Leur position de départ était semblable. Elle passait par un mouvement politique – après l’élection d’Emmanuel Macron en 2017, c’était la dernière mode venue de Paris. Sebastian Kurz s’en était donc inspiré. Le tout jeune chef du nouvel ÖVP [Parti du peuple autrichien, chrétien-démocrate] a fait ce que le lourd paquebot du SPÖ [Parti social-démocrate] n’était pas en mesure de faire : il a transformé en un tournemain le parti en mouvement. La “Liste Kurz” en Autriche représentait la même chose qu’En marche en France. Du moins en apparence : quand il s’est agi de donner un nom au mouvement en vue de la campagne électorale, on est vite revenu au sigle ÖVP, pour ne pas déstabiliser l’électeur. Mais si le parti a rencontré un tel succès lors des élections législatives [du 15 octobre 2017], c’est bien parce que la formation a été perçue comme un mouvement dans lequel ce n’était plus l’appareil qui était au premier plan mais le candidat tête de liste, à l’instar de Macron, l’étoile filante de la vie politique européenne du moment.
Compétitivité ici, petit peuple là
Depuis, Kurz et Macron ont cependant pris des caps quelque peu différents. Macron a lancé une politique de réforme – que ses détracteurs qualifient de “néolibérale” – destinée à restaurer la compétitivité du pays, mais perçue comme une politique au profit des élites, dont Macron lui-même est l’incarnation. Voilà des semaines qu’il est confronté au mouvement de protestation des “gilets jaunes”, issu des couches moyennes et inférieures, qui se sentent oubliées.
Sebastian Kurz est lui aussi confronté à un mouvement de protestation, mais celui-ci regroupe plus ou moins la gauche classique et la société civile progressiste. Il n’y a pas ici de mouvement de protestation du type “gilets jaunes”. Et selon toute probabilité, il n’y en aura jamais.
Parce que la politique du gouvernement Kurz est faite pour les “gilets jaunes”, c’est-à-dire pour les couches moyennes et inférieures – les gens qui vont travailler, ont des enfants, ont souvent le sentiment de se lever tôt (contrairement aux autres) et qui ont pourtant du mal à s’en sortir.
Ces gens-là ont désormais droit à une politique familiale plus favorable (“bonus familial”), à des taux d’imposition qui relèvent leur salaire net par rapport au brut et, pour les bas salaires, à une baisse des cotisations sociales. On retrouve ce fil rouge jusque dans l’éducation. Ici aussi, on veut récompenser l’effort. Et les enfants de langue maternelle allemande, dont les parents n’ont pas les moyens de payer l’école privée, doivent rencontrer le moins d’obstacles possible pour progresser dans leur scolarité. Les notes ont donc été réintroduites, et des classes d’allemand réservées aux non-germanophones mises en place.
Ni écotaxe ni penchant révolutionnaire
On n’a pas non plus introduit d’écotaxe. On n’a même pas touché à la taxe sur les produits pétroliers. On peut donc considérer que les revendications fourre-tout des “gilets jaunes” français – moins d’impôts, plus de salaire, moins d’UE, moins de migrants, plus d’intégration – sont largement satisfaites en Autriche. Abstraction faite des spécificités françaises tels l’attrait pour le protectionnisme et l’interventionnisme d’État dans l’économie, ainsi qu’une tendance historiquement plus affirmée pour la révolte et la révolution.
Même si on reproche souvent au gouvernement de droite et extrême droite (ÖVP-FPÖ) de Sebastian Kurz de mener une politique au profit des industriels et des entreprises – ce qui est vrai –, celui-ci sert également les intérêts des couches moyennes, et ce dans son propre intérêt : car il sait qu’il aura besoin d’elles s’il veut remporter les prochaines élections. Ce gouvernement a réussi – d’une manière assez similaire à celle des Républicains de Donald Trump – à constituer une alliance regroupant entreprises, ouvriers et petits employés. Avec surtout pour thème fédérateur, la question des migrations, qui rallie ces derniers derrière la bannière de l’ÖVP et du FPÖ [Parti de la Liberté, extrême droite]. Sur ce thème, le gouvernement veille à donner le sentiment qu’il est particulièrement vigilant, qu’il relève ses exigences et baisse le seuil de tolérance.
Cette politique en faveur des couches moyennes porte clairement la signature du FPÖ, mais l’ÖVP de Kurz l’applique consciencieusement. Pour raisons tactiques, si ce n’est par conviction.
En ce sens, cette coalition gouvernementale ÖVP-FPÖ est moins l’expression de la bourgeoisie conservatrice que celle d’un gouvernement petit-bourgeois.
Oliver Pink
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