu par l’intervention du président de la République, jeudi. « Il n’y a rien eu sur le pouvoir d’achat », a-t-il souligné. « Tant mieux pour les retraités, il est revenu sur la bêtise qu’il a faite. Sinon, silence total sur les cadeaux qu’il a faits aux grands groupes. Ce gouvernement n’a rien apporté. Le cap reste le même : la casse sociale. »
La sénatrice (Europe Ecologie-Les Verts, EELV) du Val-de-Marne Esther Benbassa, qui a été de toutes les manifestations des « gilets jaunes », a estimé que « du débat national n’est sortie qu’une souris. C’est bien qu’aujourd’hui nous soyons avec la CGT, parce qu’il faut que le peuple de gauche soit uni. Il y aura aussi le 1er mai pour dire non ».
Dans une autre manifestation, plusieurs centaines de « gilets jaunes » participaient à la « marche sur les médias », appelant à un « traitement médiatique impartial ». Ils se sont élancés peu après 13 heures de la Maison de la Radio, avant de passer devant la tour de la chaîne privée TF1, et de poursuivre leur parcours devant le groupe public France Televisions, la chaîne BFMTV puis le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). « BFM corrompu », ont chanté certains « gilets jaunes » devant le siège de la chaîne d’information en continu.
Peu après 16 h 30, les manifestants commençaient à se disperser dans le calme et sous une pluie battante.
Le Monde avec AFP
• Le Monde avec AFP Publié le 27 avril 2019 à 15h14, mis à jour le 28 avril à 08h37 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/27/deux-jours-apres-les-annonces-de-macron-les-gilets-jaunes-mobilises-a-paris-et-strasbourg_5455740_3224.html
A Dijon, depuis vingt-quatre semaines, « gilets jaunes » et passants se croisent sans se côtoyer
Comme tous les samedis, les manifestants ont défilé dans le centre de la ville bourguignonne, à quelques rues du centre piéton où les passants faisaient leurs achats.
Le rituel est immuable : chaque samedi, depuis vingt-quatre semaines, des centaines de « gilets jaunes » se regroupent place de la République, à Dijon, aux abords de la préfecture, avant de parcourir la ville. Cette mobilisation draine des manifestants à des dizaines de kilomètres à la ronde, venant souvent de départements limitrophes.
Samedi 27 avril, un petit crachin qui a finalement viré à la franche averse n’a pas suffi à les décourager. Les « gilets jaunes » – ils sont 300 ce week-end, estime la police – se lancent dans leur traditionnel défilé urbain ; il se termine, comme toujours, plus de trois heures plus tard, devant les grilles de la préfecture, sous les gaz lacrymogènes et les explosions de pétards.
Le passage du cortège n’étonne plus. Les passants s’arrêtent, certains photographient, avant de reprendre leurs achats dans le cœur commerçant de la ville. Comme si de rien n’était.
« C’est vrai qu’on piétine, je comprends les gens qui se demandent ce que l’on fiche ; si j’étais hors du mouvement, je penserais sans doute comme eux », déclare Maxime, un doctorant qui bosse chez McDo. Le jeune homme n’avait jamais manifesté, assure-t-il, mais il est devenu un vrai activiste au sein des « gilets jaunes », dont il modère l’un des groupes Facebook. Grimé de noir, il fait immanquablement penser aux black blocs, dont il n’est pas, mais qu’il admire, car leur organisation tranche avec le joyeux bazar en jaune : « Au moins, ils prennent leur mouvement au sérieux », estime-t-il.
« S’il y a de la casse, je ne préfère pas traîner »
Si ce samedi la mobilisation demeure faible, loin des 3 000 manifestants des débuts du mouvement, ce n’est sans doute pas à la suite des déclarations du président de la République, jeudi 25 avril, qui semblent avoir laissé les « gilets jaunes » dijonnais de glace.
« Il n’y a aucune mesure concrète, immédiate, mais au moins a-t-on échappé aux petites phrases assassines, ce qui explique le calme de la manifestation », commente Emmanuel, un quadragénaire archéologue, qui a rejoint le mouvement depuis une vingtaine de semaines.
Derrière lui, un manifestant tempête : « On n’en peut plus de voir sa tronche, c’est ça la vérité ! » Maxime se veut plus nuancé : « Si vous voulez la stabilité dans un enfer néolibéral, Macron a raison sur toute la ligne, il reste parfaitement cohérent dans ses justifications du démantèlement des services publics. Et surtout, qu’est-ce qu’il l’exprime bien. »
Le soleil revient, tandis que le cortège s’engage dans la principale artère piétonne de la petite métropole dijonnaise, les regards se tournent vers un immeuble depuis lequel de l’eau et de l’urine ont été jetées sur les manifestants la semaine passée. Rien, cette fois, ne tombera du ciel, et les signes d’agressivité envers les manifestants demeureront exceptionnels.
