Elles sont presque toutes là. Les Big Pharma internationales ont répondu à l’appel du gouvernement chinois pour participer, entre les 5 et 10 novembre, à Shanghaï, à l’Exposition internationale d’importation de la Chine. Derrière le stand d’AstraZeneca, de Roche ou de Bayer, celui de Merck veut éclipser ceux de Novartis ou de Sanofi, ayant convié une poignée de journalistes français sur place.
Pour la fine fleur du secteur, pas question de rater un tel événement, car l’empire du Milieu, 1,4 milliard d’habitants, est devenu, en moins de dix ans, le second marché de la planète, à près de 110 milliards d’euros. D’ici à 2030, il pourrait devenir le premier, devant les Etats-Unis. Pas question pour les sociétés étrangères, dont la présence est « tolérée », selon un patron du secteur, de renoncer aux 25 % de part de ce gigantesque marché qu’ils ont réussi à gagner ces dernières années.
Mais la Chine a bien l’intention de créer ses propres géants. Dans le cadre du plan « Made in China 2025 », Pékin souhaite qu’au moins cent sociétés pharmaceutiques chinoises puissent exporter des médicaments dans les grands marchés de la planète, en atteignant une production au standard international d’ici à 2020. Car, pour l’instant, la majorité des 4 100 sites chinois ne sont pas au bon niveau.
« Les besoins dans le pays sont aujourd’hui énormes »
Toujours selon les directives du gouvernement, les entreprises chinoises devront enregistrer entre cinq et dix traitements de dernière génération auprès des autorités de certification américaines et européennes. « C’est une sacrée gageure, juge le consultant indépendant Olivier Milcamps. On part de très loin, car les acteurs locaux investissent bien moins en recherche et développement que les acteurs internationaux. »
« [En 2017], le taux de croissance du secteur se situait entre 3 % et 4 %, mais, pour les multinationales, la croissance se comptait à deux chiffres », constate Jean-Christophe Pointeau, le patron de Sanofi en Chine. Offrant des traitements plus récents, sans équivalents génériques chinois, les Big Pharma profitent de l’immense marché chinois. « Les besoins dans le pays sont aujourd’hui énormes, avec le vieillissement de la population et l’irruption de multiples maladies chroniques, comme le diabète ou le cancer, dus à la sédentarisation et au brusque changement des habitudes alimentaires », ajoute-t-il.
Pendant longtemps, l’Etat a traîné des pieds pour autoriser ou rembourser des traitements étrangers. Depuis 2017, plus besoin d’organiser localement des essais cliniques pour lancer une molécule déjà approuvée aux Etats-Unis ou en Europe. De même, depuis l’été 2018, les droits de douane de vingt-huit classes de médicaments ont été supprimés.
Médiocrité des nombreux médicaments génériques chinois
En revanche, pour rendre son médicament remboursable au niveau national, puis provincial, « les négociations sont dures », confirme-t-on chez Roche, qui a récemment réussi à enregistrer son Herceptin, un médicament contre le cancer du sein. Le groupe suisse a dû consentir une baisse de 70 % de son tarif. Conséquence : les ventes ont bondi de 400 %.
Ce que les Big Pharma perdent, au départ, en prix, elles le gagnent en volume. « Les patients se tournent vers nos traitements, assure M. Pointeau de Sanofi. Aujourd’hui, les malades privilégient un générique, mais s’ils peuvent s’offrir la molécule originale, ils le font sans hésiter. » Pour certains groupes internationaux, c’est une bonne affaire. Du fait de la médiocrité des nombreux médicaments génériques chinois et de la méfiance des habitants envers le système et l’industrie de la santé, ils peuvent écouler des produits originaux pourtant déjà « génériqués » en Europe ou aux Etats-Unis.
