Le 30 novembre, à l’aéroport de Peshawar, deux membres du Parlement fédéral pakistanais (Assemblée nationale), Ali Wazir et Mohsin Dawar, ont été empêchés d’embarquer à bord d’un vol des Émirats arabes unis. Ils ont été détenus pendant plus de six heures par les agences de l’État pour s’assurer qu’ils ne pourraient pas voyager à l’étranger.
C’est la dernière en date des actions de l’armée visant les camarades Mohsin et Ali, simplement parce que ces deux parlementaires dirigent un mouvement populaire de défense des droits civils et socioéconomiques de base, qui critique la politique de « guerre contre le terrorisme » de l’État.
Un bref historique est présenté ci-dessous afin de comprendre la gravité symbolique de cette action répressive de l’Etat.
Mohsin Dawar et Ali Wazir ont été élus membres de l’Assemblée nationale en juillet 2018, dans des circonscriptions du Nord et du Sud Waziristan. Depuis des mois, ils avaient été reconnus comme des dirigeants populaires du PTM, le Mouvement pachtoun Tahafuz (de Défense). Ali Wazir bénéficie en fait d’un soutien massif depuis plus d’une décennie, comme l’ont prouvé en leur temps les élections de 2008 et 2013, lorsqu’il a été battu de très peu du fait de l’intervention des agences étatiques [militaires].
La PTM, née en 2017, demandait la fin du soutien de l’État à des factions des talibans, la réhabilitation des citoyens des zones tribales déplacés par des opérations militaires et la fin des excès militaires dans la ceinture pachtoune, à la frontière avec l’Afghanistan.
Cette région est devenue un camp de base pour les talibans et Al-Qaida depuis les années 1980. Les habitants de la région ont payé le prix fort pour le conflit afghan. Ali Wazir symbolise les misères et la résistance de la population locale contre ces talibans parrainés par l’État. Treize membres de sa famille, dont son père et des frères, ont été pris pour cibles et assassinés par les talibans.
Les districts où vivent les familles d’Ali Wazir et de Mohsin Dawar ont été décrits comme des zones refuges pour les talibans. A en croire bien des médias internationaux ou nationaux, ils seraient habités par de sauvages tribus hébergeant des réseaux globaux du Jihad. Ceci est une présentation de la situation faussée de façon flagrante.
De telles représentations reflètent l’attitude discriminatoire généralisée à l’égard des Pachtounes au Pakistan.
Ali Wazir et Mohsin Dawar sont publiquement connus pour leurs points de vue progressistes. Ils ont vaincu les partis fondamentalistes dans ces arrière-pays reculés de l’Asie du Sud, ils ont été élus par le peuple. Ali Wazir s’est déclaré socialiste. Depuis près de 15 ans, il est associé au courant marxiste pakistanais de « The Struggle » (La lutte). Ceci est juste un exemple qui montre à quel point l’image dépeinte du Waziristan dans les médias locaux et internationaux s’avère inexacte.
Les Pachtounes constituent la troisième communauté ethnique du Pakistan et, en grande partie, habitent la région frontalière de l’Afghanistan.
En fait, cette région est depuis plus d’un siècle l’objet de représentations orientalistes introduites par les forces coloniales britanniques.
La réfutation la plus puissante de la représentation orientaliste et de la couverture médiatique de cette région a été offerte par le PTM. Plus tôt cette année, pendant plusieurs mois, le PTM a mobilisé des centaines de milliers de personnes, en plus d’en inspirer des millions d’autres, contre la « guerre contre le terrorisme » parrainée par l’État. En plus de tenir d’énormes rassemblements de masse dans les zones pachtounes, il a également mis à jour l’hypocrisie de la politique de l’Etat envers les talibans – et ce, jusque dans les centres métropolitains pakistanais de Lahore et de Karachi.
En conséquence, Manzoor Pashteen, Mohsin Dawar et Ali Wazir ont été soumis à une campagne de diffamation des médias. Dans un cas, par exemple, leurs photos ont été utilisées pour les représenter comme des terroristes et traîtres dans l’une des campagnes d’affiche officielle de l’État contre le terrorisme.
Des centaines de leurs militants ont été victimes de fausses accusations et emprisonnés. Malgré la répression exercée par l’État, qui s’est traduite auparavant par des exécutions extrajudiciaires, des actes de torture et des destructions de villages entiers, le PTM est resté pacifique dans ses méthodes. Cependant, au lieu de se cantonner à de dites actions légales et constitutionnelles, il a mobilisé la population dans les rues contre ces arrestations et autres actions répressives. Plusieurs fois, il a forcé l’État à céder. Les médias sociaux sont un autre outil puissant à la disposition des militants du mouvement PTM.
Le 30 novembre, les arrestations et la libération de Mohsin Dawar et d’Ali Wazir ont été inscrites à l’ordre du jour national par le biais d’une puissante campagne sur les réseaux sociaux. Ils sont maintenant des noms familiers au Pakistan. Du fait également de la campagne de diffamation.
Qu’est-ce qui devrait être fait ?
1- PTM a besoin d’une campagne de solidarité internationale continue pour soutenir ses demandes justes et ses méthodes pacifiques.
2- Le PTM a révélé les contradictions des discours de « guerre contre le terrorisme », tant mondiaux que nationaux. Cela nécessite une réévaluation des stratégies et des discours sur le conflit afghan. Nous demandons par conséquent que le PTM soit pris en compte dans le cadre de toute solution du conflit.
3- Le mouvement PTM a fondé le point de vue présenté par la gauche pakistanaise depuis le 11 septembre [2001]. En s’opposant à l’occupation américaine de l’Afghanistan, la gauche pakistanaise a montré que la recherche d’une solution militaire à la question du fondamentalisme ne ferait que galvaniser les fondamentalistes dans la région. Auparavant, nous n’avions lesdits talibans au pouvoir qu’en Afghanistan, à présent ils dirigent des parties du Pakistan. De plus, l’Etat islamique contrôle aujourd’hui fermement au moins trois provinces en Afghanistan, et l’on sent son influence au Pakistan. En conséquence, la gauche pakistanaise devrait être soutenue dans sa lutte idéologique et politique contre le fondamentalisme.
Farooq Sulehria