La troupe en gilet avance, à un train de sénateur, prenant la direction de la prison, autre point de passage obligé pour témoigner de la solidarité aux « gilets jaunes » incarcérés. Au mégaphone, l’un d’eux lance le cri de ralliement « Gilets jaunes, quel est votre métier ? », auquel répondent de puissants « Ahou, Ahou, Ahou », référence à une scène de mobilisation guerrière extraite du film 300 de Zack Snyder.
Deux septuagénaires parisiennes en virée shopping en province lèvent un sourcil réprobateur en croisant le cortège, avant de presser le pas. « Je n’ai pas peur, assure l’une d’elles, mais s’il y a de la casse, je préfère ne pas traîner. »
De la casse, il y en a eu durant ces quatre derniers mois, mais plutôt limitée : une porte de l’hôtel de ville incendiée, quelques panneaux d’affichage fracassés. L’essentiel des échauffourées se concentre, en fin de manifestation, devant la préfecture. Aucune boutique n’a été directement touchée, ce qui n’empêche pas la grogne de monter chez les commerçants dijonnais.
« Ça pique »
« Chaque samedi, ça devient insupportable : les transports en communs sont arrêtés, et les gens ont peur de venir au centre-ville, surtout les personnes âgées », estime Alain, qui tient commerce dans une agréable rue piétonne mais préfère qu’on ne cite pas sa boutique par peur, affirme-t-il, de représailles.
Presque tous les commerçants annoncent enregistrer une baisse de chiffre d’affaires les samedis, que l’un évalue de 15 % à 20 %, tandis qu’une autre pronostique de prochaines fermetures.
Amandine, qui gère Opticien the Store, ne partage pas le pessimisme ambiant. « Je ne suis pas embêtée, les “gilets jaunes” n’ont jamais rien cassé, ni tagué dans la rue. » Les récriminations de ses confrères tiennent plus, à l’en croire, à un atavisme professionnel. « Je n’ai aucune baisse de chiffre d’affaires, ceux qui se morfondent se cherchent des excuses, et ils en ont trouvé une avec les “gilets jaunes”. »
Ce ne sont d’ailleurs pas tant les manifestations qui perturbent le commerce que la crainte des clients et l’absence de tramways, arrêtés tous les samedis après-midi.
Jocelyne, une biologiste venue chercher son café, confirme : « Heureusement que j’aime marcher, c’est le seul moyen de venir en ville. » La quinquagénaire n’a « jamais craint les “gilets jaunes” », mais ne les apprécie guère. « Il y a là-dedans de drôles de têtes, des gens cachés sous tout un tas de bazar qui viennent chercher des ennuis. »
Lors des dispersions, les nuages de lacrymo viennent lécher les boutiques et font presser le pas aux badauds. « Ça pique », glisse, une larme à l’œil, une vieille dame venue faire ses emplettes, alors que fusent les palets fumigènes après un rapide face-à-face entre manifestants et gendarmes mobiles.
Intangible motivation
Plus tard, le cortège, qui s’est clairsemé, termine sa course lente devant les cordons de forces de l’ordre qui gardent les abords de la préfecture. Invectives, maigres projectiles jaillissent, les jets de gaz répondent. Bilan ? Sept interpellations ; c’est dans la moyenne.
Et samedi prochain, ce sera la même chose. Et si certains « gilets jaunes » cherchent des alternatives – on annonce un retour aux ronds-points, une consultation citoyenne et une journée festive –, le rituel de la manifestation du samedi ne va pas s’arrêter.
« Il nous donne de la visibilité, et il nous soude », constate Sophie, une logisticienne qui défile depuis le début, et qui a été blessée à la tête, sans que cela n’affecte son intangible motivation. « Le courage, c’est ce qui caractérise les “gilets jaunes”. Même après les coups, on repart. Et si on est courageux, c’est qu’on est tous ensemble, et c’est ce qui est beau », philosophe Nathalie, chef de service d’un centre d’accueil médico-social. Dans une semaine, elle sera là, avec « la famille » comme se nomment souvent les « gilets jaunes ». Et peu importe l’indifférence qui monte.
