Pour récupérer Taïwan, la Chine est prête à tout, y compris à utiliser la force, a menacé le président chinois, Xi Jinping, mercredi 2 janvier. Lors d’un discours au Palais du peuple, à Pékin, le chef de l’Etat a proposé une solution à « un pays, deux systèmes » pour Taïwan, sur le modèle de Hongkong. Pas de quoi rassurer les Taïwanais, attachés au statu quo dans les relations avec leur voisin, puissant et autoritaire. Peu après le discours du président chinois, son homologue de Taïwan, Tsai Ing-wen, a répondu fermement : hors de question pour Taïwan d’accepter une unification aux conditions chinoises.
Le discours de Xi Jinping célébrait l’anniversaire du dégel, en 1979, des relations entre la Chine communiste et la « République de Chine », nom officiel de Taïwan depuis la fuite des nationalistes chinois sur l’île du sud de la Chine, après leur défaite face aux communistes, en 1949. Un événement que le président chinois décrit comme un accident de l’Histoire, destiné à être réparé : « La question taïwanaise a pour origine la faiblesse de la nation », a-t-il avancé. La réunification « est une nécessité pour le retour en force de la nation chinoise dans la nouvelle ère », a-t-il ajouté.
S’il n’a pas défini de calendrier, le président et secrétaire général du Parti communiste a affirmé que les divisions politiques entre la Chine et Taïwan « ne peuvent pas être transmises de génération en génération », insistant sur les « liens du sang » qui unissent les Chinois et les « compatriotes de Taïwan ». Le numéro un chinois a pourtant réitéré la possibilité de recourir à la force pour reprendre l’île. « Nous ne promettons pas de renoncer au recours à la force et nous nous réservons le droit de prendre toutes les mesures nécessaires », a-t-il déclaré, provoquant les applaudissements des délégués du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire.
« Valeurs démocratiques »
La veille, Tsai Ing-wen avait demandé à la Chine de respecter Taïwan : le gouvernement chinois « doit répondre à nos différends de manière pacifique et nous traiter d’égal à égal », avait-elle déclaré lors de ses vœux. Mais après le discours de Xi, elle a de nouveau pris la parole lors d’une conférence de presse pour insister : « Le peuple taïwanais chérit les valeurs démocratiques, c’est son mode de vie ». « Si le gouvernement chinois ne traite pas son peuple avec bienveillance, ne peut garantir les droits de l’homme et s’il ne laisse pas son peuple voter… alors les Taïwanais verront avec suspicion les intentions de la Chine », a ajouté le ministère taïwanais des affaires étrangères dans l’après-midi.
Le président chinois a proposé aux Taïwanais la solution « un pays, deux systèmes », inspirée de la formule définie par Deng Xiaoping lors de la rétrocession de Hongkong à la Chine, en 1997. Mais cet exemple fait plutôt figure d’épouvantail pour Taïwan : « “Un pays, deux systèmes” paraît assez illusoire, vu la situation à Hongkong, où les libertés individuelles sont sous pression, estime Jean-Pierre Cabestan, professeur de sciences politiques à l’université baptiste de Hongkong. Le discours de Xi Jinping est à mon avis très décalé par rapport à la réalité taïwanaise : il ne prend pas en compte le fait que la République de Chine reste présente, avec son drapeau, sa monnaie, son armée… c’est un Etat, la situation ne peut pas être comparée à celle de Hongkong ou de Macao. »
Taïwan n’a jamais déclaré son indépendance, d’où son statut ambigu : le territoire a tous les attributs d’un Etat, mais n’est reconnu que par une poignée de petits pays, que Pékin s’attache à ramener un par un dans son giron.
La Chine n’a cessé de renforcer sa pression sur Taïwan, depuis l’arrivée au pouvoir en 2016 de Tsai Ing-wen, la présidente issue du Parti progressiste démocratique, plus frileux à l’égard de Pékin que le Kouomintang, au pouvoir avant elle. Tsai Ing-wen s’est attiré les foudres de Pékin pour avoir refusé de reconnaître le « consensus de 1992 » : un accord sur le fait qu’il n’existe qu’une seule Chine, mais qui laisse ouverte la question de savoir de quelle entité politique il s’agit. Depuis, Pékin a multiplié les mesures de rétorsion, à la fois diplomatiques, militaires et économiques, alors que la Chine absorbe plus de 30 % des exportations taïwanaises.
La « main tendue » par Xi Jinping ne devrait rien arranger, tant les conditions de son appel au dialogue sont restrictives : « La proposition de dialogue démocratique n’est ouverte qu’aux forces politiques qui acceptent le principe de la Chine unique, et le consensus de 1992. Cela ferme le dialogue à la moitié de l’échiquier politique, donc cela n’a aucun sens, pointe Jean-Pierre Cabestan. Il y a un grand décalage entre le discours, les garanties offertes aux Taïwanais, et la réalité. Et là où le discours est très faible, c’est sur le processus de rapprochement. »
A Taïwan, les sondages d’opinion montrent qu’une majorité de Taïwanais continuent de préférer le statu quo, tandis que les partisans de l’unification, comme de l’indépendance, restent très minoritaires.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)