Le syndicalisme en question
Rédigé le 23/01/2007 à 13:49
Il y avait beaucoup de monde au séminaire sur le thème « Labour and Globalisation » à l’initiative de la CGIL, la grande centrale italienne. Pour l’essentiel des syndicalistes venus d’Europe et d’Amérique latine, mais aussi quelques participants originaires d’Afrique du Sud, des Etats-Unis, d’Inde et du Japon. Les questions posées étaient simples : pourquoi les syndicats ont-ils tant de mal à résister à la précarisation de l’emploi et à gagner de nouveaux droits pour les travailleurs ; quelles sont les mutations nécessaires ?
Les analyses sont convergentes : la mondialisation est aussi une transformation profonde du capitalisme, avec la généralisation de la sous-traitance, de la précarisation et flexibilité de l’emploi qui rend difficile les luttes syndicales traditionnelles. Un premier niveau de réponse est aussi partagé : seule une alliance forte entre les différents secteurs de la population victimes de ces processus permettra de dépasser les difficultés actuelles.
C’est sur les moyens de mettre en œuvre cette politique d’alliance que les problèmes commencent. Une féministe et syndicaliste d’Afrique du Sud explique toutes les difficultés qu’elle a à convaincre ses camarades, à prendre en compte les femmes, reléguées le plus souvent dans des emplois précaires et donc non syndiqués. Un militant brésilien de la CUT estime que le regroupement mondial des syndicats qui vient de s’opérer risque de n’être qu’une opération bureaucratique qui ne répondra pas aux défis au syndicalisme.
Un responsable de l’ORIT, qui regroupe tous les syndicats des Amériques, du Canada à l’Argentine, explique comment le projet d’accord de libre échange des Amériques à été mis en échec. Dès 1994, l’ensemble des Etats des Amériques - à l’exception de Cuba - initient, sous la pression des Etats-Unis, le processus de mise en place de l’accord de libre échange. En 1997, une « Alliance Continentale » est créée avec l’ORIT, l’essentiel des mouvements paysans et indigènes, les mouvements de femmes, etc... Cette alliance est ouverte à tout groupe qui veut la rejoindre. Les différences de points de vue ont rendu ses débuts difficiles, mais l’alliance continentale s’est solidifiée grâce à une longue phase de discussion qui a permis de rédiger une plate-forme « Alternatives pour les Amériques » et surtout des mobilisations communes comme celle de Québec, en avril 2001, lors d’une rencontre des chefs d’Etats.
La combinaison entre la mobilisation, sous l’égide de l’Alliance, ainsi que les basculements politiques en Amérique du Sud (Brésil, Venezuela, Bolivie…) ont permis de faire échouer en 2005 le projet d’accord de libre échange. Une nouvelle étape s’ouvre aujourd’hui pour définir ce que serait une coopération internationale solidaire en Amérique Latine. Une « Rencontre des Peuples » s’est tenue à Cochabamba, en Bolivie, en décembre 2006 pour jeter les bases de ce projet. Un exemple utile à connaître pour réfléchir aux alternatives à construire, en Europe, après le rejet du projet de constitution en 2005.
La tente éthiopienne
Rédigé le 22/01/2007 à 22:13
Un stand d’exposition était resté vide à côté de la tente du Forum social africain qui sert de lieu de rencontre pour toutes les délégations du continent. Il a tout de suite été occupé par la délégation du Forum Social Ethiopien. Un stand qui vend des tissus et vêtements locaux et fait la promotion des petits producteurs de café en offrant du café préparé de manière traditionnelle. Rencontre avec Azeb Girmai qui anime la délégation éthiopienne.
Azeb est membre d’Enda tiers-monde, une ONG basée à Dakar qui joue un rôle important dans le Forum social africain. Quatre-vingt cinq personnes sont membres de la délégation qui a dû se résoudre à venir en avion, la route étant trop incertaine du fait du conflit somalien. Celle-ci est composée de mouvements sociaux, d’ONG, d’organisation de femmes, de mouvements de jeunes et de mouvements pastoraux. Une expression qui pourrait prêter à confusion au Kenya, où les églises sont très présentes, mais qu’il faut prendre dans son sens premier : il s’agit de mouvement d’éleveurs nomades qui ont décidé de s’organiser et de défendre leurs droits et leurs intérêts.
Dans chaque région, des mouvements locaux de pasteurs se sont formés et ils ont tenu dans la dernière année leur premier congrès national à Addis-Abeba. Ils sont aujourd’hui suffisamment représentatifs pour avoir fait élire deux membres au parlement.
