Après avoir conduit la prière du vendredi à la mosquée Jami Al-Mujahidin de Setiabudi, un des quartiers du sud de la capitale Jakarta, le 15 février 2019, Budi Karya Sumadi s’est présenté comme président du conseil d’administration des Citoyens aimant les mosquées (MCM). Celui qui est actuellement ministre des Transports a ensuite rappelé l’objectif de la création du MCM fin décembre 2018 : assurer la paix dans les mosquées.
À cet effet, Budi ne cesse de répéter aux fidèles et aux imams de faire des mosquées exclusivement des lieux de culte. Les prêches, précise-t-il, doivent transmettre des messages de paix et non des informations fallacieuses et des appels à la haine.
Sur le site du MCM, Budi encourage les prédications “douces”. Et ce non seulement à l’occasion de la prière du vendredi, mais aussi lors des cinq prières quotidiennes et de toute autre occasion. Il affirme que “c’est un message spécial du président”.
Selon le directeur du MCM, Wisnu Dewanto, si Budi et ses collègues se sont rendus à la mosquée Jami Al-Mujahidin, c’est parce que celle-ci est inscrite sur la “liste rouge”, c’est-à-dire que les prêches de cette mosquée fondée en 1946 ne cessent d’attaquer le gouvernement et le président Joko Widodo, précise Wisnu.
Lui-même a ressenti l’attitude radicale de la direction de cette mosquée lorsqu’il est arrivé sur place avant la prière du vendredi avec Budi. La direction et certains membres de la congrégation lui ont refusé l’entrée sous prétexte qu’il était l’ambassadeur du gouvernement Jokowi-Jusuf Kalla [surnom de Joko Widodo et de son colistier candidat à la vice-présidence].
Un gouvernement qualifié d’hostile aux musulmans
À leurs yeux, ce gouvernement a la réputation de ne pas soutenir les musulmans. Selon Wisnu, cette accusation repose sur des informations fallacieuses énoncées à maintes reprises, notamment lors des prêches dans les mosquées.
Le MCM a été créé pour faire des mosquées des espaces de neutralité politique. Wisnu, également vice-président général du parti Hanura [membre de la coalition de Jokowi pour les élections présidentielle et législatives du 17 avril 2019], plaide :
“Nous veillons à ce que la communauté musulmane ne se laisse pas entraîner par les intérêts de certains groupes politiques.”
L’imam de la mosquée Jami Al-Mujahidin, Ahmad Sulaiman, s’est emporté quand il a appris que son lieu de culte était sur la liste rouge. Il reconnaît l’existence d’un prêche négatif envers le gouvernement – pour lequel il a été accusé de criminaliser les oulémas, tel que le chef du Front de défense de l’islam, Rizieq Shihab, inculpé pour des échanges “pornographiques” avec une de ses maîtresses –, mais il se dédouane :
“Ce qui a été dit lors de cette prédication est un fait, cela n’a rien d’un ‘hoax’ [canular] ni d’une parole haineuse. Les fidèles savent faire la différence, ils sont devenus plus intelligents.”
Propagation d’accusations sans fondement
Sulaiman soupçonne que la raison pour laquelle la mosquée Jami Al-Mujahidin est sur la liste rouge tient au fait qu’un des prédicateurs qui a exercé dans ce lieu est le secrétaire général adjoint du Conseil des oulémas indonésien, Tengku Zulkarnain.
En tant que membre de l’équipe de campagne de Prabowo Subianto et Sandiaga Uno [respectivement candidats aux postes de président et de vice-président face à la candidature de Jokowi], Zulkarnain a attaqué à plusieurs reprises le gouvernement sur la base de sous-entendus fallacieux.
En évoquant, par exemple, la rumeur de l’arrivée de sept containers en provenance de Chine remplis de centaines de milliers de bulletins de vote qui seraient déjà cochés en faveur de Jokowi et Ma’aruf [Ma’aruf étant le candidat à la vice-présidence aux côtés de Jokowi ; il est lui-même ancien chef du très conservateur Conseil des oulémas indonésien]. Ou, autre exemple, en parlant de la volonté du gouvernement de légitimer l’adultère par son projet de loi contre les violences sexuelles.
La police assure des prêches apaisants
Afin de réduire la politisation des mosquées, le MCM s’est également déplacé dans des zones reculées. Outre Jakarta, l’organisation a formé des antennes dans 24 provinces et ne cesse d’approcher les prédicateurs pour qu’ils donnent des prêches apaisants.
