Le sexe, c’était son truc. Tant au sein de l’Église qu’à l’extérieur, George Pell a bâti sa carrière en prônant les règles de sa foi à ce sujet. Son intransigeance l’avait rendu célèbre. Il faisait régulièrement les gros titres par ses prises de position contraires à l’air du temps, il exigeait l’obéissance, dressait la liste des péchés, condamnait les pécheurs.
Il avait toujours une sentence d’une sécheresse dogmatique prête à l’emploi. L’innocence universelle ? “Un mythe dangereux.” Le péché originel ? “Il se porte bien, merci.” La consommation de stupéfiants ? “C’est mal, un péché.” La fécondation in vitro pour les mères célibataires ? “Nous sommes sur le point de créer une génération entière d’enfants volés.” Et il était sûr à chaque fois de susciter un tollé satisfaisant.
Il accusait sa propre Église d’avoir “peur de mettre en avant les préceptes rigoureux du Christ”. Son assurance lui avait valu peu d’amis, beaucoup d’ennemis, et de hautes fonctions. Archevêque à Melbourne, puis cardinal à Sydney, Pell a combattu avec une formidable énergie la contraception, l’homosexualité, le génie génétique, le divorce, le mariage pour tous et l’avortement.
Il se montrait particulièrement impitoyable avec les gays. Quand une couronne a été déposée à l’extérieur de la cathédrale Saint-Patrick de Melbourne en mémoire des élèves gays poussés au suicide dans les établissements scolaires catholiques, il a fait montre du dédain le plus absolu. “Je n’ai pas les bons chiffres quant aux raisons de ces suicides, a-t-il déclaré. S’ils sont liés à l’homosexualité, c’est une raison de plus de décourager les gens de s’engager dans cette voie. L’activité homosexuelle présente un plus grand risque pour la santé que la cigarette.”
Les autorités laïques ne cessaient de le contredire sur la cigarette, le sida et le suicide chez les jeunes, mais cela le laissait de marbre. Il rejetait la responsabilité de leurs difficultés sur les gays eux-mêmes. Selon son raisonnement, s’ils arrêtaient de recruter “de nouveaux membres dans leur sous-culture”, il n’y aurait pas de jeunes gays pour se suicider.
Il avait l’art de tout simplifier, sans ménagement.
“Une triste affaire et qui ne m’intéressait pas vraiment”
Fils d’un patron de bistrot qui organisait des paris pour les turfistes depuis le bar de l’hôtel Royal Oak à Ballarat, Pell s’est très vite distingué comme meneur. Étudiant à Rome, il est ordonné en la basilique Saint-Pierre, décroche un doctorat à Oxford et revient à Ballarat, qui est alors un véritable repaire de pédophiles.
Comme par miracle, de retour sur son territoire, le prêtre passe ces années sans jamais rien remarquer de suffisamment inquiétant pour tirer le signal d’alarme. Ce qui est une bonne chose pour sa carrière. Il reconnaîtra quelques années plus tard avoir vu et entendu parler de certaines choses, mais il n’a jamais posé de questions. “C’était une triste affaire et qui ne m’intéressait pas vraiment.”
Contrairement à Rome, l’Australie n’a jamais tenu George Pell en haute estime. De nombreux catholiques australiens ont été stupéfaits par la nomination de cet homme aussi peu amène, et parfois embarrassant, au poste d’évêque auxiliaire de Melbourne en 1987. Mais nous étions alors au lendemain du règne de Jean-Paul II et, partout dans le monde, des hommes de ce genre se voyaient récompensés. L’Église retrouvait sa puissance.
Pell n’a rien fait pour arrêter les agissements des prêtres pédophiles durant les années où il était évêque auxiliaire alors que les pires crimes lui étaient rapportés. Il n’en savait pas suffisamment, affirmera-t-il plus tard, et il n’avait pas l’autorité pour agir. En dépit des supplications de parents et de professeurs, Pell a également laissé le père Searson, un dément qui possédait une arme et terrorisait les enfants, diriger l’école primaire de Doveton.
