- La multiplication des heurts
- L’abondance des causes
- Le contexte social critique
- Christianisation : la violence
- Les migrations et le déchireme
- L’échec de la coutume, battue
- Les spasmes du suhartoïsme
- Reformasi et désintégration
- L’autonomie régionale et (…)
- La faiblesse des autorités
- L’activisme musulman
- Le prosélytisme chrétien
- L’impact de la mondialisation
- Que reste-t-il de l’État (…)
- La mission de Megawati : (…)
Ambon, 19 janvier 1999, 15 heures. Un chauffeur de minibus, Jopi Leuhery, originaire d’Ahuru, Moluques centrales, a été agressé par deux migrants bugis dénommés Nursalim et Tahang. L’incident s’est produit au terminus de Batu Merah, lorsque les deux hommes ont essayé de lui prendre son argent en le menaçant d’une faucille. Mais Jopi a réussi à s’enfuir chez lui. Armé d’une machette et avec l’aide de quelques amis, il est reparti à la recherche des deux malfaiteurs.
Dans leur témoignage devant le tribunal qui les jugeait pour une simple atteinte à l’ordre public, Nursalim et Tahang ont déclaré s’être réfugiés dans le quartier de Batu Merah, qui est à majorité musulmane, et avoir crié : « Un chrétien veut nous tuer ! »
« [...] Selon Nursalim, un policier lui aurait dit que ce serait le meilleur moyen d’obtenir de l’aide. [...] C’est alors que le conflit a pris une tournure intercommunautaire. Sous l’empire de la colère, des habitants de Batu Merah se sont lancés à la poursuite de Jopi – mais en vain. La foule furieuse a alors mis le feu à un atelier de soudure et à une maison appartenant à un chrétien et située à la limite de Batu Merah et du quartier de Mardika, à majorité chrétienne. À 17 heures, les émeutiers avaient un incendié un premier lieu de culte, l’église Sinar Kasih à Waihaong.
« Alors que la tension montait, des individus non identifiés parcouraient les rues, répandant la rumeur des attaques. Leur identité et leur rôle dans les émeutes restent mystérieux à l’heure qu’il est. Déchaînés par la nouvelle des violences, les habitants de Mardika et de la communauté chrétienne locale ont engagé des actions de représailles contre les mosquées des environs.
« Au matin du 20 janvier 1999, le bruit a couru que la grande mosquée Al-Fatah était en flammes. À ce moment-là, les gens se sont regroupés par religion dans leurs quartiers respectifs. Tous arboraient un bandeau sur le front pour afficher leur foi : rouge pour les chrétiens, et blanc pour les musulmans [1] »
Trois ans plus tard, en janvier 2002, les Moluques décomptaient quelque 6 000 morts et 500000 réfugiés. Ce petit archipel [2] situé à l’est du vaste ensemble indonésien n’était pas le seul à être frappé par la folie religieuse. La pandémie sectaire s’était étendue à une grande partie du territoire.
La multiplication des heurts interreligieux
Non loin des Moluques, dont elle n’est séparée que par un simple bras de mer, Poso, la capitale de la province du Sulawesi central (Célèbes), était le théâtre de massacres à répétition opposant chrétiens et musulmans locaux. De 1998 à 2001, plus de 2 000 morts étaient enregistrés dans cette contrée reculée et généralement ignorée. À Kalimantan, les Dayaks chrétiens se révoltaient contre les immigrants musulmans, essentiellement madourais, et, renouant avec des rites ancestraux, décapitaient par centaines les colons venus exploiter la forêt équatoriale. Les premiers incidents avaient éclaté à la fin du régime Suharto, en janvier 1997, dans la préfecture de Sambas, province de Kalimantan occidental. Mais c’est surtout en février 2001, au centre de la grande île, que les massacres prennent un tour massif. Cinq cents Madourais sont tués dans la préfecture de Sampit, et la vindicte des Dayaks entraîne le départ de plus de 150000 colons. En Irian Jaya, à l’extrême est de l’Indonésie, les Papous protestants reformulent leur revendication à l’indépendance et s’en prennent aux Javanais et aux Bugis musulmans installés sur leur territoire : le 6 octobre 2000, les émeutes font trente morts parmi les immigrants ; en décembre, les incidents se multiplient à Manokwari, Abepura, Fakfak, etc.
De fait, sous le général Suharto, la tolérance religieuse dont se flattait l’Indonésie était sans doute relative : on comptait en moyenne une douzaine d’attaques par an contre les églises chrétiennes. Mais, depuis sa chute, plus de quatre cents églises ont été rasées, attaquées à la bombe ou pillées. Le nombre des mosquées détruites ou cibles d’attentats n’est pas communiqué par les autorités pour ne pas heurter la majorité musulmane du pays.
