Le pays a fait des progrès considérables sur le plan du développement humain. D’après plusieurs rapports des Nations unies, le taux d’alphabétisation des femmes bangladaises est aujourd’hui de 94 %, supérieur à celui des hommes (91 %). L’espérance de vie d’un enfant qui naît aujourd’hui atteint 73 ans, contre 66 ans pour un enfant né en Inde. Le taux de scolarisation des filles dans le primaire et le secondaire a grimpé au point de dépasser celui des garçons, et la croissance des revenus par personne s’élève à présent à 6,2 %, contre 5,4 % dans les pays en développement.
Néanmoins, tous les spécialistes ne sont pas convaincus que ce bilan suffise à Sheikh Hasina pour remporter la victoire aux prochaines élections législatives. Les habitants du Bangladesh, qui partage une frontière avec l’Inde et la Birmanie, se rendront aux urnes le 30 décembre. Sous la présidence de Sheikh Hasina, le pays a su tempérer à la fois l’influence croissante de la Chine et les inquiétudes de l’Inde face aux ambitions de son grand rival dans la région.
Aides massives de la Chine
Dans le cadre de son grand projet des “nouvelles routes de la soie”, la Chine prévoit de dépenser 30 milliards de dollars [26,3 milliards d’euros] dans les infrastructures au Bangladesh, notamment 2,86 milliards de dollars [2,5 milliards d’euros] pour la route reliant Sitakundu à Cox Bazar, 753 millions de dollars [660 millions d’euros] pour la liaison ferroviaire entre Joydevpur et Ishwardi, ainsi que 1,4 milliard de dollars [1,2 milliard d’euros] destinés à la voie express entre l’aéroport de Dacca et Ashulia. Résultat, en Asie du Sud, le Bangladesh est le deuxième principal bénéficiaire des aides chinoises pour ces “nouvelles routes de la soie”, après le Pakistan.
L’Inde, dont l’intervention militaire en 1971 a mis fin à une guerre civile sanglante et a contribué à la création du Bangladesh, a dépensé 7 milliards de dollars [6,1 milliards d’euros] pour des projets d’infrastructures dans le pays de Sheikh Hasina depuis son arrivée au pouvoir – essentiellement pour aider au désenclavement de son propre Nord-Est.
Si Sheikh Hasina a accepté les investissements chinois pour accélérer le développement de son pays, où le revenu annuel par habitant se monte à 3 500 dollars [3 070 euros], elle s’est toutefois montrée nettement plus dure en négociation que les chefs d’État des pays voisins. Son gouvernement a bataillé ferme pour revoir les taux d’intérêt à la baisse et refuser une main-d’œuvre chinoise. Il a même annulé un projet de port en eaux profondes sur l’île de Sonadia – pour ne pas déplaire à New Delhi, affirment certains. L’influence et les investissements croissants de la Chine ont contribué à la chute, cette année, des gouvernements proches de Pékin au Pakistan et dans les Maldives.
Construction de 560 mosquées
Mais Sheikh Hasina a réussi à obtenir des capitaux à la fois de l’Inde et de la Chine sans pour autant donner l’impression de renoncer aux intérêts à long terme de son pays. Et pour rassurer sa population à majorité musulmane, elle a également accepté des fonds saoudiens pour la construction de 560 mosquées.
Sa principale difficulté semble être la guerre des factions qui déchire son parti, la Ligue Awami, alors que plus de 4 000 prétendants se disputent 300 sièges parlementaires [le Parlement en comporte en tout 350, 300 pourvus directement à l’issue du scrutin, 50 réservés aux femmes et répartis entre les partis proportionnellement à leurs scores].
En face et pour la première fois depuis plus de dix ans, l’opposition est relativement unie. Après avoir boycotté les élections de janvier 2014, le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) se présente au sein d’une alliance avec plusieurs petits partis d’opposition.
Polarisation de l’électorat
Le parti extrémiste islamiste, Jamaat-e-Islami – allié de longue date du BNP et interdit de scrutin par la commission électorale – souhaite présenter des candidats sous les couleurs du BNP, ainsi que le font d’autres petits partis. [La commission électorale a autorisé le 23 décembre la candidature de 25 d’entre eux.] “Cette décision est très importante, elle va renforcer l’union de l’opposition et le clivage de l’électorat : c’est la Ligue Awami contre tous les autres”, explique le chroniqueur Sukharanjan Dasgupta.
Mouded Ahmed, membre du BNP et ancien Premier ministre, rappelle que plusieurs membres du gouvernement actuel sont accusés de corruption et d’utilisation abusive de l’appareil administratif. “Les gens réclament désespérément du changement. Ils veulent restaurer la démocratie et le droit à des élections libres”, déclare-t-il.
L’action de Sheikh Hasina a pourtant été saluée par ses pairs et ses alliés – la répression contre les rebelles et terroristes au nord-est de l’Inde lui a valu l’admiration de New Delhi. Elle a également été félicitée par les pays occidentaux et au-delà, pour sa décision d’accueillir près de 1 million de réfugiés rohingyas chassés de Birmanie.
Le vote des jeunes, clé du scrutin
Sheikh Hasina a d’autres arguments en sa faveur. Fille du fondateur du Bangladesh, Sheikh Mujibur Rahman, assassiné lors d’un coup d’État militaire en 1975, elle a elle-même survécu à un attentat à la grenade qui a coûté la vie à 24 de ses camarades de parti en 2004. En face, l’opposition ne dispose ni d’un candidat naturel pour le poste de Premier ministre ni d’un projet capable de rivaliser avec celui de la Première ministre.
Au bout du compte, ce sont les jeunes qui feront la différence dans ce pays où, sur 103 millions d’électeurs, 23,5 millions ont entre 18 et 28 ans.
Bénéficiant de sa politique en faveur du développement, ce groupe a voté pour la Ligue Awami en 2008 et s’est largement mobilisé lors du scrutin de 2014 – boycotté par l’opposition. Les spécialistes notent toutefois que le vote des jeunes électeurs est plus variable que celui des anciennes générations, plutôt fidèles dans leurs allégeances politiques. Ils votent également en plus grand nombre que leurs aînés.
“Au Bangladesh, on choisit toujours entre la peste et le choléra”, estime Salma Ashrafi Tonoya, étudiante de 19 ans qui votera pour la première fois le 30 décembre. Reste à savoir si ses camarades sont du même avis.
Subir Bhaumik
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