Sa nomination en tant qu’archevêque a stupéfié les catholiques de Melbourne. Mais il n’avait pas besoin d’être apprécié d’eux. Il n’avait pas besoin de leurs suffrages. Son autorité lui était conférée par Rome, où il faisait partie de nombreux cénacles sur la doctrine de l’Église. À cette époque, la Congrégation pour la doctrine de la foi multiplie les règles conspuant les homosexuels.
Pell a gagné ses galons grâce à la guerre contre le sexe
Il est devenu en 2002 membre du Conseil pontifical pour la famille, qui déconseillait aux gouvernements du monde entier d’accorder des droits aux gays, car cela revenait à “nier un problème psychologique qui rend l’homosexualité préjudiciable au tissu social…”.
À cette époque, Pell était déjà installé à Sydney et il est devenu cardinal en 2003. On ne peut raconter l’histoire de son ascension sans reconnaître que ce prince de l’Église était un gestionnaire de talent et un fin politicien.
Pell était à l’aise dans les hautes sphères. Il savait mieux que quiconque soutirer de l’argent aux gouvernements. Si vous vouliez construire un réseau d’universités catholiques, Pell était l’homme de la situation. Idem si vous vouliez échapper au paiement de centaines de millions de dollars susceptibles d’être attribués par la justice aux victimes d’abus sexuels. Idem si vous vouliez paralyser le plus longtemps possible les enquêtes officielles sur les actes de prêtres pédophiles.
Lors du lancement de la Commission royale sur les mesures institutionnelles contre la pédophilie en Australie, en 2013 – la première enquête d’ampleur nationale au monde –, l’examen des travers dans toutes les religions se révèle scientifique et accablant. Les conclusions couvrent de honte l’Église catholique. Pell témoigne à plusieurs reprises, paraissant à chaque fois mal à l’aise. Répondre à des questions n’est pas dans ses attributions habituelles. Mais les commissaires se sont uniquement penchés sur ses péchés par omission, sur son incapacité, au fil du temps, à protéger les enfants, à discipliner les prêtres et à réconforter les victimes.
Ils n’ont pas réexaminé les accusations selon lesquelles, du temps où il était séminariste, il aurait infligé des sévices à des garçons dans un camp de Phillip Island. Dans les premiers mois où il était archevêque de Sydney, Pell a été mis à pied pendant quelques mois pendant que l’Église examinait les affirmations de l’un des anciens enfants de chœur. Le verdict du juge à la retraite a été le suivant : pas de preuve, mais pas de non-lieu.
En revanche, les membres de la commission ont cuisiné Pell sur les activités passées de l’Église. Il a reconnu des torts. Il a exprimé des regrets. Il a mis en avant le travail de sa Melbourne Response, destinée à venir en aide aux victimes. Et il a reconnu à contrecœur que le célibat pourrait être “un facteur” dans les viols d’enfants.
Cantiques sur la chasteté
Il n’en restait pas moins profondément attaché à l’interdiction totale de toute activité sexuelle pour les prêtres. Combien de cantiques sur la chasteté il aura chanté au fil des années. La chasteté est sacrée. La chasteté est une offrande au Christ. La chasteté prouve que votre premier amour est pour Dieu et pour nul autre. La chasteté libère l’énergie et l’enthousiasme au service des fidèles. La chasteté permet de garder le cœur pur. La chasteté fait de chaque prêtre un nouveau Christ, appelé à une paternité spirituelle par l’entremise des sacrements.
Un tel discours impressionnait au plus haut point Jean-Paul II et Benoît XVI, mais le pape François ne voit pas du tout les choses du même œil. “Derrière la rigidité, il y a toujours quelque chose de caché, a-t-il déclaré. Souvent une double vie.”
Le monde peut maintenant savoir qu’il y a un peu plus de vingt ans, pendant les premiers mois où il était archevêque de Melbourne, ce pourfendeur du sexe violait des enfants de chœur.
David Marr
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