Il est très difficile d’imaginer la suite de l’histoire. Maintenant que la procédure PSE est terminée, qu’est-il possible d’espérer ? Tout semble en place pour que Ford exécute son plan de fermeture ente janvier 2019, date des premiers départs « volontaires » en préretraite, et octobre, date prévue pour les derniers licenciements. Entretemps la production s’arrêterait en août et, au bout du compte, 872 emplois seraient supprimés.
Tellement facile de licencier
Mais il peut se passer encore des choses. D’abord, pour que Ford puisse « exécuter » son PSE et commencer à faire partir les salariés, il faut d’abord que la Direccte donne son homologation. Elle a 21 jours pour le faire, et il devrait y avoir des arguments pour refuser. Car Ford n’a pas respecté toute la législation qui est pourtant peu contraignante.
Un PSE, malgré ses apparences, c’est quand même un « plan de sauvegarde de l’emploi », ce qui signifie que logiquement il y a la préoccupation de « sauver » au moins quelques emplois. Or Ford depuis le début se moque délibérément de préserver l’activité comme les emplois. Ford a refusé toute recherche réelle de repreneur, même si elle avait sollicité un cabinet dédié à cette tâche, qui a lamentablement (et bizarrement ?) échoué.
Et quand Ford s’est retrouvée, sans le vouloir, avec un projet de reprise dans les pattes, la multinationale a refusé de l’étudier sérieusement. Aucune coopération, ni avec le candidat à la reprise, ni avec l’État. Seulement une longue partie de bras de fer, de tractations, de réunions manquées, de documents non fournis…
Le résultat est sans surprise : la multinationale avait décidé de fermer et se moque de tout le monde, des salariéEs évidemment mais aussi de l’État et même du ministre Le Maire et du président Macron. Oui Ford fait comme bon lui semble. Maisil faut dire que c’est tellement facile de licencier et de fermer une entreprise :il n’y a pas de raison que Ford s’embête avec des formalités !
Impuissance organisée
En réalité, Ford n’est pas pire que les autres multinationales qui font d’énormes profits et qui se sont gavées de subventions publiques pendant des années. Cela se voit davantage, peut-être parce que notre bataille contre la fermeture de l’usine pousse tout le monde ans ses derniers retranchements. Nous dénonçons toujours l’inadmissible,et ainsi nous poussons les pouvoirs publics à ne pas regarder sans rien faire, comme malheureusement cela a été trop longtemps le cas. L’État est bien obligé de chercher une solution, mais avec des moyens très limités !
Cette « impuissance » de l’État est réelle, mais ce sont tous les gouvernements qui ont construit cette impuissance car,peu à peu,au cours des dernières décennies, les « pleins pouvoirs » ont été donnés aux capitalistes comme Ford.
Alors les cabinets des ministères concernés s’activent, cherchent dans la législation les outils qui permettraient de contraindre un minimum Ford, et c’est toute une gymnastique qui se déploie pour trouver une faille. On sait pourtant qu’il y aurait des solutions plus rapides et plus directes : pourquoi ne serait-il pas possible de prendre des mesures d’autorité comme prendre le contrôle de l’usine ?On appelle ça comme on veut : une réquisition, une expropriation… Et si le nom fait peur, si c’est trop radical, pourquoi ne pas « racheter » l’usine Ford pour 1 euro symbolique ? Pourquoi est-il possible de financer les multinationales avec des aides publiques diverses (CICE, chômage partiel, aides à l’investissements…) et pourquoi tout deviendrait impossible lorsqu’il s’agit de prendre le contrôle d’un outil productif ? Ne peut-on pas considérer que l’usine Ford est déjà en partie publique,après 45 ans passés à faire des cadeaux à la multinationale ?
Continuer la lutte
Alors certes, il y a peu d’espoir de changer la donne. Surtout en l’absence d’une mobilisation d’une majorité de collègues, qui sont désespérés et résignés. Mais notre bataille n’est pas vaine. Il y a trop de fermetures d’entreprises, trop de licenciements, trop de chômage aujourd’hui pour rester sans rien faire. Les pouvoirs publics le savent bien, l’État le sait bien.
