Interrogé par le quotidien berlinois Der Tagesspiegel, le sociologue Dieter Rucht, spécialiste des mouvements sociaux au Centre de recherche sociale (WZB) à Berlin, estime “plutôt improbable”qu’une contestation de “gilets jaunes” se propage en Allemagne. “En France, c’est différent, c’est comme une cocotte-minute : la pression monte et monte, le gouvernement ne réagit pas ou fait front, et quand la pression est trop forte, ça explose. Après, selon la gravité des débordements, le gouvernement cède plus ou moins. On observe ce modèle de confrontation depuis des décennies en France.”
En outre, explique Rucht, il y a, en Allemagne, des canaux institutionnels qui fonctionnent et une gauche moins déstabilisée. “En France, la gauche n’a plus de forte représentation : les syndicats sont affaiblis, le Parti socialiste et le Parti communiste sont à terre. Auparavant, ce sont ces forces qui prenaient en charge le mécontentement et le représentaient. Aujourd’hui, il y a un vide. Enfin, troisième élément, ajoute-t-il, en France, tout ou presque se concentre sur la personne et la politique de Macron.”
Les Allemands n’ont pas de cible symbolique
Selon le chercheur allemand, les Français voient un dysfonctionnement dans le fait que le président Macron mène d’un côté “une politique de coupes sociales” et qu’il veuille, d’un autre côté, “corriger et changer le monde”. D’où leur irritation, qui peut se résumer ainsi :
Il [le président Macron] s’occupe de l’Union européenne et des problèmes du monde, mais quand il s’agit de nous, les Français, il ne fait rien.”
Interpellé par le quotidien sur le fait que les électeurs allemands ont récemment exprimé leur mécontentement dans les urnes, en Bavière puis en Hesse, et sanctionné la Grande Coalition au pouvoir à Berlin, notamment pour sa manière d’avoir géré le scandale du diesel, Dieter Rucht souligne les différences : le mécontentement s’accroît en Allemagne, mais il n’est pas aussi prononcé qu’en France et il lui manque une cible symbolique. “En Allemagne, il y a beaucoup de sujets de mécontentement, mais pas une seule cible. Parfois, c’est le groupe VW ou plus généralement l’industrie automobile, parfois c’est le gouvernement. Mais il n’y a pas de recul dans le domaine social, donc moins de raisons d’être en colère. Même dans le domaine migratoire – thème dont l’extrême droite s’est fortement saisie –, le gouvernement a déjà modifié son orientation.”
Les migrants, seul thème mobilisateur
Quelques dizaines de petits groupes tentent de s’organiser en ligne, relate néanmoins Neues Deutschland, d’enfiler des gilets jaunes, de distribuer des tracts – et de bloquer des passages pour piétons ou de s’immiscer dans d’autres manifestations comme celle qui visait, le 1er décembre, à dénoncer le pacte de l’ONU sur les migrations. Infiltrés par l’extrême droite voire par des militants néonazis, ils sont parfois relayés par des dirigeants d’Alternative pour l’Allemagne (AfD). “Jusqu’ici aucun expert ne pense que les ‘gilets jaunes’ puissent déployer en Allemagne une dynamique similaire à ce qu’ils connaissent en France”, souligne le quotidien proche de la gauche radicale, citant l’analyse de Stefan Lauer, de la Fondation Amadeu Antonio.
On a l’impression que les ‘gilets jaunes’ en Allemagne ne savent pas vraiment pourquoi ils veulent descendre dans la rue – d’autant plus que, pointe Lauer, les migrations ne jouent aucun rôle en France dans la contestation.”
Danièle Renon
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