Ce sombre tableau des tensions religieuses depuis la fin de l’Ordre nouveau doit cependant être nuancé. Des situations de coexistence pacifique demeurent, notamment à Sumatra nord, entre Bataks protestants et musulmans, malgré le caractère volontiers agressif de ce groupe ethnique. À Java, la petite minorité chrétienne continue de vivre généralement en bonne entente avec ses voisins musulmans, même si dans un passé récent les Sino-Indonésiens, souvent chrétiens, ont fait l’objet de pogroms récurrents. À Flores, île du Grand Est, la majorité catholique continue de se sentir à l’aise dans la république d’Indonésie, et vit en harmonie avec ses minorités musulmanes. Mais, d’une façon générale, les 20 millions de chrétiens indonésiens (dont un tiers de catholiques) s’inquiètent de leurs relations avec 180 millions de musulmans. La patience et la tolérance des uns et des autres sont mises à rude épreuve depuis les débuts de la reformasi en 1998, et l’interrogation est générale quant à la source des conflits.
L’abondance des causes
La multiplication des antagonismes religieux et leur concomitance obéissent à un ensemble de causes qui s’ajoutent les unes aux autres pour nourrir le phénomène, par-delà le motif d’origine.
Dans le cas moluquois tel qu’il est rapporté ci-dessus, la cause initiale est un incident trivial qui enclenche une dialectique fatale. Ce type d’amorce relevant du fait divers se retrouve dans presque tous les conflits interreligieux. Comme à Ambon, à Poso le massacre est provoqué par des « incivilités » entre jeunes gens. De là, une mécanique inéluctable se met en mouvement dont l’accélération échappe à la volonté des acteurs, lesquels ont tendance à expliquer le processus incontrôlable par des « provocations » et des « manipulations ». Car le passage brutal d’une situation de tolérance interreligieuse, censée prévaloir jusque-là, à une conflictualité irrépressible produit une demande et une tentative d’explication de la part de ceux qui en sont à la fois les acteurs et les victimes.
En réalité, et même s’il ne faut pas exclure les provocations délibérées, ces conflits religieux paraissent dans l’ensemble déterminés par des causes générales et communes qui dépassent les aspects particuliers de chaque cas et relativisent la cause première, conjoncturelle, de chaque incident. L’examen des facteurs fait apparaître à la fois leur nécessaire multiplicité et une combinatoire semblable. À cet égard, le cas moluquois fonctionne comme un paradigme : poussé à l’extrême et déclinant l’ensemble des causes générales, il illustre à la perfection la dissolution du tissu social qui se produit quand des groupes humains confrontés à une conjoncture insurmontable opèrent un repli défensif et paranoïaque sur leur identité religieuse de base, brandie comme une sorte de bouclier primordial.
Le contexte social critique
La première des causes générales relève de la crise sociale profonde qui frappe l’Indonésie depuis la débâcle financière et économique de 1997. La crise asiatique a touché l’Indonésie à partir de juillet 1997, entraînant la démission du général Suharto le 21 mai 1998. Outre ses aspects politiques – le début d’une transition vers une éventuelle démocratie –, la période est marquée par une grave récession socio-économique [3] Le recul sans précédent du PIB en 1998 (moins 13%) a entraîné une explosion du chômage et de la pauvreté, sans doute difficile à mesurer précisément, mais dont l’impact est indéniable. Sur une force de travail évaluée à 140 millions de personnes, plus de 28% ( 40 millions) seraient au chômage en 2002. Avant la crise, le pourcentage des chômeurs était officiellement de 4% [4]
Autre indice pertinent, celui des abandons scolaires : depuis 1998, quelque 8 millions de lycéens auraient abandonné leurs études pour des raisons économiques. De très nombreux jeunes gens sont allés gonfler les rangs d’un marché du travail déjà profondément déséquilibré. Exposés à la délinquance, en tout cas prêts à se livrer à des actions extrêmes pour survivre, ces nouveaux déshérités ont trouvé des structures d’accueil offertes par les religions établies – mais aussi les sectes, les mouvements politiques et les ONG de tous acabits.
Par ailleurs, l’absence de filet de protection sociale a entraîné le retour massif dans leurs villages d’origine de ceux qui perdaient leur emploi en ville. La solidarité traditionnelle s’exerçait certes une fois de plus, mais le monde rural et l’Indonésie profonde se trouvaient soumis à une rude épreuve dépassant peut-être leur capacité à absorber les chocs sociaux. La tension urbaine était déplacée vers les villages et réanimait de vieux conflits, dont le souvenir n’avait pas été oublié.
Christianisation : la violence du passé inscrite dans le présent
L’introduction du christianisme dans l’archipel est une histoire de violence, d’imposition par la force d’une foi extérieure [5] et dont les progrès plus récents restent marqués – aux yeux des musulmans – par une association rédhibitoire à l’Occident.
Même lorsqu’elle est ancienne, comme c’est le cas aux Moluques, l’implantation du christianisme a laissé des traces négatives. En effet, l’arrivée des Européens (les Portugais d’abord, dès 1512, les Néerlandais quelques décennies plus tard) a exacerbé des divisions locales.