Dans les semaines qui viennent, nous allons continuer la lutte pour sauver l’usine et le plus d’emplois possible. Ce n’est pas irréaliste. La situation est particulière, car nous avons des appuis « de luxe » avec les déclarations du ministre Le Maire, celles des collectivités locales, avec la collaboration des services de l’État pour contrecarrer le projet de Ford. On ne sait pas ce que cela va donner, mais on s’accroche avec nos forces et nos moyens. Nos emplois, les 2000 emplois induits, notre avenir, tout cela en vaut la peine.
Philippe Poutou
• Créé le Jeudi 20 décembre 2018, mise à jour Jeudi 20 décembre 2018, 20:02 :
https://npa2009.org/actualite/entreprises/le-bras-de-fer-continue-ford-blanquefort
Ford Blanquefort : même pas mort !
Un recueil de textes et de dessins qui a pour objectif de faire entendre une lutte, celle des salariéEs de Ford à Blanquefort, qui refusent que l’usine ferme en silence, et qu’elle ferme tout simplement [1]. Il est terrible de voir une multinationale décider très facilement de liquider un site, de virer des centaines de salariéEs ; de voir les pouvoirs publics, les collectivités territoriales, l’État, un gouvernement… laisser se produire une telle catastrophe sociale. Une fermeture d’usine est devenue presque un acte banal. À tel point que s’y opposer est devenu mission impossible.
Faire du bruit, sortir de l’isolement
L’idée de faire un livre date de la journée de concert-débat du 21 avril dernier à Blanquefort. Des intellectuelEs, des artistes, chanteurs ou humoristes, sont venus soutenir les salariéEs de Ford. Cette initiative a permis de mettre un peu de lumière sur la situation de l’usine, et la solidarité qui s’est exprimée a fait du bien à tout le monde. Cela faisait suite au don d’une série de dessins de presse, de la part de nombreux dessinateurs, pour illustrer le journal de lutte de la CGT-Ford, le Bonne Nouvelle, entre mars et juin de cette année.
Nous avons voulu montrer cette générosité, cette solidarité, cette connexion entre les milieux ouvrier et intellectuel-artistique : nous pouvons nous retrouver sur une bataille, au moins le temps d’une soirée, le temps d’un tract ou d’un livre.
Ce livre veut prolonger cette expérience, montrer que le « Tous ensemble », ce ne sont pas seulement les liens entre les salariéEs de diverses entreprises ou secteurs. Dans la population, nous sommes très nombreux à être concernés par le sort d’une usine, le sort de ses salariéEs, par l’avenir des emplois, comme nous sommes concernés par le sort d’une école ou d’une maternité. Nous souffrons de la division, de l’éparpillement, d’une conscience collective abimée. Il y a besoin de se reconnecter entre nous, de recréer du lien, de reconstruire notre camp social.
C’est pourquoi nous avons voulu faire un livre avec quelques noms connus, des artistes et intellectuels dont nous apprécions le travail et qui, nous l’espérons, vont pouvoir faire écho à notre colère et faire connaître largement notre bataille.
Le résultat, c’est ce livre qui regroupe 12 textes de Chalandon, Castino, Le Corre, Binet, Manotti, Morel, Juliette, Didier Super, Meurice, Halimi, les Pinçon-Charlot, Blanchet et 30 dessins signés Emma, Cami, Faujour, Urbs, Vizant, Bar, Brouck, Large, Man, Colloghan, CharlieDelta, Lasserp, Besot, RayClide, Giemsi, Java, Plantu. Nous les citons touTEs car nous tenons encore à les remercier touTEs.
Les textes et les dessins sont chouettes, et nous espérons que ce livre sera utile. En tout cas, ça aura été un plaisir pour celles et ceux qui ont apporté leur soutien, et pour nous de coordonner le tout.
Béa [Béatrice Walylo] et Philippe [Poutou]
• Créé le Mercredi 26 septembre 2018, mise à jour Mercredi 26 septembre 2018, 12:02 :
https://npa2009.org/idees/culture/ford-blanquefort-meme-pas-mort