A moyen terme, cependant, la Chine entend bien reprendre la main. « Pour réussir, la Chine fait du classique, analyse Guillaume Zagury, médecin urgentiste et l’un des dirigeants d’Oasis, un hôpital international privé de Pékin. Elle fait venir les meilleurs groupes internationaux, elle capte le savoir et espère créer ensuite ses propres Big Pharma. »
« Le système de santé rattrape son retard à vitesse grand V »
Grâce à l’augmentation des standards de qualité, la Chine a avant tout décidé d’assainir et de consolider tout son secteur pharmaceutique. Aujourd’hui, les plus grandes entreprises, comme l’américain Pfizer ou les chinois Yangzi River et Jiangsu Hengrui, détiennent moins de 3 % de part de marché dans le pays. En haussant les standards de qualité, l’Etat veut obliger les plus petites sociétés, qui ne peuvent investir pour se mettre à niveau, à se vendre à de plus grosses ou à fermer. Les Yangzi River, Jiangsu Hengrui ou Fosun Pharma pourront dès lors accroître leurs volumes de ventes, donc leurs revenus, afin de mobiliser assez de moyens pour développer des traitements de dernière génération (génétiques ou biologiques).
Dans le même temps, Pékin veut également s’appuyer sur les returnees (« rapatriés ») pour renforcer tout son secteur pharmaceutique. « De nombreux chercheurs chinois, envoyés ces vingt dernières années aux Etats-Unis, en Europe ou ailleurs, sont aujourd’hui incités à revenir pour créer leur société ou pour renforcer les sociétés locales », confirme Olivier Milcamps.
« La force de ce pays, c’est qu’il va vite. Le système de santé rattrape son retard à vitesse grand V, juge M. Zagury. En matière d’innovation, il est certes en retard, mais il met des moyens colossaux pour [le] combler. » Exemple, l’hôpital numérique est en pleine croissance, avec 400 millions de consultations médicales en ligne prévues cette année, contre zéro il y a encore deux ans. De même, dans la génétique, des patients atteints de cancer ont déjà été guéris lors d’essais cliniques. « Ils vont d’autant plus vite, ajoute un expert, qu’ils ne s’embarrassent pas vraiment d’éthique pour réussir. »
Philippe Jacqué (à Shanghaï)
• Le Monde. Publié le 12 novembre 2018 à 11h00 - Mis à jour le 12 novembre 2018 à 11h15 :
https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/11/12/la-chine-veut-s-affirmer-dans-l-industrie-pharmaceutique-mondiale_5382369_3234.html
La Chine, deuxième marché mondial du français Sanofi
Le laboratoire est le cinquième groupe pharmaceutique en Chine, où ses molécules stars connaissent une seconde vie commerciale.
Derrière la vitre, dans un environnement tempéré, deux employés en combinaison manipulent un sac noir. Il l’installe au-dessus d’un vaste entonnoir. Des milliers de petites pilules roses en sortent et sont triées avant d’être avalées par une machine longue d’une dizaine de mètres. Après les avoir conditionnées en tablettes, elles sont empaquetées, avec la notice en chinois, dans une petite boîte bleue.
Un hologramme, pour assurer l’authenticité du médicament, est également collé sur la boîte. « Il vient tout droit de Paris », indique Daniel Zang, le patron de l’usine Sanofi d’Hangzhou, à 160 kilomètres à l’ouest de Shanghaï, qui fait la visite à un groupe de journalistes invités par le groupe français. Tout comme le Plavix, la fameuse pilule rose utilisée contre les problèmes circulatoires, importée de France, d’ailleurs. Ici, dans la capitale de l’e-commerce chinois où un certain Jack Ma a lancé Alibaba, Sanofi a installé une de ses trois usines dans le pays.
« 203 millions de boîtes produites en 2017 »
Les neuf lignes de production tournent à plein, 24 heures sur 24 et 6 jours sur 7. « Nous avons produit l’an dernier 203 millions de boîtes de nos différents médicaments, explique Ping Zheng, le patron industriel de Sanofi dans le pays. Depuis 2005, nous connaissons une croissance moyenne annuelle de 20 % ! »
Début 2018, pour la première fois de son histoire, la Chine est devenue le deuxième marché mondial du groupe français derrière les Etats-Unis et devant la France. Avec 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisé l’an dernier et plus de 15 % de croissance, le pays est aujourd’hui un marché stratégique pour l’entreprise tricolore.
