Pourtant, c’est précisément là où git le problème : ce quasi unanimisme fêté dans l’enthousiasme eût vite fait de montrer —seulement quelques minutes plus tard— toute sa fragilité. Comme si l’argumentaire politique sur lequel il reposait était infiniment plus faible qu’il n’y paraissait. En particulier quand il a fallu expliquer aux grands médias pourquoi, sur la base de ce qui avait été aussi voté par le Conseil National, QS pouvait aller —sous réserves de certaines conditions— jusqu’à être favorable au visage couvert dans la fonction publique.
Chose pas facile, on le comprend pour Ruba Ghazal [1] dont on connaissait son a priori pour la position A, et qui en tentant de faire bonne figure et de se faire l’écho de cette nouvelle majorité, n’a pas manqué –on l’aurait été à moins— de trébucher. Au point d’obliger Gabriel Nadeau Dubois à faire un second point de presse. Et à nos deux porte-parole d’insister sur la nécessité de passer au plus vite à autre chose, en revenant à ce qui était autrement plus important : la lutte aux changements climatiques !
Et même s’ils avaient tous deux infiniment raison sur ce dernier point, il reste que la fonction d’un parti politique est de faire face aux enjeux politiques, tels qu’ils se donnent dans l’ici et maintenant et non pas tels qu’on souhaiterait qu’ils soient. À donner l’impression que sur la question de la laïcité, ainsi qu’elle était présentée par la CAQ, nos porte-parole étaient dorénavant hors jeu : spectateurs passifs d’une joute sur laquelle ils ne pourront plus peser concrètement. À la manière d’une sorte d’implicite aveu d’échec !
Un aveu d’échec
Aveu dont d’ailleurs Jonathan Folco s’est fait à son insu l’écho dans les médias sociaux, lui qui dans une longue tirade essaye de justifier la position majoritaire, en prenant de haut toutes les critiques qui pleuvent pourtant non sans quelque raison sur QS, ainsi qu’en rappelant que « la maison commune brûle, que l’effondrement civilisationnel cogne à nos portes, que les inégalités sociales croissent et que la démocratie est malade ». Mais si on on ne peut qu’être d’accord avec son diagnostic, la seule question qui vaille —bien pragmatiquement quand on est un parti politique comme QS— c’est celle du « comment ? », celle de savoir comment on s’y prend pour venir à bout de tels maux ?
En effet comment pourrait-on lutter avec efficacité contre les changements climatiques et contre les politiques néolibérales de la CAQ, si l’on n’a pas encore pu dessiner pour le Québec une stratégie politique globale susceptible de faire naître une ample majorité sociale et politique ? Une ample majorité capable de résister à l’immobilisme de François Legault, et qui —si on veut qu’elle ait quelque chance de peser dans la balance— ne comprenne pas seulement les proches partisans de QS, pas seulement une certaine génération de jeunes gagnés à la lutte aux changements climatiques, mais de larges secteurs de la populations dont les 30 à 40% qui restent encore souverainistes et n’ont plus 20 ans.
Et comment imaginer que les positions que QS vient de prendre, si tranchées et si à rebrousse-poil d’un certain senti populaire, vont l’aider dans cette tâche ? Tout au contraire : loin de stimuler le rassemblement des forces et l’unité, loin d’aider à la constitution de ce projet politique alternatif commun, elles ne conforteront que les déjà convaincus... et tendront à repousser tous les autres, là où existent déjà, à gauche, tant de fragmentations et de divisions.
L’indépendance, le climat et la laïcité
Certes au CN, le vendredi soir, Sol Zanetti et Catherine Dorion ont essayé —belle intuition— de faire le lien entre l’indépendance et la question climatique. Mais justement si cette réflexion avait été entreprise auparavant et poussée plus loin, dans toutes ses dimensions, et pas seulement sur un mode poétique ou la main sur le cœur, comme un travail d’élaboration du parti lui-même, de tout le parti, nul doute que l’on aurait compris qu’on ne peut pas au pays du Québec, traiter de la laïcité à la légère, ou plutôt de haut. En affirmant par exemple, comme l’a fait Catherine Dorion que « la laïcité qui devrait obséder les solidaires est celle qui détacherait le pouvoir de l’État du clergé de l’argent et de la croissance à tout prix ».
Car s’il faut évidemment lutter contre les grands lobbys économiques et leur puissant bras fédéral, il faut ne pas oublier que pour y arriver avec un minimum d’efficacité au Québec, il faut savoir prendre en compte le senti d’un peuple, de tout un peuple, et en particulier l’histoire dont il vient ainsi que le contexte dans lequel il se trouve. Ce n’est pas seulement en affirmant avec passion « qu’on est en train à QS de redessiner un indépendantisme qui assume profondément son antiracisme » qu’on empêchera des identités collectives meurtries (malmenées par le néolibéralisme) de se muer en identités meurtrières.
À l’oublier, on se campe dans une position apparemment bien radicale et vertueuse, mais à terme totalement improductive, enfermés que l’on reste dans le bocal de verre de ses propres partis-pris.
Espérons que les événements sauront nous apprendre à l’avenir –loin des positions de principes stériles— à être plus attentifs aux défis politiques bien concrets qui se posent à un parti comme QS. N’est-ce pas ce qui a fait jusqu’à présent sa force et qu’il ne faudrait surtout pas rejeter inconsidérément d’un revers de la main ?
Pierre Mouterde
Sociologue et essayiste
Auteur de : Les stratèges romantiques, remédier aux désordres du monde contemporain, Montréal Écosociété, 2017 ; Une gauche en commun, dialogue sur l’anarchisme et le socialisme (avec Marc Ancelovici, Stéphane Chalifoux et Judith Trudeau), Montréal, Écosociété, (sorti en avril 2019).
Pierre Mouterde
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