Cherchant à contrôler le commerce des épices, les colonisateurs ont exploité la rivalité traditionnelle entre les sultans de Ternate et de Tidore au nord des Moluques, et entre ces derniers et Ambon au sud. Dans un premier temps, le sultanat de Ternate avait réussi à maintenir sa suprématie dans le contrôle des épices grâce à son alliance avec les Néerlandais contre ses voisins de Tidore, Bacan et Jailolo. Mais pour s’emparer définitivement du commerce du clou de girofle, les Néerlandais déplacent les plantations du Nord (Ternate) à Ambon : dans ces îles des Moluques centrales, la population avait été convertie au catholicisme par les Portugais avant de devenir protestante, et les Néerlandais tablaient sur sa fidélité. Ils détruisirent les plantations des sultanats du Nord et achetèrent le sultan de Ternate qui devint leur collaborateur stipendié. Dans cette histoire très complexe, toutes les parties en présence ont manipulé sans vergogne les fidélités religieuses des populations pour mettre la main sur le commerce très lucratif des épices [6]
Les Néerlandais ont achevé de déconsidérer et de diviser les Moluquois en recrutant parmi les chrétiens des supplétifs indigènes, mobilisés au service de leurs guerres coloniales.
Même si le clou de girofle n’a plus guère de signification économique, le pouvoir central jakartanais a pris la succession des Néerlandais dans son rapport ambigu aux Moluques et aux deux religions rivales qui dominent le petit archipel à l’heure actuelle, l’islam et le christianisme. L’émiettement territorial et les ressentiments hérités de l’histoire achèvent de fragiliser la paix religieuse, exposée à la moindre étincelle.
Les migrations et le déchirement du tissu ethnique
L’équilibre ethnique, déjà passablement malmené par la colonisation, a été un peu plus troublé sous l’Ordre nouveau du général Suharto. Ce régime développementaliste avait repris et amplifié la politique néerlandaise de transmigration des populations, transférées des terres surpeuplées vers les îles moins habitées. Mais, encore plus que les transmigrations officielles, les migrations spontanées opérées grâce à la révolution des transports ont achevé de modifier la carte ethnique et donc religieuse. La plus grande mobilité à l’intérieur de l’Indonésie permise par le progrès des infrastructures est devenue une cause des conflits entre les nouveaux arrivants et les groupes installés de longue date dans les lieux.
La mise en contact des religions et des peuples divers a produit plus de conflits que d’échanges pacifiques, comme l’attestent de nombreux exemples : dans les années quatre-vingt, les Bugis musulmans, hardis marins et commerçants, se sont répandus dans les mers du Grand Est, en Irian Jaya, et au Timor oriental où leur dynamisme économique et religieux a bousculé les populations locales chrétiennes. Les Madourais musulmans se sont installés en nombre à Kalimantan, où ils sont entrés en conflit avec les Dayaks. Surtout, Bugis et Madourais ont multiplié les implantations aux Moluques, où ils ont bouleversé l’équilibre démographique qui était égal entre chrétiens et musulmans. Ils ont fait progresser la bannière de l’islam au détriment de la croix dans des terres réputées chrétiennes.
Sous l’effet des intrusions – considérées comme autant d’agressions – de porteurs d’une foi vécue comme étrangère, la territorialisation de la religion s’est accentuée, tandis que se renforçait la notion de terres chrétiennes opposée à celle de terres musulmanes. Le corollaire de cette partition est la recherche de la pureté religieuse du territoire, à l’instar de la pureté ethnique. Souvent les deux se confondent, puisque les groupes ethniques déplacés en terre d’émigration appuient leur identité sur la religion, tels les Bugis avec l’islam, tandis que, face à eux et de manière dialectique, les habitants du cru réaffirment leur attachement au christianisme localisé.
L’échec de la coutume, battue en brèche
Dans le maintien de la paix interreligieuse, une institution traditionnelle a longtemps fonctionné aux Moluques. Il s’agit du pela gandong, ou sorte de traité coutumier périodiquement réanimé entre Moluquois de religions différentes afin de préserver tant bien que mal une coexistence pacifique. Pour rester en vigueur, il fallait qu’il implique des Moluquois partagés certes entre le christianisme et l’islam, mais encore rassemblés par l’ethnicité commune. Les migrations évoquées à l’instant ont détraqué ces procédures traditionnelles puisque, en tant qu’allogènes, les nouveaux arrivants n’étaient pas concernés par la teneur conservatoire du pela gandong, qui n’est rien d’autre, au bout du compte, que la célébration d’une même origine.
Ces coutumes palliatives ont été par ailleurs affaiblies par l’hostilité du régime Suharto à tout ce qui relevait de la tradition, et par sa propension à assimiler les conflits religieux à des révoltes coutumières. Dans l’Ordre nouveau développementaliste, la tradition était l’ennemie de la modernité. La coutume était présentée comme obscurantisme et frein au développement.
