Il n’y a pas de pire Guatepeor (le Guate-pire) pour ceux qui fuient le Guatemala (le Guate-mal), le Honduras et le Salvador, pour ceux qui rejoignent sans plus y penser la caravane qui passe devant leur porte en direction d’un Nord qui signifie pour eux l’espoir. Regroupés, on le voit, ils pensent qu’ils courent moins de risques de vols, de séquestration, de prostitution, ou qu’on les viole ou les tue lors d’une attaque. Ils fuient en laissant derrière eux le peu qu’ils ont pour conserver au moins leur vie.
Il y a trois caravanes : la première est partie de San Pedro Sula, en Honduras, le 12 octobre 2018. Au Mexique, les attend le président sortant, Enrique Peña Nieto, qui n’a pas voulu les réprimer. Toutefois, parfois, ces migrants se dérobent et n’acceptent pas la proposition de résidence conditionnelle qu’il leur offre. Un président entrant, André Manuel López Obrador (AMLO), leur promet déjà des démarches en vue de leur résidence et assure qu’il y aura du travail pour eux. A la frontière des Etats-Unis, un Donald Trump qui se décoiffe presque en les insultant et en les menaçant des 5200 effectifs de ses forces armées (allant jusqu’à 15’000, avant de se rétracter).
Quand les caravanes arriveront à la frontière avec les Etats-Unis, les élections de mi-mandat du 6 novembre seront terminées. Dès lors, le thème perdra notablement en intérêt et tout reviendra, on peut le supposer, à la normale.
La normalité est néanmoins le pire. Toujours plus, et de façon plus intense depuis la présidence de Barack Obama, les caravanes sont refoulées, les familles divisées et des dizaines de milliers d’enfants seuls font face à cette réalité agressive dans laquelle, tout peut arriver. Entre 2013 et 2017, 179’544 enfants non-accompagnés ont été enregistrés. En avril, la Garde nationale (pas l’armée) a empêché l’entrée d’une caravane aux Etats-Unis. Durant une année (du 30 septembre 2017 au 30 septembre 2018), le chiffre record de 100’000 réfugié·e·s – parvenant jusqu’au pied du mur— a été atteint ; 16’658 personnes ont été détenues et renvoyées.
La réalité qu’ils fuient depuis le Salvador, le Guatemala et le Honduras possède des traits sinistres communs : toutes les années, la population de la campagne rejoignant la ville s’élève à 1,9% du total au Salvador, 3,1% au Guatemala et de 2,4% au Honduras.
Le secteur dit informel de l’économie constitue 53,6% dans le Salvador, 57% au Guatemala et 51,4% au Honduras. La pauvreté urbaine au Salvador est de 41,6% et la pauvreté rurale de 49,5% ; en ce qui concerne l’indigence (extrême pauvreté avec accès minimal aux biens de base), elle s’élève à 12,5% et de 17,4% en milieu rural. Au Guatemala, la pauvreté urbaine est de 67,7% et la pauvreté rurale de 77,2% ; pour l’indigence les chiffres s’élèvent respectivement à 46,1% et à 58,2%. Au Honduras, le secteur informel de l’économie comprend 51,4%, la pauvreté urbaine est de 74,3% et dans le milieu rural de 81,8% ; en ce qui concerne l’indigence, elle s’élève à 50,5% en milieu urbain et de 63,9% en milieu rural.
Les chiffres de la Commission économique pour l’Amérique latine et des Caraïbes (CEPAL) décrivent les uns après les autres une réalité quotidienne qui va au-delà de l’imaginable. Les derniers chiffres, ceux des inégalités, sont éloquents : le coefficient de Gini [il varie de 0 à 1, O = égalité parfaite, 1 signifie inégalité parfaite) de 2017 du Salvador est de 0,44, celui du Guatemala est de 0,55 et celui du Honduras de 0,56. La CEPAL n’indique pas le coefficient pour l’Argentine ; en Uruguay il est de 0,38.
Ils ont quelque chose de plus grave en commun : les trois pays, qui ne comptent que 32,5 millions d’habitants, forment le Triangle du Nord, une zone que les armées « du monde entier » étudient dans leurs cours d’état-major général parce que c’est l’un des plus dangereux du monde ; plus que l’Afghanistan, dit-on.
Le point de départ de cette coïncidence est que, sur les nombreuses faiblesses institutionnelles antérieures dans la construction de l’État, les trois territoires ont été le théâtre de conflits internes dont la caractéristique dominante a été la participation de leurs forces armées – qui ont provoqué des dizaines de milliers de personnes déplacées – que la démobilisation des forces a laissée derrière elle le chômage et la précarité, des blessures profondes et une réserve importante de force de travail inemployée au sein de laquelle (sous pression de la survie) se sont répandues des valeurs facilement utilisables par la criminalité organisée.
