“Exclusif : des armes chimiques lancées sur la Papouasie”. C’est par ce titre choc que l’hebdomadaire australien The Saturday Paper accuse l’armée indonésienne d’avoir fait usage de bombes au phosphore dans la région de Nduga, en représailles du massacre de 19 ouvriers travaillant sur le chantier de la Trans-Papua au début de décembre 2018.
Cette attaque avait été revendiquée par l’Armée de libération nationale de la Papouasie occidentale (TPNPB), l’aile militaire de l’Organisation de la Papouasie libre (OPM). L’organisation conteste l’annexion de la province par l’Indonésie en 1969 et milite pour l’indépendance.
“Des photographies montrent des bombes à bout jaunes, ramassées par les villageois. Certaines armes semblent être du phosphore blanc, interdit par le droit international […] Trois des morts sont du village de Mbua, dans la région de Nduga. Les quatre autres ont été tués dans un village dénommé Yigili”, rapporte le journal australien qui cite le récit d’un habitant de Mbua : “Cela s’est passé le 15 décembre 2018. À 11 h 25, heure locale. Ils sont morts parce que les hélicos de l’armée indo[nésienne] les ont bombardés.”
Selon le journal australien, l’armée indonésienne aurait lancé des attaques aériennes sur la région entre le 5 et le 15 décembre.
Province interdite aux observateurs étrangers
“Aucun journaliste international n’est autorisé à se rendre en Papouasie occidentale, et encore moins dans cette région isolée. Ni aucune ONG étrangère. Ni aucun observateur extérieur. Mais certains habitants de Nduga ont des téléphones avec la fonction caméra et ils ont envoyé au Saturday Paperdes images de corps écrasés et horriblement blessés”, affirme l’hebdomadaire australien.
Le quotidien indonésien Koran Tempo donne la parole au colonel d’infanterie Muhammad Aidi, qui qualifie de propagande les accusations du Saturday Paper :
L’armée indonésienne n’a jamais possédé ni utilisé d’armes chimiques de destruction massive, et n’en possédera et n’en utilisera jamais, y compris les bombes au phosphore”.
Le militaire précise que ces bombes sont aussi des armes incendiaires. “Si l’armée indonésienne avait utilisé des bombes au phosphore, la région de Nduga aurait entièrement brûlé, et tous les hommes et les animaux seraient morts”, a-t-il ajouté.
Le chef du bureau des relations publiques, le brigadier Dedi Prasetyo, a reconnu qu’un des corps, identifié par les initiales NW, a été retrouvé sur le site de l’assaut, carbonisé.
Selon lui, les groupes (indépendantistes) armés brûlent toujours leurs membres abattus pour effacer les traces. “C’est la norme pour les procédures opérationnelles de ces groupes armés”, a-t-il expliqué à Koran Tempo.
Contacté par Koran Tempo, John Al Norotow, l’ex-président du Conseil Papouasie – une organisation qui se bat pour l’indépendance de la Papouasie par les voies de la diplomatie – dit ne pas pouvoir certifier que l’armée indonésienne a employé des bombes au phosphore.
En revanche, il nie le fait que l’OPM ait pour tradition de brûler les corps de ses membres tués dans des assauts pour effacer les traces.
Enquête indépendante
Quant au maire adjoint de Nduga, Wentius Nimiangge, il a déclaré à BBC News Indonesia que quatre des sept victimes étaient des civils qui s’étaient enfuis dans la forêt, à la suite des attaques aériennes de l’armée indonésienne. Mais il n’a noté que des traces de balles sur les corps.
Le quotidien Republika rapporte que, dès le 20 décembre, le gouverneur de Papouasie, Lukas Enembe, a formellement demandé au président Joko Widodo de retirer toutes les troupes de l’armée et de la police indonésienne du district de Nduga à l’approche des fêtes de fin d’année. “Ceci pour que les populations puissent fêter Noël en paix.”
Selon Lukas, cette requête a reçu le soutien de tous les membres du Parlement régional, des responsables des Églises, des chefs du droit coutumier, des militants des droits de l’homme, du gouvernement du district et des habitants de Nduga.
Il a précisé à Republika “qu’il allait constituer une équipe indépendante pour faire toute la lumière sur les derniers événements afin qu’il n’y ait plus de violence perpétrée contre la population de Nduga”.
Courrier International
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