Le mouvement de la reformasi qui a succédé à l’autoritarisme de Suharto se déclare postmoderne, et donc pluraliste, favorable à la diversité des cultures et des coutumes, librement exprimées. Mais, ce faisant, sont brutalement relâchées desforces incontrôlables et dissolvantes pour avoir été trop longtemps maintenues sous le boisseau. La conflictualité réprimée devient ouverte, car les ressources sont rares et les identités exacerbées. Dans les zones d’interface religieuse ou ethnique, le règne de la revanche et de la vendetta triomphe. La loi du talion impose le prix du sang : un tué dans une religion en appelle un dans l’autre.
La religion se territorialise encore davantage, et l’espace est balisé par des villages chrétiens et des villages musulmans : le nouvel ordre devient imprescriptible. On assiste à l’émergence de républiques villageoises interdisant l’accès aux intrus, dont la pénétration non souhaitée peut entraîner la mort. La terre promise devient sacrée et la sanctification du territoire entraîne sa sanctuarisation. Ces bases villageoises (ou quartiers en milieu urbain) deviennent des lieux de refuge et des points de départ pour l’attaque – qui est toujours conçue comme une revanche.
Les spasmes du suhartoïsme
Cette situation délétère est aggravée par des agents provocateurs, réels ou imaginés. L’effondrement du régime Suharto a été si soudain que l’imaginaire public a du mal encore – quatre ans après les faits – à prendre la mesure de l’événement. La puissance présumée du général et de son système politique est telle, dans l’esprit de l’opinion, que la situation exécrable dans laquelle se trouve plongée l’Indonésie depuis la fin de l’Ordre nouveau ne peut s’expliquer – en dehors des causes externes sur lesquelles on revient plus bas – que par l’action souterraine des nombreux partisans gardés par Suharto à travers le pays.
L’image de tolérance religieuse qui avait été la marque de l’Indonésie pendant les trente-deux années de l’ancien régime ayant cédé la place à une situation caractérisée par la multiplication des conflits confessionnels, il fallait là aussi trouver une explication permettant de comprendre et d’admettre la prolifération des troubles dans l’âge de la transition démocratique. La thèse du sabotage de la tranquillité civile et religieuse perpétré par des éléments à la solde de l’ancien régime fait donc florès.
Par-delà les perceptions, quelques faits ténus viennent étayer cette thèse. Dans les semaines qui ont précédé le début de la crise religieuse aux Moluques, de graves incidents ont éclaté à Jakarta dans le quartier de la rue Ketapang, en novembre 1998. Des Ambonais membres de la pègre jakartanaise qui gardaient avec un zèle excessif des boîtes de nuit chinoises et autres lieux de plaisir ont suscité la colère des habitants musulmans du voisinage, qui ont alors incendié plusieurs églises. Ces quelques centaines d’Ambonais, qui avaient officié comme hommes de main du Golkar, le parti de Suharto, et fait du service d’ordre musclé lors des campagnes électorales de l’ancien régime, ont été renvoyés par les autorités dans leurs foyers, aux Moluques. Dans les jours qui ont suivi leur retour ont éclaté les événements relatés en exergue de ces lignes.
À la présence nocive de ces Ambonais dévoyés s’ajoute celle de déserteurs de l’armée indonésienne identifiés aux Moluques comme auteurs de provocations religieuses, et en tout cas comme participants actifs au trafic d’armes qui alimente les forces en présence, les « rouges » et les « blancs », les chrétiens et les musulmans. Ces « déserteurs » auraient en fait été manipulés par des militaires suhartoïstes pour faire pièce au président Wahid lorsque celui-ci tentait de traduire en justice les Suharto et leurs associés en affaires.
Mais les « provocations » attribuées aux manœuvres du régime ancien relèvent aussi du système de défense des émeutiers lorsque ceux-ci sont mis en jugement : ils affirment avoir été incités au saccage et au pillage par des individus mystérieux toujours décrits comme des militaires en civil.
Si le suhartoïsme joue un rôle indéniable dans la situation actuelle – il la précède, donc il l’explique –, la période des réformes (reformasi) a ses logiques propres qui contribuent à la crise religieuse.
Reformasi et désintégration nationale
La difficile transition est au cœur des conflits ethno-religieux : l’insécurité provoquée par l’effondrement de l’État a incité les populations à se réfugier dans des sentiments primordiaux organisés autour de la religion et de l’ethnicité. Pour leur part, les élites sociales et politiques sont entrées dans une phase de compétition aiguë pour les places et les positions dégagées par la reformasi, grâce à la démocratisation du pouvoir et à la décentralisation administrative. Dans cette lutte très âpre, elles n’ont pas hésité à mobiliser leurs clientèles religieuses et ethniques respectives pour faire avancer leurs intérêts particuliers.
Autre nouveauté résultant de la transition démocratique, les divergences d’opinion sont maintenant exprimées au grand jour. Il manque encore à la société indonésienne l’habitude de tolérer les différences (jusque-là gommées ou niées dans les consensus organisés par l’Ordre nouveau). Les divergences désormais ouvertement exprimées se résolvent souvent par la violence. La liberté est une valeur sociale qui s’apprend difficilement, ou en tout cas lentement. Or la brutalité du changement a été terrible, de la chape de plomb des années Suharto à l’extraordinaire ouverture de la reformasi.
