Ce devait être un sommet consacré à l’économie. Il y fut question de guerre froide. Pour la première fois en vingt-six ans, les dirigeants des pays du forum de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC) ont mis fin à leur réunion annuelle, dimanche 18 novembre, sans parvenir à s’entendre sur un communiqué commun. Hôte du sommet, Peter O’Neill, premier ministre de Papouasie-Nouvelle-Guinée, a reconnu ne pas avoir fait le poids face « aux deux grands géants dans la pièce ».
A dix jours du sommet du G20 de Buenos Aires, en marge duquel le président américain, Donald Trump, et son homologue chinois, Xi Jinping, doivent se rencontre, jamais les divergences n’ont paru aussi fortes entre Washington et Pékin. La délégation américaine conduite par le vice-président, Mike Pence, a exigé que le texte mentionne la nécessité d’une réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). La Chine s’y serait opposée, estimant que l’APEC n’avait pas à traiter cette question.
Peu avant cet échec, l’Agence France-Presse avait révélé une scène ubuesque : le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée avait fait appel à la police pour empêcher des délégués chinois d’entrer dans le bureau du ministre des affaires étrangères afin d’orienter la rédaction du communiqué final. La Chine a démenti, mais le ministère des affaires étrangères de Papouasie-Nouvelle-Guinée est resté beaucoup plus vague.
« Le vice-président américain, Mike Pence, a mis en garde contre la diplomatie chinoise du carnet de chèques, « au mieux opaque » »
Cet échec des 21 dirigeants d’Etats bordant le Pacifique n’est qu’une demi-surprise. Dès son arrivée, samedi matin, Mike Pence avait mis en garde contre la diplomatie du carnet de chèques chinoise, « au mieux opaque ». Critiquant sans le nommer le projet international d’investissements chinois dans le cadre des « nouvelles routes de la soie », Mike Pence avait déclaré : « Nous ne noyons pas nos partenaires dans un océan de dettes. Nous ne contraignons pas, nous ne corrompons pas, nous ne compromettons pas votre indépendance. »
Xi Jinping, qui, à la différence de ses homologues américain et russe, était présent au sommet de l’APEC, avait répondu par avance que les investissements de la Chine à l’étranger ne constituaient « pas un piège comme certains l’ont présenté ». Comme à son habitude, le président chinois s’est fait le chantre d’une économie mondiale « ouverte, inclusive, innovante et reposant sur des règles », mais cette fois, il est allé plus loin : « L’Histoire a montré qu’une confrontation, que ce soit sous la forme d’une guerre froide, d’une guerre chaude ou d’une guerre commerciale, ne produira aucun vainqueur », a-t-il mis en garde.
Alors que, ces derniers mois, les Etats-Unis ont imposé des sanctions sur 250 milliards de dollars d’importations en provenance de Chine, entraînant des mesures de rétorsion de la part de Pékin, Washington envisage maintenant de taxer toutes les importations chinoises. « Ce qui est en jeu à Buenos Aires, c’est tout simplement la survie de l’OMC », résume un diplomate occidental à Pékin.
Pour la plupart des observateurs, les divergences sont telles qu’il est peu probable que la rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping puisse durablement résoudre les problèmes. Mike Pence, qui, dès le 4 octobre à Washington, avait, dans un discours extrêmement violent, dénoncé les « pratiques prédatrices » de la Chine qualifiée d’Etat « orwellien », a résumé, samedi, devant des journalistes, le point de vue américain : « Ils commencent avec des pratiques commerciales, des droits de douane et des quotas, des transferts de technologies forcés, le vol de propriété intellectuelle et ça va au-delà, jusqu’à la liberté de circulation sur les mers et les atteintes aux droits de l’homme. »
« Choisir l’un ou l’autre »
Toutefois, géostratégie et économie ne vont pas toujours de pair : les deux principaux alliés des Etats-Unis dans le Pacifique, l’Australie et le Japon, critiquent, comme la Chine, le protectionnisme américain et la préférence de Washington pour des accords commerciaux bilatéraux plutôt que régionaux.
De fait, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, petit Etat de six millions d’habitants situé juste au nord de l’Australie, s’est trouvée ce week-end au cœur de la rivalité sino-américaine. Alors que son premier ministre a signé des contrats d’un montant supérieur à un milliard de dollars avec la Chine dans le cadre des nouvelles routes de la soie chinoises, les Etats-Unis ont annoncé qu’ils participeraient à la mise en place d’une base navale australienne ainsi qu’au financement d’un vaste projet (1,7 milliard de dollars) porté par le Japon et l’Australie d’électrification du pays.
Comme les autres petits Etats du Pacifique, la Papouasie-Nouvelle-Guinée peut jouer de la rivalité entre la Chine d’un côté, l’Australie, le Japon et les Etats-Unis de l’autre, pour obtenir aides et investissements. Mais les tensions actuelles entre Pékin et Washington sont telles que les pays d’Asie pourraient avoir à « choisir l’un ou l’autre », a déploré jeudi 15 novembre le premier ministre singapourien, Lee Hsien Loong, ajoutant : « J’espère que cela n’arrivera pas sous peu. »
Frédéric Lemaître (Pékin, correspondant)