Cinquième groupe en Chine après Pfizer, Yangzi, AstraZeneca et Jiangsu Hengrui, Sanofi détient une part de marché de 1,9 %, soit un beau potentiel de croissance, sachant que ses molécules sont adaptées aux besoins d’une population de 1,4 milliard d’habitants qui souffre de plus en plus de maladies chroniques comme l’hypertension ou le diabète.
Pas de génériques de qualité
Dans les cinq ans, l’entreprise, qui compte 9 500 salariés, dont 600 chercheurs, prévoit de lancer en Chine une quinzaine de traitements. Et notamment ses derniers médicaments mis sur le marché aux Etats-Unis et en Europe. « Désormais, pour nos nouveaux médicaments, la Chine fera partie des essais cliniques pour accélérer leur disponibilité dans le pays », indique Olivier Charmeil, le directeur de la nouvelle division Chine et marchés émergents de Sanofi.
Pour l’instant, la meilleure vente du laboratoire en Chine est le Plavix, un anticoagulant. Avec 758 millions d’euros de facturation, le groupe réalise les trois quarts du chiffre d’affaires mondial de cette molécule en Chine. Aux Etats-Unis, en Europe et au Japon, ce médicament est tombé dans le domaine public et son chiffre d’affaires s’y est écroulé. Idem pour le Lantus, l’insuline vedette de Sanofi. Tombé dans le domaine public aux Etats-Unis, il permet au groupe français de réaliser en Chine 319 millions d’euros de chiffre d’affaires.
« Ici, la qualité des génériques actuels n’est pas encore à un bon niveau, relève Jean-Christophe Pointeau, le patron de Sanofi dans le pays. Du coup, les patients préfèrent les originaux, quand ils sont abordables. A mesure que la qualité de la concurrence montera, nous descendrons en prix, et nous gagnerons alors en volume. » Une véritable aubaine pour prolonger la vie commerciale des molécules.
Un eldorado aisé à conquérir
Reste que la Chine n’est pas un eldorado aisé à conquérir. Si le taux de couverture d’assurance-santé est proche de 100 %, le reste à charge diffère d’un citoyen à l’autre, selon qu’il habite les grandes villes ou les zones rurales. « Pour la fixation des prix, le cadre est extrêmement complexe, avec des discussions au niveau de l’Etat et des provinces, ainsi qu’au niveau des hôpitaux », reprend M. Pointeau.
Le plus grand frein reste le manque de médecins, notamment généralistes, dans les villes. On compte deux docteurs pour 1 000 habitants, et aucun généraliste, car le pays n’a formé jusqu’à présent que des spécialistes exerçant dans des hôpitaux. Avec le développement des maladies chroniques, qui requièrent de nombreux renouvellements de prescriptions, le système hospitalier souffre, tout comme les patients chinois, qui doivent se satisfaire de visites médicales de une à deux minutes… « La Chine change un peu : elle veut systématiser les dispensaires et centres communautaires de santé. Et nous essayons d’accompagner ce mouvement en participant à la formation des personnels de ces dispensaires », reprend M. Pointeau.
A l’image d’autres groupes étrangers, Sanofi se lance également dans l’e-santé. Car la Chine ose tout, de la téléconsultation par chatbot au diagnostic par intelligence artificielle. « Le pays est un laboratoire du monde », estime Pierre Faury, responsable du développement commercial de Sanofi. Le groupe français s’est ainsi rapproché d’Alibaba, de Tencent, qui propose le système WeChat, et de l’assureur Ping An pour mener ses différents projets d’e-santé, la nouvelle frontière du secteur.
Philippe Jacqué (Hangzhou (Zhejiang))
Philippe Jacqué (à Shanghaï)
• Le Monde. Publié le 12 novembre 2018 à 11h00 - Mis à jour le 12 novembre 2018 à 11h15 :
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