El Salvador
Avec les accords de paix de 1992 (fin de la guerre civile), El Salvador a surmonté une guerre interne qui avait débuté en 1979 et qui avait « coûté la vie à quelque 75’000 personnes, laissant derrière elle l’un des taux d’homicides les plus élevés au monde et des bandes criminelles (maras) qui avaient profondément pénétré la société » comme l’écrit Human Rights Watch (HRW).
A titre d’exemple de ces conséquences, il est signalé la prévalence de l’obésité chez un quart de la population et 5 % des enfants de moins de quatre ans présentant une insuffisance pondérale (chiffres de 2014) ; à cela s’ajoutent aux 71’500 réfugié·e·s et déplacé·es internes (chiffres de 2017).
La cérémonie de sanctification du 21 octobre de Mgr Oscar Arnulfo Romero – tué le 24 mars 1980, par les forces de la contre-révolution alors qu’il donnait une messe – était un exemple de la coexistence non résolue des problèmes qui rongent le pays. Comme le rapporte l’article par le journaliste de The New-Yorker, Jon Lee Anderson. Le pape Bergoglio (pape François) portait le bandeau rouge avec le sang de Romero du jour de son assassinat. Le cardinal salvadorien chargé de l’homélie, Gregorio Rosa Chávez, s’est avéré être un homme aux manières douces qui s’est « violemment » éloigné de la vivacité du langage de Romero et de la brutalité de celui de ses assassins pour parler de lui comme un pasteur « qui était tout amour” » affirme le journaliste.
Le sermon de Romero de ce jour fut gravé et vendu : « Au nom de Dieu, au nom de ce peuple souffrant dont les larmes s’élèvent chaque fois vers le ciel avec plus de force, je t’implore, je t’en supplie, je t’ordonne au nom de Dieu : cesse la répression ! »
La répression militaire a été privatisée. L’an dernier, près de 4000 personnes ont été tuées dans ce pays de six millions d’habitants, mais moins de 10% des meurtriers ont été arrêtés. Les responsables de la mort de Romero n’ont pas été traduits en justice bien que l’identité de certains d’entre eux soit connue depuis longtemps et qu’une Commission de la vérité, soutenue par l’ONU, ait conclu que le cerveau du meurtre avait été le major de droite extrême Roberto d’Aubuisson. Son successeur à la tête de son parti politique, l’Arena, Alfredo Cristiani, qui a signé en 1992 la paix avec le Farabundo Martí de Liberación Nacional (FMLN), était assis sur l’estrade d’honneur pendant la sanctification de Romero.
Guatemala
Le Guatemala est sorti en 1996 de 36 ans de guérilla, durant un siècle dominé par des dictatures militaires. Le conflit interne a fait plus de 200’000 morts et environ 1 million de personnes déplacées.
C’est un pays très majoritairement pauvre avec des problèmes de développement et de santé publique, notamment la mortalité infantile, juvénile et maternelle, la malnutrition, l’analphabétisme et l’ignorance des méthodes contraceptives. Près de la moitié de ses habitants a moins de 19 ans, ce qui en fait la population la plus jeune d’Amérique latine et centrale. Son histoire est marquée par l’émigration légale et illégale vers le Mexique, les États-Unis et le Canada. Après la guerre civile de 1996, une grande partie de l’émigration qui s’est installée dans le sud du Mexique est revenue dans le pays.
L’étymologie du nom du pays est d’origine maya : il signifie « pays des arbres » La famine a forcé la population à manger l’écorce des arbres, ce qui tue la plante. La répartition des richesses est très inégale : 20 % de la population consomme le 51 % du revenu total du pays ; les 20 % les plus pauvres en consomment le 6,1 %.
La violence et l’extorsion par de puissantes organisations criminelles continuent d’être répandues au Guatemala et apparaissent comme des problèmes structurels qui se renforcent face à un État faible. La violence des gangs est un facteur important qui motive de nombreuses personnes, y compris les jeunes non accompagnés, à quitter le pays.
L’impunité est très répandue au Guatemala, en partie parce que des retards incroyables sont fréquents dans la conduite des procédures pénales engagées contre des acteurs puissants. Ces retards sont aggravés par le fait que, souvent, le ministère de la Justice ne respecte pas les délais prévus par la loi et suspend les audiences qui peuvent prendre des mois à être reportées. Des problèmes tels que l’intimidation des juges et des procureurs et la corruption dans le système judiciaire persistent, selon les rapports de HRW.
Le gouvernement a créé en 2007, en collaboration avec les Nations Unies et suite aux pressions internationales prolongées, une Commission internationale contre l’impunité au Guatemala (CICIG) afin d’enquêter sur la criminalité organisée. Au moment de la publication du rapport de HRW en 2017, plus d’une douzaine de membres actuels et anciens du Congrès faisaient l’objet d’une enquête, ainsi que l’ancien président Otto Pérez Molina [ancien militaire et président de 2012 à 2015] et l’ancienne vice-présidente Roxana Baldetti, arrêtés pour corruption en 2015.