Arnaud Bau
• Le Monde. Publié le 28 avril 2019 à 06h28, mis à jour à 11h02 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/28/a-dijon-depuis-vingt-quatre-semaines-gilets-jaunes-et-passants-se-croisent-sans-se-cotoyer_5455860_3224.html
Un acte XXIV pour mesurer la réaction des « gilets jaunes » après les annonces de Macron
Des opposants au président de la République invitent à manifester pour lui montrer que ses annonces de jeudi ne font pas retomber leur colère.
Après les annonces d’Emmanuel Macron, les « gilets jaunes » préparent l’acte XXIV de leur mobilisation, samedi 27 avril. Dans toute la France, ils invitent à se joindre à des manifestations, pour montrer au président de la République que ses annonces de jeudi ne font pas retomber leur colère.
La journée de samedi aura, dans ce contexte, valeur de test pour l’exécutif. Samedi 20 avril, lors de l’acte XXIII, près de 27 900 manifestants avaient été recensés par le ministère de l’intérieur, dont 9 000 à Paris, contre 31 100 (5 000 à Paris), le 13 avril. Les « gilets jaunes » estimaient pour leur part être 100 000 à défiler, le 20 avril.
Car le mot d’ordre est clair du côté des figures du mouvement : hors de question de baisser les bras. « 27/04 manif, 01/05 manif, 04/05 manif, 08/05 manif, 11/05 manif, 18/05 manif, 25/05 manif », a listé dans un tweet lapidaire en forme d’avertissement l’une des figures des « gilets jaunes », Priscillia Ludosky, peu après la conférence de presse présidentielle.
Rassemblement « international » à Strasbourg
A Strasbourg, le mouvement a lancé sur les réseaux sociaux un appel dit « international » à manifester à partir de 13 heures en direction du Parlement européen, à un mois des élections européennes. La page Facebook qui y est consacrée rassemblait, vendredi, 3 500 personnes intéressées, les organisateurs espérant attirer aussi des Allemands et des Belges.
La police craint la présence de black blocs. La préfecture du Bas-Rhin a donc interdit toute manifestation dans certains secteurs de l’île formée par le centre-ville historique, le parvis de la gare ainsi que les abords des institutions européennes.
Jusqu’à présent, les manifestations des « gilets jaunes » sont restées d’une ampleur modérée dans la capitale alsacienne. En Lorraine, des covoiturages sont organisés pour rejoindre la manifestation de samedi.
A Paris, le 1er-Mai en ligne de mire
A Paris, le périmètre prohibé comprendra les Champs-Elysées, l’Elysée, les abords de l’Assemblée nationale et de Notre-Dame. Une manifestation partira en outre du quartier de Montparnasse sous le mot d’ordre « Riposte générale », à l’appel, notamment, de la Confédération générale du travail (CGT). Elle devrait opérer une jonction avec les « gilets jaunes ».
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Une « Marche sur les médias » est également prévue, qui devrait passer par Radio France, TF1/LCI, CNews, France Télévisions, BFM-TV et le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Au-delà de samedi, des messages sur les réseaux sociaux appellent depuis quelques jours à mener « l’acte ultime » à Paris le 1er mai, journée de manifestation syndicale, pour dénoncer « un niveau de répression encore jamais vu jusqu’alors ». Plus de 20 000 personnes se sont déjà déclarées intéressées par l’événement Facebook « Paris, capitale de l’émeute ».
Eviter les dérapages de l’acte XXIII
A Toulouse, épicentre d’un acte XXIII marqué par des échauffourées entre manifestants et forces de l’ordre, il sera à nouveau interdit de manifester sur la place du Capitole de 10 heures à 21 heures mais un appel des « gilets jaunes au centre-ville » a néanmoins été lancé pour le début d’après-midi.
A Lyon, une opération escargot est prévue sur le périphérique. A Lille, Rennes ou encore Rouen, les manifestations seront également interdites dans le centre-ville.
L’acte XXIII du mouvement avait été marqué par les « suicidez-vous » lancés aux policiers par certains manifestants, et le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, avait dénoncé « un rituel de la violence ». « Il s’agit de mettre en cause le président de la République, de façon systématique, ils n’ont pour seul désir que de faire tomber nos institutions », s’est-il indigné à la veille de la vingt-quatrième journée de mobilisation.
Le Monde avec AFP et Reuters
• Le Monde. Publié le 26 avril 2019 à 16h28, mis à jour hier à 09h55 :
https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/04/26/un-acte-xxiv-pour-mesurer-la-reaction-des-gilets-jaunes-apres-les-annonces-de-macron_5455458_3224.html