Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a fait ses adieux au Parlement en prononçant mercredi 13 février le dernier discours de son quinquennat. À deux mois des élections générales, le dirigeant nationalise hindou a tenu à rendre hommage à “la confiance” que les Indiens ont, d’après lui, retrouvée sous son mandat. Dans les rues de Delhi, la journée a pourtant été marquée par des manifestations de défiance, la famille Gandhi et ses fidèles du Congrès national indien (INC) criant au scandale à propos de l’affaire des Rafale, les avions de combat vendus en 2016 à l’armée indienne par le groupe français Dassault Aviation pour 7,87 milliards d’euros.
La Cour des comptes (Comptroller and Auditor General) de l’Inde venait en effet, à la dernière minute, de rendre un rapport sur le sujet, attendu depuis le mois de décembre. Le document n’a pas pu faire l’objet d’un débat et, sans surprise, il absout le gouvernement Modi de toutes les accusations portées contre lui. Sans surprise car, ainsi que le relevait depuis plusieurs jours le leader de l’opposition Rahul Gandhi, le président de la Cour des comptes, Rajiv Mehrishi, est en conflit d’intérêts “pour avoir été secrétaire général du ministère des Finances puis du ministère de l’Intérieur” au début du mandat de M. Modi, au moment où ce dernier négociait avec Dassault, relève The Wire.
Des rapports contradictoires sur le prix des Rafale
Selon les premiers éléments qui ont fuité sur les sites de presse, le rapport établit que chacun des 36 Rafale commandés à la suite d’un accord intergouvernemental noué avec Paris en avril 2015 sont “2,86 % moins cher” que le prix négocié par la précédente majorité pour l’achat de 126 appareils, rapporte le Hindustan Times, qui souligne que “Dassault Aviation y a quand même trouvé son compte,car l’avionneur n’a finalement pas eu à payer une garantie bancaire prévue initialement”. L’opposition, depuis des mois, fait au contraire valoir que le prix unitaire du Rafale est passé de 155 millions à 217 millions d’euros.
The Hindu a répliqué au rapport de la Cour des comptes en publiant un autre rapport, émanant, celui-là, de trois experts du ministère de la Défense ayant participé à la négociation. Selon ces derniers, “le contrat final n’a pas été signé à de meilleures conditions” que celui qui était envisagé précédemment, “ce qui contredit les affirmations faites par le gouvernement devant la Cour suprême”, à l’automne. Si le parti de Modi, le BJP, pensait avoir été ensuite “blanchi par la décision de la Cour suprême, fin 2018, de rejeter les appels à une enquête sur l’affaire Rafale, il s’est trompé”, assure Scroll.
Tractations secrètes avec la France
Depuis ce verdict, “qui a lui-même suscité beaucoup de controverses, du fait qu’il faisait référence au rapport de la Cour des comptes” alors que celui-ci était toujours en cours de rédaction, de nouvelles révélations font la une de The Hindu jour après jour. D’abord sur les “négociations parallèles”que les services du Premier ministre auraient menées secrètement avec Paris sans en avertir le ministère indien de la Défense.
Ensuite sur le prix unitaire des Rafale, qui aurait “grimpé de 41,42 %” dans la dernière mouture du contrat. Puis sur les clauses anticorruption, qui auraient été “retirées” dudit contrat avant sa signature. Enfin sur un rendez-vous qu’aurait eu Anil Ambani, un milliardaire proche de Narendra Modi, au ministère français de la Défense, à Paris, en mars 2015, “deux semaines tout juste avant que Modi fasse son annonce surprise” sur l’achat des Rafale, ainsi que l’a révélé l’Indian Express.
De retour en Inde quelques heures plus tard, M. Ambani mettait sur pied une société aéronautique, Reliance Defence, dont le nom allait apparaître in fine parmi les principaux bénéficiaires des “offsets”, ces investissements que Dassault Aviation consentira à l’Inde pour environ 4 milliards d’euros, en contrepartie de l’énorme contrat des Rafale. “Compte tenu de tous ces écrans de fumée et de tous ces jeux de miroirs, il n’est pas surprenant que, même à l’heure actuelle, nous ne sachions toujours rien de cet accord à plusieurs milliards”, dénonce Mint.
Le quotidien économique juge “inexplicable” le refus de communiquer les détails de cette affaire opposé par un gouvernement “arrivé au pouvoir avec la promesse d’éliminer la corruption et d’introduire la transparence” dans le fonctionnement de l’État. Dans son discours du 13 février, Narendra Modi n’a pas dit un mot sur le Rafale.
Courrier International
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