La transparence et la liberté de l’information engendrent et multiplient les effets de démonstration : les conflits islamo-chrétiens des Moluques – on l’a souligné – réactivent des conflits localisés à Célèbes centre. Dans les deux régions, chrétiens et musulmans constituaient initialement des forces presque égales. Portés à la connaissance du public sans intermédiation, les faits choquants déstabilisent rapidement les fragiles équilibres locaux.
Le projet culturel de la reformasi, on l’a souligné, est explicitement aux antipodes de celui de l’Ordre nouveau. Alors que l’ancien régime avait une vision étroite de la nation, fondée sur l’intégration des cultures locales et leur fusion dans un ensemble structuré par Jakarta, la reformasi a donné droit de cité à un multiculturalisme inspiré du modèle américain. L’État unitaire et intégraliste doit céder le pas à une nouvelle mosaïque indonésienne. Le brassage des populations est contesté (le président Wahid a supprimé le ministère de la Transmigration) et chacun prétend se retrouver entre soi, chez soi : les conflits naissent autour de tentatives endémiques de purification ethnique et religieuse. Pour les ethnies à l’identité culturelle mal assurée, le rattachement à une religion monothéiste est un moyen de renforcer leur confiance en soi.
Ce dégel culturel et religieux est accentué par un nouveau cadre administratif décentralisé qui favorise les logiques de l’éclatement, même s’il entend les combattre.
L’autonomie régionale et la dispute pour le territoire et les ressources
La fin du suhartoïsme autoritaire et les lois de décentralisation [7]
[7] ont ouvert la possibilité de modifier la carte administrative et régionale. Les découpages territoriaux peuvent désormais être pratiqués de façon plus libre par les intéressés alors que, sous l’Ordre nouveau, la carte administrative était pratiquement figée, les modifications étant rares ou relevant du fait du prince, visant souvent à diviser pour régner. Depuis 1999, les groupes ethniques et religieux peuvent redessiner les contours des circonscriptions administratives pour mieux refléter leur identité et leur confession.
Ce mouvement de redéfinition du territoire non seulement favorise l’éclosion du multiculturalisme mais lui confère même un tour agressif et dangereux pour l’unité nationale. D’innombrables lois et décrets gouvernementaux ou régionaux ont été pris pour modifier, fusionner, diviser des provinces, des départements et des communes rurales en fonction des desiderata des populations majoritaires sur certains territoires, mais au détriment des minorités qui s’y trouvaient. Certains des nouveaux découpages ont provoqué la mise en minorité de groupes humains jusque-là simplement installés dans une zone dont l’identité religieuse ou culturelle n’était pas clairement affichée. Les regroupements s’opèrent autour des communautés de base, ethniques, coutumières, religieuses ou « imaginées », quel que soit le thème fédérateur.
Ce processus de redistribution territoriale traduit une fuite en avant, un désir d’oublier la crise « multidimensionnelle » qui frappe le pays depuis 1997. En même temps, il était sans doute impossible de ne pas décentraliser un pays aussi vaste et fragmenté que l’Indonésie, d’autant que le contexte de libéralisation stimulait les forces centrifuges. Il fallait donner aux régions ce qu’elles auraient pris autrement, soit par la sécession, soit par l’autodétermination, sur le modèle du Timor oriental.
Les transferts de pouvoir et de ressources consentis par Jakarta au titre de la décentralisation ont des conséquences importantes sur le front religieux. La province d’Aceh, qui bénéficie d’une autonomie renforcée [8] en raison de son indépendantisme irrépressible, a introduit la charia, ou loi islamique, sur son territoire. Arguant de ce précédent, des politiciens musulmans de Sumatra occidental et de Célèbes sud réclament maintenant une législation similaire pour leur province, malgré les réserves de leurs minorités religieuses respectives.
Aux Moluques du Nord (en octobre 1999, l’archipel a été divisé en deux nouvelles provinces), le gouverneur a adopté une loi visant à agrandir le district de Makian par l’intégration de six villages relevant jusque-là du district de Kao. Or ces villages abritent sur leur territoire une mine d’or exploitée par une multinationale australienne. Cet enjeu économique a suscité un âpre conflit entre les gens de Kao et de Makian après que les premiers eurent rejeté l’application de la nouvelle disposition. La dispute a dégénéré en guerre de religion qui a englouti toutes les régions avoisinantes ; un millier de musulmans ont été massacrés par les chrétiens locaux
[9]
La faiblesse des autorités
Ce dernier exemple illustre l’affaiblissement de l’État qui peine à rétablir l’ordre, au niveau régional comme national : l’ordre public et la sécurité du territoire continuent de relever de la compétence du gouvernement central. Or, depuis la chute de Suharto, le pouvoir exécutif a perdu une grande partie de ses moyens, parce que le Parlement élu en 1999 a récupéré l’essentiel de la souveraineté nationale. Après trente-deux ans d’un régime autoritaire, la méfiance est de mise envers tout gouvernement fort et, de fait, les successeurs de Suharto ont été des présidents faibles avec des mandats écourtés : B. J. Habibie, qui manquait de légitimité ; A. Wahid, dont le style erratique a précipité la chute, et Megawati Sukarnoputri, arrivée à la présidence le 23 juillet 2001 à la suite d’une crise politique grave.