À Jakarta, Wisnu Dewanto affirme qu’il y a déjà environ un millier de prédicateurs qui transmettent des messages de paix. Mais le MCM ne s’arrête pas là. Il coopère aussi avec la police, de même que le Conseil des mosquées d’Indonésie (DMI).
Le responsable de la division des relations publiques de la République indonésienne, l’inspecteur général de police Muhammad Iqbal, a confirmé que son institution collabore avec le DMI et le MCM pour neutraliser les mosquées.
“Les membres de la police, y compris les inspecteurs, se font même prêcheurs.”
L’un d’eux est l’inspecteur général de la police régionale de Sumatra-Sud, Zulkarnain Adinegara, qui fait sa tournée matinale en donnant des prêches lors de la prière de l’aube.
Assurer le ‘refroidissement’ des lieux de culte
Il a également affecté 170 policiers et 15 réservistes à la rencontre des responsables des mosquées. Se présentant en civil, ils demandent aux imams et aux administrateurs de veiller à ce que leur lieu de culte ne soit pas contaminé par la politique. “C’est l’une des missions de l’équipe Nusantara”,souligne Adinegara [“Nusantara” est le nom désignant l’archipel indonésien].
L’équipe Nusantara est dirigée par le chef de la police du Grand Jakarta, l’inspecteur général Gatot Eddy Pramono.
Selon Gatot, cette formation a vu le jour à la fin de 2016, alors que des foules de manifestants réclamaient l’emprisonnement du gouverneur de Jakarta de l’époque, Basuki Tjahaja Purnama [chrétien sino-indonésien], qu’elles accusaient de blasphème. [Une organisation islamiste radicale, le Front de défense de l’islam, avait lancé cette accusation de blasphème. Le gouverneur a été condamné.]
À ce moment-là, l’équipe Nusantara s’est mobilisée pour désamorcer les manifestations en dialoguant avec leurs leaders. Aujourd’hui, sa mission est d’atténuer les insinuations fallacieuses et les propos haineux qui sont souvent diffusés dans les lieux de culte.
Les policiers vont même jusqu’à accrocher des bannières dans les mosquées invitant les fidèles à refuser d’en faire des agoras de campagne électorale.“Nous sommes le cooling system [‘système de refroidissement’] de tous les lieux de culte”, plaisante Gatot.
Des mosquées affiliées à des organisations radicales
Le gouvernement a déjà détecté un certain nombre de mosquées dont les prêches enflamment les fidèles. Dans les lieux de culte des ministères et des entreprises d’État, par exemple, 41 mosquées sont notées comme radicales.
“La plupart d’entre elles sont affiliées au Hizbut Tahrir Indonesia [organisation militant pour faire de l’Indonésie un califat], qui a pourtant été dissous par le gouvernement en juillet 2017”, a déclaré le porte-parole du Forum fraternel des mosquées ministérielles, Faizi Zaini.
La police a également découvert 124 mosquées et pensionnats islamiques aux mains de groupes radicaux à Banten, Jakarta, Java-Ouest Java-Centre, Java-Est, dans les petites îles de la Sonde occidentales, à Sulawesi-Centre et Sulawesi-Sud.
Dans une copie du document de la police obtenu par Tempo, les administrateurs de ces mosquées sont affiliés aux groupes islamistes tels que le Hizbut Tahrir Indonesia, le Jamaah Ansharut Tauhid et le Jamaah Ansharud Daulah [ces deux dernières sont responsables d’attentats terroristes en Indonésie et sont également interdites, mais continuent à opérer clandestinement, comme le Hizbut Tahrir].
D’autres mosquées ont été signalées pour avoir invité des prédicateurs dont les prêches diffamaient le gouvernement.
Il est clair que ces prêches sont préjudiciables au candidat Jokowi. Le président du parti Gerindra [membre de la coalition rivale], Sodik Mujahid, reconnaît qu’un grand nombre de responsables de son parti et de membres de l’équipe de campagne de Prabowo Subianto et Sandiaga Uno ont fait des mosquées des lieux politiques.
Par exemple en appelant les fidèles à choisir des dirigeants conformes à l’islam. Pour Sodik :
“Ce n’est pas un mot d’ordre officiel du parti. Mais quoi qu’il en soit, cela ne viole pas les règles électorales parce que c’est de l’éducation politique.”
Hussein Abri (Palembang)
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Hussein Abri
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