La démission d’Abdelaziz Bouteflika [au pouvoir depuis 1999] ne signifie pas la fin de la crise politique en Algérie. En vérité, elle reflète une escalade dangereuse d’une guerre de clans qui est en train de se jouer depuis l’implication directe du chef d’état-major de l’armée algérienne, le général Gaïd Salah. Ce dernier rêve d’un destin à la Sissi en Égypte. Et pour s’emparer du pouvoir, il veut faire le forcing pour accélérer le départ des Bouteflika et tente également de séduire la rue pour se maintenir dans ses fonctions [le 26 mars, le général, pourtant un fidèle du président Bouteflika, a pris position en faveur de sa destitution via le recours à l’article 102 de la Constitution ; le 30, il revient à la charge et mentionne, en plus de l’article 102, les articles 7 et 8 consacrant la souveraineté du peuple, pour une sortie de crise ; il hausse également le ton en faisant allusion à “certaines parties mal intentionnées”, qui voudraient porter atteinte à la crédibilité de l’armée].
Pouvoirs constitutionnels
Mais la démission officielle d’Abdelaziz Bouteflika a piégé Gaïd Salah et l’a poussé vers l’erreur. Ce dernier, sous l’emprise de la tentation d’un coup d’État, est désormais contraint de faire marche arrière car Bouteflika a promis de prendre des décisions importantes d’ici son départ, le 28 avril prochain, date de l’expiration officielle de son mandat présidentiel. Et le communiqué de la présidence est suffisamment clair à ce sujet : Abdelaziz Bouteflika dispose de tous les pouvoirs constitutionnels qui lui permettent de prendre des décisions importantes comme le remplacement du chef d’état-major de l’armée. En clair, les jours d’Ahmed Gaïd Salah sont comptés et Bouteflika “le prendra avec lui lorsqu’il partira du pouvoir” comme l’exigent les manifestants algériens dans les slogans immortalisés chaque vendredi [depuis le 22 février] sur leurs banderoles.
Après avoir pris l’initiative d’appeler à la destitution de Bouteflika, Ahmed Gaïd Salah perd aujourd’hui toute légitimité puisque le départ du président de la République est officiellement acté. Excepté son rôle de veiller sur la sécurité du pays, Gaïd Salah ne peut plus jouer un rôle politique et il devra accepter de partir comme Bouteflika puisqu’il fait partie de cette même “clique” qui dirige l’Algérie et profite de ses richesses depuis plus de vingt ans.
La stabilité du pays
Or, le clan Gaïd Salah risque de s’entêter et pourra refuser d’abandonner les privilèges du pouvoir. D’ailleurs, les relais médiatiques du clan Gaïd Salah, comme les chaînes de télévision privée Echourouk et El Bilad, ont d’ores et déjà dévoilé la future attitude de Gaïd Salah : il refusera de partir si la présidence décide de le limoger ! Preuve en est, ses relais médiatiques ont expliqué que le communiqué de la présidence de la République a été rédigé par Saïd Bouteflika [le frère du président] et non par le président lui-même. Toute décision émanant de la présidence dans les prochains jours sera donc contestée par l’état-major ?
Cette prise de position est très dangereuse car Gaïd Salah joue avec la stabilité du pays et vendredi prochain, des millions d’Algériens vont encore le rappeler à l’ordre. Les Algériens ne vont jamais se contenter du départ des Bouteflika. Ils veulent un changement radical de leur système politique. Et même un coup d’État ne leur fait pas peur.
Abdou Semmar
Abdou Semmar
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