L’attaque la plus meurtrière qu’ait connu le pays depuis dix ans. Ce dimanche 21 avril, en plein week-end de Pâques, une série d’attentats a visé des églises et des hôtels au Sri Lanka, faisant plus de 200 morts et blessant 500 autres personnes. Alors que les opérations de déminage se poursuivent, la police a découvert 87 détonateurs de bombes dans une gare de bus de la capitale, Colombo. Les autorités sri lankaises accusent un mouvement islamiste local, le National Thowheeth Jama’ath. Plus de vingt-quatre heures après les faits, l’attentat n’a toutefois pour l’instant pas été revendiqué. Explications avec Anthony Goreau-Ponceaud, maître de conférence à l’Université de Bordeaux, en délégation CNRS à l’Institut français de Pondichéry.
Marianne : La série d’attaques qui a secoué le Sri Lanka ce dimanche est-elle inédite ?
Anthony Goreau-Ponceaud : Il s’agit en tout cas du plus grand épisode de violence qu’ait connu le pays depuis 2009 et la fin de la guerre civile. Le Sri Lanka est un pays qui a une longue histoire de lutte contre le terrorisme. De 1983 à 2009, il a été secoué par les affrontements entre la majorité cinghalaise bouddhiste et l’organisation indépendantiste des Tigres de libération de l’Îlam Tamoul (LTTE). Ce n’est toutefois pas un pays qui a exactement fait la paix avec son histoire : depuis 2009, il n’y a eu aucune enquête pour faire le point sur les crimes de ce conflit. Le Sri Lanka reste une vraie poudrière.
Dans ce contexte, quelle est la place de la communauté chrétienne, visée ce dimanche par ces attentats ?
Après la résolution de la guerre civile, le gouvernement sri lankais a cherché à se trouver un nouvel ennemi intérieur. Il s’est donc tourné contre les minorités chrétiennes et musulmanes. Les partis fondamentalistes bouddhistes, notamment le parti politique cinghalais de droite nationaliste, le Jathika Hela Urumaya (JHU), créé en 2004, ou encore l’organisation nationaliste extrémiste, Bodu Bala Sena (BBS), créée en 2012, ont largement contribué à fragiliser ces deux communautés. Le JHU et le BBS veulent à tout prix imposer le bouddhisme dans la société sri lankaise, quitte à marginaliser chrétiens et musulmans. Le BBS a par exemple appelé au boycott des magasins tenus par les membres des deux minorités. Il est aussi à l’origine d’émeutes, principalement visant les musulmans. Nous sommes donc face à deux communautés qui ne bénéficient pas de la protection suffisante du pouvoir en place.
Y a-t-il un lien entre les décennies de conflit entre ces mouvements bouddhistes et les récentes attaques ?
Je doute que les mouvements bouddhistes soient liés aux attaques de ce dimanche. D’abord car ils visent avant tout la communauté chrétienne. Ensuite, car le mode opératoire ne leur ressemble pas. Les révoltes provoquées par les mouvements extrémistes bouddhistes ont certes été marquées par des émeutes et des incendies de magasins, mais sont sans commune mesure avec la violence de ce dimanche. Il y a eu six premiers attentats à la bombe, dans trois hôtels et trois églises, avant deux autres explosions un peu plus tard, dans des maisons d’hôtes et un ensemble de logements. Il semblerait donc plutôt que l’on se dirige vers une mouvance djihadiste.
De leur côté, les autorités sri lankaises évoquent la piste d’un mouvement islamiste local. Qu’en pensez-vous ?
Dès ce dimanche, le gouvernement a en effet avancé l’hypothèse qu’un groupuscule musulman extrémiste local, le National Thowheeth Jama’ath (NTJ), soit responsable. Ce mouvement s’est fait connaître en vandalisant des statues bouddhistes et en tentant de mettre à sac plusieurs temples. Son secrétaire, Abdul Razik, a notamment été arrêté en 2016 pour incitation au racisme. Il semblerait également qu’une agence de renseignement étrangère a alerté les autorités sri lankaises il y a dix jours, les prévenant que le NTJ projetait des attentats-suicides dans le pays. Mais je suis sceptique. Premièrement à cause de petits indices : la page Facebook du mouvement, par exemple, est très peu alimentée, comme si l’organisation n’était pas ou plus active. Ensuite, car le Sri Lanka compte peu d’exemples de militantisme islamiste dans son histoire. L’émergence d’un mouvement local à qui l’on pourrait attribuer un attentat, surtout de cette ampleur, est très surprenant.
Si le NJT n’est pas responsable, qui pourrait bien s’être rendu coupable de tels actes ?
Les autorités indiennes penchent davantage pour un mouvement islamiste transnational, qui dépasserait le Sri Lanka et pourrait agir dans toute l’Asie du Sud-Est. C’est une possibilité que le gouvernement sri lankais ne veut pas forcément mettre en avant : il n’a aucune envie que le grand frère indien se mêle de ses affaires alors qu’il a choisi de se tourner résolument vers la Chine. Pourtant, la menace est à prendre en compte. Ne serait-ce que parce que les auteurs de cet attentat semblent clairement chercher à déstabiliser le pays. En ciblant la communauté chrétienne comme ils l’ont fait ce dimanche, il n’ont pas seulement touché une minorité. Ils s’en sont pris aux chrétiens, qui appartiennent à deux anciens groupes rivaux du pays, tamoul et cinghalais... de quoi réveiller de vieux conflits. C’est une réalité à prendre en compte : s’attaquer à eux, c’est risquer un embrasement du pays, voire de la région entière.
Propos recueillis par Alexandra Saviana