Alors qu’ils constituaient sous l’Ordre nouveau la colonne vertébrale de l’archipel, les militaires ne sont plus en mesure de contrôler le territoire. Leurs pouvoirs ont été réduits, leurs moyens sont limités par la crise économique, et ils sont surveillés par les ONG, qui vérifient qu’ils ne commettent plus d’atteintes aux droits de l’homme. Menacés de sanctions pour les exactions commises dans le passé, divisés par les clivages religieux, ils étaient, sous la présidence de Wahid, quasi paralysés. Aux Moluques, malgré l’état d’urgence civile proclamé le 27 juin 2000 qui leur donne des pouvoirs supplémentaires, ils restent largement impuissants – ou passifs. Certains demandent le passage à l’état d’urgence militaire, qui transférerait la responsabilité suprême du gouverneur civil au commandant de la division provinciale.
Une des réformes démocratiques qui devait normaliser les forces armées indonésiennes a consisté à placer la police sous l’autorité du ministre de l’Intérieur et non plus du ministre de la Défense. Une division du travail a été mise en place, qui confie à la police le soin du maintien de l’ordre, les militaires n’étant conviés qu’en soutien de la police. Mais les policiers manquent d’expérience face aux situations quasi insurrectionnelles ou de guerre civile qui prévalent dans certains points du territoire, et la coordination entre eux et les militaires présente un net défaut d’efficacité. Il est même arrivé que les uns et les autres échangent des coups de feu (à Ambon en avril 2002).
La répression des conflits religieux laisse donc à désirer, d’autant que les parties en présence accusent les forces de l’ordre de ne pas être neutres. De fait, les policiers originaires des Moluques ont souvent pris le parti des chrétiens, tandis que les militaires envoyés en renfort de l’extérieur et qui sont généralement musulmans ont tendance à soutenir leurs coreligionnaires.
L’affaiblissement de l’État et ses déficiences dans l’accomplissement de ses missions régaliennes ont eu pour corollaire la prolifération de la violence privée, par la multiplication des milices de tous acabits, qui dépendent des partis politiques, de certaines ONG ou de mouvement religieux. Aux milices d’autodéfense chrétiennes répondent les milices musulmanes.
L’activisme musulman
Les confrontations islamo-chrétiennes, qui se déroulent pour l’essentiel dans les îles extérieures à Java, navrent les musulmans modérés, qui restent majoritaires dans le pays. Mais elles suscitent la fureur des islamistes, qui y voient la main de l’étranger. Le cas des Moluques, aux yeux des musulmans radicaux, est flagrant : leurs frères en religion y sont massacrés par les chrétiens, qui disposent d’appuis extérieurs. Pour répondre à une situation qu’ils jugent intolérable, les plus activistes parmi les islamistes, à savoir les Laskar djihad de Java [10], ont envoyé aux Moluques à partir de juin 2000 plusieurs milliers d’hommes, avec la complicité présumée de certains militaires. La présence agressive de cette milice n’a fait qu’aggraver la situation sur place et contribuer à la relance des affrontements entre musulmans et chrétiens.
Mais les Laskar djihad justifient leur présence aux Moluques en affirmant qu’ils ne font que répliquer aux milices chrétiennes (Laskar Kristus, ou soldats du Christ) et aux tentatives sécessionnistes de la RMS ou République des Moluques du Sud. Ce mouvement, soutenu par les Néerlandais en 1950, avait pour objectif d’affaiblir la jeune république d’Indonésie et de favoriser la naissance d’une république moluquoise fantoche dans le sud du petit archipel. Aujourd’hui encouragé par les Moluquois réfugiés aux Pays-Bas au lendemain de l’indépendance, le mouvement de la RMS s’est refondé le 18 décembre 2000 par la création du Front de la souveraineté moluquoise (FKM), qui recrute parmi les chrétiens des Moluques. Les Laskar djihad accusent le synode des Églises protestantes des Moluques de soutenir ces séparatistes chrétiens [11]
L’activisme des Laskar djihad ne s’applique pas seulement aux Moluques. Au début de 2002, ils ont envoyé une tête de pont en Papouasie occidentale pour combattre le séparatisme papou et le développement du christianisme dans le Grand Est – ce qui n’augure pas très bien de l’avenir.
