District après district, les violences communautaires contre les musulmans se propagent au Sri Lanka. Malgré l’état d’urgence de dix jours instauré mardi 6 mars, un habitant a été tué par l’explosion d’une grenade et au moins trois policiers ont été blessés mercredi dans des affrontements avec des émeutiers à Menikhinna, dans la région de Kandy, au centre de l’île. Le gouvernement a prolongé le couvre-feu dans certains districts et suspendu mercredi l’accès aux réseaux sociaux pour éviter la circulation de « messages de haine ».
Les violences ont éclaté durant le week-end à la suite du décès, le 3 mars, d’un Cinghalais bouddhiste qui avait été battu après une dispute dans une station-service. Les responsables de sa mort seraient musulmans. Des mosquées et des commerces ont ensuite été brûlés et un jeune musulman, pris au piège d’un immeuble en feu, a été retrouvé mort mardi. Dans ce pays de 21 millions d’habitants, les musulmans, qui ne forment que 9 % de la population, sont la cible d’attaques provenant de groupes bouddhistes extrémistes.
Les violences « semblent systémiques et organisées », a déclaré mardi le premier ministre sri-lankais, Ranil Wickremesinghe, devant le Parlement, ajoutant qu’« un groupe extrémiste venant de l’extérieur » de la région avait déclenché les émeutes du week-end. « Plusieurs bouddhistes extrémistes connus pour leurs violences étaient présents sur les lieux pour se rendre aux funérailles de la première victime, explique Rajith Keerthi Tenakoon, le directeur de l’ONG Sri Lanka Centre for Human Rights and Research. Ils ont même appelé sur les réseaux sociaux leurs sympathisants de tout le pays à les rejoindre. » Selon plusieurs témoignages rapportés par les ONG et la presse sri-lankaise, les forces de sécurité auraient tardé à réagir. Rauff Hakeem, chef du parti Sri Lanka Muslim Congress et membre du gouvernement, a critiqué la police pour sa « léthargie ».
Ce n’est pas la première fois que des émeutes visent des musulmans. Le 26 février, des incidents avaient éclaté dans la localité d’Ampara après la diffusion d’une rumeur affirmant qu’un restaurant musulman avait servi un plat contenant une « pilule de stérilisation ». Plusieurs commerces musulmans et une mosquée avaient été incendiés.
« Le gouvernement craint pour sa popularité »
Les minorités comme les Tamouls ou les musulmans sont sous-représentées dans les effectifs de la police et de l’armée du Sri Lanka, où les trois quarts de la population sont bouddhistes cinghalais. « Des officiers hésitent à arrêter des extrémistes bouddhistes, en raison d’affinités idéologiques ou parce qu’ils craignent des représailles de la part du prochain gouvernement élu », explique Alan Keenan, du centre d’analyse International Crisis Group.
A deux ans de l’élection présidentielle, l’ancien président Mahinda Rajapakse, qui vient de remporter une large victoire aux élections locales, est jugé favori. Dans une tribune publiée le 7 mars, il accuse « une partie de la population musulmane qui gravite autour des formations politiques communautaristes », sans mentionner la progression de l’extrémisme bouddhiste.
Chantre du nationalisme cinghalais, Mahinda Rajapakse s’était allié lors des dernières élections avec le Bodu Bala Sena (BBS), un parti extrémiste bouddhiste créé en 2012. Malgré des déclarations incendiaires et plusieurs mandats d’arrêt, son secrétaire général Bhikkhu Galagoda-Atte Gnanasara n’a pas été inquiété. « Le gouvernement actuel est fébrile, il craint de perdre en popularité en s’attaquant aux extrémistes », déplore Alan Keenan.
L’accroissement des tensions ethniques est alimenté par la circulation de fausses nouvelles, notamment sur les statistiques ethniques du pays indiquant, à tort, une forte hausse de la part des musulmans dans la population. Neuf ans après la fin d’une guerre civile qui a fait près de 100 000 morts entre les séparatistes tamouls et l’armée, le spectre des divisions communautaires refait surface. « La situation est extrêmement dangereuse, prévient Alan Keenan. Si les musulmans décident de répondre aux émeutes, alors les violences pourraient se répandre dans tout le pays. »
Julien Bouissou (New Delhi, correspondant régional)