Il est loin le temps où la République fédérale s’engageait résolument dans la restructuration de son appareil de production d’énergie. A l’époque du gouvernement Schröder soutenu par une coalition SPD-Verts (1998–2005), le développement des énergies renouvelables avait connu un succès important grâce à une formule simple : l’installation de panneaux solaires sur les toits garantissait aux couches moyennes une rétribution conséquente de l’électricité fournie au réseau, tandis que la cherté de l’électricité payée par le client ordinaire la plaçait au deuxième rang européen (presque 30 cent le kilowatt-heure l’an passé). Voilà pourquoi en 2017, en bas de l’échelle des revenus, 350 000 foyers étaient touchés par des coupures de courant.
Après 2005, les différentes coalitions qui ont soutenu la chancelière Merkel n’ont pas ménagé leurs efforts pour freiner la forte dynamique de développement des énergies renouvelables, complexifiant les conditions de mise en service de nouvelles installations et diminuant considérablement les tarifs de rachat de l’électricité produite par les particuliers. Non par crainte d’un envol du prix du courant, mais pour défendre le modèle économique traditionnel de la production d’énergie. Malgré cela, la part de l’électricité propre a continué à augmenter pour atteindre près de 40 % l’an dernier.
Pour autant, il n’y a pas eu de volonté d’éliminer les vieilles centrales au lignite et au charbon à la hauteur de l’augmentation de la production d’électricité durable. Celles-ci sont en général la propriété de grands groupes qui dans une très large mesure sont restés passifs des années durant indifférents alors que le tournant énergétique s‘opérait. Leur parc d’installations depuis bien longtemps obsolètes est une vache à lait qu’ils ne sont pas disposés du tout à se voir retirer. Cela explique pourquoi la part du charbon et du lignite dans le mix énergétique allemand est encore de 40 %, soit en quatrième position dans l’Union européenne derrière la Pologne, la Tchéquie, la Grèce et la Bulgarie.
La conséquence, c’est une surproduction structurelle. Quand le vent souffle et que le soleil brille, il faut vite et massivement retirer du réseau des capacités de production conventionnelles. Quand ce n’est pas fait, on vend régulièrement l’électricité en excédent sur les marchés libres, le cas échéant à perte. Même les plus conservateurs des expert-e-s relèvent que l’on peut retirer tout de suite du réseau 7 gigawatts (GW) sans affecter en aucune façon la sécurité d’approvisionnement du pays.
Comme rien n’a été fait en ce sens jusqu’alors, les émissions de CO2 ont à peine diminué depuis 10 ans. Et pourtant, il est encore courant d’entendre des responsables politiques présenter l’Allemagne comme à l’avant-garde de la protection du climat. La réalité est malheureusement toute autre. Même si l’on prend des indices de base comme la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie globale (consommation d’énergie brute), l’Allemagne est loin derrière, à la 18e place entre la république tchèque et la Hongrie. Au classement annuel « Climate Change Performance Index » de l’organisation environnementale non-gouvernementale German Watch, l’Allemagne se situe en 2019 à la 27e place seulement.
Parce que ces dernières années il n’était plus possible de ne pas entendre les protestations, et aussi parce que les membres de la coalition gouvernementale n’arrivaient pas à se mettre d’accord, en 2017, après les élections générales, SPD et CDU ont inclus dans leur contrat de coalition la formation d’une commission « pour la croissance, le changement structurel et l’emploi », communément appelée « commission sur le charbon ». Ses missions étaient diverses. Il lui revenait d’élaborer avant la fin 2018 un programme d’action assorti de mesures visant à diminuer l’écart entre ce qui est considéré comme nécessaire et la réalité des objectifs de réduction des émissions de CO2. Elle avait aussi à présenter un plan de réduction progressive allant jusqu‘à l’élimination de la production d’électricité carbonée, assorti d’une date d’arrêt définitif. Et elle devait élaborer des propositions pour les mesures d’accompagnement nécessaires sur les plans juridique, économique, social et structurel.
Parmi les 27 membres, il y avait deux représentant-e-s de communautés impactées dans les deux grandes régions d’extraction de lignite à ciel ouvert, seulement trois représentants de grandes organisations non gouvernementales et pas un seul représentant de DIE LINKE – dans l‘ensemble une majorité solide pour les intérêts industriels et économiques à court terme et pour celles et ceux qui continuent à croire que nous aurons encore le temps après-demain de trouver des réponses à la catastrophe climatique. Cette commission a rendu ses conclusions le 26 janvier.
Elle recommande, en plus des fermetures déjà prévues, de mettre à l’arrêt d’ici 2022 des centrales au lignite pour une capacité de 3 gigawatts et des centrales au charbon à hauteur de 4 gigawatts. D’ici 2030, 6 gigawatts supplémentaires doivent être supprimés et l’électricité carbonée doit disparaître complètement en 2038.
La bonne nouvelle est donc qu’après une décennie de stagnation, la diminution des émissions de CO2 va enfin reprendre. Cependant toutes les associations environnementales et le mouvement pour la justice climatique critiquent ce tempo beaucoup trop lent. Avec ce calendrier de sortie au ralenti on peut prédire que la République fédérale ne pourra pas respecter ses engagements internationaux ; alors qu’au fond chacun sait qu’il ne sera pas possible de recourir au charbon jusqu’en 2038.
De plus, ce rapport n’est qu’une recommandation adressée au gouvernement fédéral. Celui-ci doit l’utiliser comme base pour préparer un projet de loi dans les mois à venir, et personne n’est en mesure de dire ce qu’il en restera. Selon les vœux de la commission, c’est une capacité de 3,1 gigawatts qui doit disparaître d’ici 2022 dans le bassin de production de lignite rhénan (entre Aix-la Chapelle et Cologne). Les centrales et les sites d’extraction y sont la propriété de l’opérateur géant du secteur RWE. Pour l’instant, il ne se dit prêt à supprimer que 2,4 gigawatts, et cela bien que le rapport final promette aux groupes industriels 6 milliards d’« indemnités » d’ici à 2030.
Pour autant, si le gouvernement et les opérateurs du secteur énergétique devaient avoir caressé l’espoir que ce rapport, résultat de la concertation au sein d’une commission dont la composition avait été soigneusement pesée, puisse avoir des suites démobilisatrices, alors ils se sont bercés d’illusions. Certes les représentants des organisations non gouvernementales ont donné eux aussi leur approbation à ce rapport final et cherché ensuite à justifier ce vote positif. Mais parmi toutes celles et tous ceux qui ont porté la mobilisation pour le climat jusqu’à maintenant, l’idée qui domine très largement, c’est qu’avec le calendrier proposé pour la sortie, il ne sera pas possible de sauver le climat. C’est pourquoi la résistance continue. Ces dernières semaines, 155 groupes locaux des « vendredis pour l’avenir » ont pris possession des centres-villes avec leur grève scolaire.
Hanno Raußendorf