Leur revendication principale est la reconnaissance de leur spécificité, accompagnée de la mise en œuvre de mesures correspondant à leur mode de vie nomade : système scolaire adapté, accès aux soins, etc.
Pour Azeb, ce Forum est un événement historique. Son pays était resté très fermé jusqu’à aujourd’hui et jamais autant de militants n’avaient eu l’occasion de voyager et de pouvoir échanger avec d’autres. C’est particulièrement vrai pour les vingt cinq jeunes de la délégation.
Un salut aux éleveurs nomades, une photo souvenir et la promesse se revoir !
Un forum, comment ça s’organise
Rédigé le 19/01/2007 à 19:40
Le Forum Social Mondial est devenu dès 2001 le lieu de référence pour l’ensemble des syndicats, des ONG, des associations et des mouvements. C’est l’endroit où les divers rencontres et débats permettent de faire le point. C’est là où se construisent les campagnes et coalitions qui vont agir sur les sujets les plus divers : le réchauffement climatique, la guerre en Irak, les droits des femmes, la souveraineté alimentaire, etc.
Mais si le suivi des campagnes est la raison d’être des forums, il existe d’autres niveaux de lectures pour qui s’intéresse aux FSM.
Particulièrement intéressant est le bruit de fond, la thématique centrale qui donne un sens à chaque FSM. Il ne s’agit pas d’une décision ou d’une orientation qui serait décidée par une structure de direction du Forum. Il n’y a pas de structure de ce type et un des principes qui régissent les forums et l’absence de délégation : personne ne peut s’exprimer au nom du Forum !
Le bruit de fond est donc quelque chose qui s’exprime à travers les commentaires de tout un chacun, où les phrases qui reviennent en boucle à chaque interview avec un journaliste… En janvier 2001, à Porto Alegre, c’était « Face à la pensée unique représentée par Davos, un autre monde est possible ». En janvier 2002 c’était le double refus des attentats du 11 septembre et de la guerre sans fin décidée par George Bush, et en 2003 le refus de la guerre en Irak. Difficile de dire ce que sera le bruit de fond de Nairobi...
Un autre niveau de lecture est celui des luttes et préoccupations des militants de la région où le Forum est organisé. A Porto Alegre : la montée des résistances mais aussi l’arrivée de gouvernements de gauche en Amérique Latine. A Mombai, en Inde : la lutte contre le sectarisme religieux et le système de castes… Ici, il sera intéressant de voir les réactions à l’offensive éthiopienne et la chute des tribunaux islamistes en Somalie. Important aussi de voir le poids des églises chrétiennes dans le Forum : le Kenya regorge de charismatiques et évangélistes de toutes obédiences.
Et il y a, enfin, l’intendance, l’organisation de l’événement : tout ce qui permet à des dizaines de milliers de militants venant du monde entier de se réunir, de communiquer, de se comprendre. Pendant les tous premiers forums, les organisateurs brésiliens s’étaient adressés à des entreprises locales qui avaient pris en charge la construction des salles de conférence et l’organisation de la traduction. Mais l’importance prise par les forums est devenue telle que cela ne pouvait plus fonctionner, ou à un coût tel qu’il était hors de portée des organisateurs et contradictoire avec l’esprit même du Forum. Combinée avec ses contingences pratiques, une réflexion critique s’est développée autour de l’idée d’utiliser les forums comme un espace qui devrait permettre non seulement de discuter et de construire des campagnes, mais aussi d’expérimenter des pratiques alternatives. Issue du camp de jeunes, à Porto Alegre, cette réflexion a abouti à l’idée d’expérimenter et de populariser des pratiques telles que l’utilisation de produits alimentaires issus de la petite production paysanne locale, l’usage de logiciels libres, et le recours au volontariat plutôt qu’à des entreprises du secteur privé. Grâce à cette méthode, il a été possible de s’appuyer sur des centaines de volontaires pour démultiplier la traduction, y compris dans les petites salles, et de penser des équipements moins coûteux pour les dizaines de milliers de personnes nécessitant des appareils de traduction.
Mais le recours à des milliers de volontaires est plus facile en Europe ou même à Porto Alegre, dans la partie la plus développée du Brésil, qu’au Kenya où la lutte pour la subsistance est une lutte quotidienne. Les organisateurs du FSM ont donc décidé de prendre en charge eux-mêmes la traduction, en utilisant des matériaux peu coûteux basés sur des radios FM construites par les militants grecs pour le Forum Social Européen d’Athènes de mai dernier et les militants indiens pour leur propre Forum Social. Le principe de faire appel à des volontaires a été maintenu, mais avec une aide matérielle quotidienne. Et les derniers jours d’avant forum permettent de faire les derniers tests et les derniers entraînements pour les interprètes…