Le prosélytisme chrétien
L’image des chrétiens, aux yeux des musulmans même modérés, n’est pas dénuée d’ambiguïté. À Java, leur influence est disproportionnée par rapport à leur petit nombre (3% de la population de l’île) : ils contrôlent les plus grands journaux, les meilleurs hôpitaux et les universités les plus réputées du pays. Hors de Java, dans les îles extérieures, le christianisme apparaît comme un moyen de résistance idéologique à l’État javanais. L’appartenance ethnique est nécessaire mais insuffisante pour affirmer son identité face à Jakarta. Les Bataks, les Dayaks, les Papous, les Timorais consolident leur différence par l’adhésion au christianisme.
L’association d’une ethnicité très locale à une religion universelle mais opposée à l’islam confère une nouvelle force à la revendication régionale. L’addition ou la superposition de la couleur locale (ethnique) et des registres internationaux fournis par le christianisme structure les sociétés traditionnelles et les arme pour résister à l’islam : les ONG et les missions chrétiennes offrent aux ethnies défavorisées des réseaux, une idéologie [12] et un accès aux normes internationales.
Tout comme les musulmans, les chrétiens indonésiens dans leur ensemble sont parcourus par le renouveau religieux, sensible dès la fin des années soixante-dix. Sous le régime Suharto, le prosélytisme était interdit et les activités missionnaires sévèrement encadrées, pour maintenir la paix religieuse. Depuis la reformasi, l’évangélisation a repris, de façon assez agressive. Ce sont les Églises évangéliques qui recrutent le plus fortement, car leur radicalisme semble apporter une réponse aux extrémistes musulmans pour ceux qui s’en méfient. Sont particulièrement visibles des groupes comme l’Église de Béthanie ou la congrégation du Carmel [13], au point que les islamistes exigent que soit mis un terme à ces activités qu’ils estiment financées par des « groupes étrangers ». Pour leur part, les activistes chrétiens prétendent que le nombre réel des chrétiens en Indonésie serait le double ( 40 millions) des chiffres estimés, car depuis 1985 le gouvernement ne diffuse plus de statistiques religieuses pour éviter les disputes entre les confessions.
En juin 2002, les Témoins de Jéhovah ont obtenu que l’interdiction qui les frappait soit levée, ce qui promet de nouvelles difficultés. D’une façon générale, les fondamentalistes chrétiens posent de graves problèmes aux Églises établies : la Conférence épiscopale (catholique) et le Conseil indonésien des Églises (protestantes, PGI) se plaignent des provocations orchestrées par les sectes, qui donnent une image défavorable des chrétiens.
L’impact de la mondialisation
Si les perceptions mutuelles entre les différentes confessions sont devenues assez négatives, elles sont exagérées par la réverbération mondiale des violences entre musulmans et chrétiens. La globalisation médiatique exacerbe les conflits par l’écho qu’elle en donne et qui revient aux protagonistes sous une forme dramatisée. Les conflits indonésiens sont aggravés par l’alignement en deux camps religieux dont les enjeux dépassent largement les rivalités locales.
La presse et les ONG, comme avant-garde de la mondialisation, jouent un rôle ambigu dans le traitement des conflits locaux. Les ONG étrangères font souvent preuve d’une grave méconnaissance du terrain, de ses cultures et de ses traditions. Elles semblent aussi, parfois, poursuivre des objectifs liés à leur logique propre, à la recherche de la publicité, à la concurrence avec les autres associations et au souci de la performance, indépendamment de l’intérêt des populations. La presse a elle-même des difficultés à trier et vérifier les informations qu’elle collecte avant de les répercuter vers l’opinion mondiale. Les journalistes veulent être les premiers à dénoncer les massacres, à alerter la communauté internationale et à sauver des populations, au risque de commettre des bévues, sans doute inévitables, mais aux conséquences graves. Malgré les défiances affichées, ce que dit la presse étrangère est parole d’évangile sur le terrain. C’est ainsi que l’envoi parfaitement légitime d’un navire par le gouverneur des Moluques pour « extraire » des musulmans d’une zone chrétienne est dénoncé en janvier 2001 par des ONG et des journalistes comme une « tentative d’épuration ethnique ou religieuse [14]. Or utiliser de tels qualificatifs peut amorcer des logiques de déportation, sinon d’extermination.
Les interprétations hâtives fragilisent un peu plus l’opinion indonésienne, déjà obsédée par les théories de la conspiration étrangère dirigée contre l’Indonésie. Selon une thèse largement répandue parmi les musulmans, l’Occident et particulièrement l’Australie voisine cherchent à démanteler l’Indonésie, notamment son Grand Est, généralement chrétien et riche en ressources minières : l’indépendance du Timor oriental a été la première étape de ce processus supposé. La résurrection du mouvement chrétien dans la république des Moluques du Sud est également vu dans cette perspective. À l’inverse, les chrétiens soupçonnent que des armes sont acheminées par les Moros philippins vers leurs frères musulmans des Moluques.
Que reste-t-il de l’État pancasila ?
La diffusion du soupçon religieux et le déclin de la tolérance confessionnelle soulèvent à nouveau la question du rôle de l’État indonésien, dont la mission consistait notamment à organiser la coexistence entre les différents cultes. La philosophie officielle des pancasila, qui fait de l’État indonésien un État ni séculier ni religieux, mais « théiste », reste en vigueur. Le premier de ces Cinq Principes donne à chaque religion reconnue par l’État la possibilité de s’exprimer librement. Sans doute Suharto avait-il cherché à monopoliser cette idéologie d’État et à légitimer grâce à elle son autoritarisme. Un tel détournement aurait pu discréditer les pancasila sous la reformasi, où tout ce qui vient de Suharto est frappé de discrédit.
Mais à un moment où le pays semble menacé par la désintégration, les pancasila ont été maintenus comme ciment national, malgré les nombreux amendements apportés à la Constitution du pays. En dépit des efforts menés par certains musulmans pour obtenir la mise en place d’un État islamique – on a relevé les tentatives d’imposer la charia dans certaines provinces au titre de l’autonomie régionale –, le pouvoir central maintient la ligne d’un État qui réserve un statut égal aux cinq religions officielles : islam, catholicisme, protestantisme, bouddhisme et hindouisme. En 2000, le confucianisme a même été promu par le président Wahid au statut de sixième religion reconnue par l’État. Cette mesure visait à réconcilier les Sino-Indonésiens avec leur patrie d’adoption en officialisant une « religion » qui est réputée définir l’identité des Chinois, même si en Indonésie ceux-ci sont devenus, pour un tiers, chrétiens. Un nouveau pas a été accompli en direction de la communauté chinoise, traumatisée par le pogrom de mai 1998, mais dont le gouvernement attend qu’elle se remette à investir dans l’économie indonésienne, avec la décision prise par la présidente Megawati en 2002 de faire du nouvel an chinois une journée nationale et fériée.
La mission de Megawati : restaurer l’État et la paix religieuse
L’arrivée au pouvoir de Megawati Sukarnoputri a sans doute marqué un changement d’orientation dans le processus de la reformasi. Désormais, il y aura moins de réformes, et la priorité ira à la restauration de l’unité nationale et à la reconstruction de l’État. Surtout, la fille de Sukarno entend ne pas ménager ses efforts pour rétablir l’autorité de la puissance publique. À cet effet, elle tente de revenir partiellement sur la décentralisation qui, estime-t-elle, est allée trop loin, puisque les conflits locaux se sont multipliés sans que le pouvoir central puisse intervenir efficacement. Megawati restitue une certaine marge de manœuvre aux militaires, dont elle soutient l’action lorsqu’il s’agit de réprimer les sécessions (comme en Aceh). Mais elle ne se contente pas de la manière forte et soutient aussi les efforts de règlement des conflits religieux par la négociation.
Dans ce contexte, elle s’appuie sur une coalition politique formée de partis centrés sur Java et sur la culture javanaise (le PDIP, son propre parti, et le Golkar, l’ancien parti de Suharto) contre les partis musulmans qui s’étaient opposés à elle en 1999 et avaient préféré porter A. Wahid au pouvoir. Le PDIP et le Golkar étant des partis séculiers, peu marqués religieusement, il peut être plus aisé pour Megawati de travailler à rétablir la paix religieuse.
Malgré le jeu quelque peu trouble [15] joué par son adjoint, le vice-président Hamzah Haz, qui est aussi le chef du parti musulman PPP, Megawati a lancé le processus de réconciliation de Malino, du nom de cette station d’altitude située près de Makassar, à Célèbes sud. Des succès ont été obtenus dans les deux conflits religieux les plus graves d’Indonésie, à savoir celui de Poso, à Célèbes centre, et celui des Moluques. La conférence de Malino I a permis d’aboutir le 19 décembre 2001 à un accord entre les rouges et les blancs représentés par des dirigeants religieux de Poso. De la même façon, le processus de Malino II a été conclu le 12 février 2002 sur la promesse d’une réconciliation entre chrétiens et musulmans moluquois. Dans les deux cas, les modalités de la paix religieuse sont semblables : accord explicite et public des leaders religieux, pression plus vigoureuse des militaires, confiscation des armes, rapatriement des milices extérieures, rejet de l’internationalisation et organisation de pactisations soigneusement mises en scène, sortes de rallyes de la paix destinés à convaincre l’opinion que les conflits sont terminés.
Après un bref répit, les deux foyers de conflits ont pourtant été le théâtre, en avril 2002, de nouveaux attentats qui ont paru compromettre le processus de pacification. Aux Moluques, les autorités ont réagi avec fermeté en arrêtant Alex Manuputty, le président chrétien du Front de la souveraineté moluquoise, et Ja’far Umar Thalib, le chef des Laskar djihad. Mais il en faudra sans doute plus pour enrayer la dialectique de la guerre sainte.
Le chemin semble encore long du retour à la coexistence pacifique. Malgré la lassitude des populations et l’aspiration générale à une stabilisation, la tolérance mutuelle d’antan reste un objectif lointain – à moins qu’elle ne soit qu’une illusion du passé.
François Raillon
https://doi.org/10.3917/her.106.0133