Le travail de la CICIG a provoqué une forte réaction négative parmi les fonctionnaires en 2017. En août, le président Jimmy Morales [depuis 2016] a ordonné l’expulsion du commissaire de la CICIG Iván Velásquez, deux jours après que la CICIG et le Ministère public eurent tenté de lever l’immunité du président pour enquêter sur son rôle présumé dans le financement illicite du processus électoral.
Après que Morales eut ordonné l’expulsion de Velásquez, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a ratifié l’engagement de l’organisation à soutenir la CICIG et à garder Velásquez à la tête de cette commission. Ils ont également rejeté la tentative de séparer Velásquez du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, ce qui a été appuyé par le gouvernement de Donald Trump et des membres du Congrès américain et le Parlement européen. L’annulation par la Cour constitutionnelle de l’ordonnance de Morales a permis à Velásquez de rester à la tête de la CICIG, au moins jusqu’à la fin de son mandat en septembre 2019.
En septembre de 2018, le Congrès guatémaltèque a voté la réduction à dix ans de la peine maximale pour les crimes de financement électoral et la commutation des peines de prison de dix ans ou moins en amendes pécuniaires. Ce changement permet au président et à de nombreux membres du Congrès d’éviter de purger des peines de prison en cas de condamnation.
Les procès pour violations passées des droits de l’homme sont également difficiles. En juillet 2017, une cour d’appel a confirmé la condamnation de deux anciens militaires pour crimes contre l’humanité consistant en violences sexuelles et esclavage domestique et sexuel. Les victimes étaient 14 femmes mayas « Q’eqchi’ ». L’un des soldats a également été reconnu coupable du meurtre de trois femmes et l’autre de la disparition forcée des maris de sept des victimes. Ils ont été condamnés respectivement à 120 et 240 ans d’emprisonnement.
En mars 2017, un juge a jugé cinq anciens militaires pour la disparition forcée de Marco Antonio Molina Theissen et le viol de sa sœur en 1981. Parmi les auteurs présumés figurent l’ancien chef militaire Benedicto Lucas García, frère de l’ancien dictateur militaire Romeo Lucas García ; aucune date pour le procès n’a encore été fixée.
En mai 2013, Efraín Ríos Montt [au pouvoir de mars 1982 à août 1983, puis président du Congrès de janvier 2000 à janvier 2004] a été reconnu coupable de génocide et de crimes contre l’humanité pour la mort d’au moins 1771 civils de la communauté maya Ixil lors de 105 massacres en 1982 et 1983, sous sa présidence. Bien qu’il ait été condamné à 80 ans de prison, dix jours plus tard, la Cour constitutionnelle a annulé la condamnation pour des raisons de procédure. Le nouveau procès a débuté en mars 2016, mais a été suspendu deux mois plus tard. En mai 2017, la Cour constitutionnelle a jugé que Ríos Montt était inapte pour faire face à un procès public et que la procédure se déroulerait donc à huis clos, mais que le procès contre l’ancien directeur du renseignement José Mauricio Rodríguez Sánchez, serait public. Aucune date de procès n’ayant été fixée, Rios Montt est mort dans son lit en avril 2018.
Dans ce contexte, la violence à l’égard des civils fait désormais partie des relations sociales et la profession de journaliste est régulièrement la cible d’attaques. En juin 2017, le journaliste de télévision Carlos Rodríguez a survécu à une balle reçue dans la tête. En juin 2016, le journaliste de radio Álvaro Aceituno a été assassiné et en mars 2015, les journalistes Danilo López et Federico Salazar ont été tués. En janvier 2017, des enquêtes menées par la CICIG et le Ministère public ont mis en cause Julio Juárez, membre du Congrès du parti FCN-Nación au pouvoir, dans ce crime. Presque un an plus tard, en novembre 2017, l’immunité politique de Juarez a été levée.
En mars 2017, 41 filles et adolescentes sont mortes dans un incendie du refuge gouvernemental Safe Home. Cinquante-six filles ont été enfermées pendant la nuit dans un espace qui ne pouvait accueillir que 11 filles, sans accès à l’eau ni aux toilettes, à la suite d’une protestation contre ces conditions de vie précaires et le traitement au refuge, y compris des allégations de violences sexuelles qui remontent à plusieurs années. Comme les gardes n’ont pas ouvert les portes lorsque l’incendie a éclaté, 41 filles ont été brûlées et 15 ont été gravement blessées.
Les questions de l’orientation sexuelle et de l’identité de genre sont abordées d’une manière clairement régressive par l’État. La loi guatémaltèque érige l’avortement en infraction pénale, sauf dans les cas où la vie de la femme peut être en danger. Les femmes et les filles qui mettent fin à une grossesse dans toute autre circonstance sont passibles d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans.
En avril 2017, un groupe de législateurs a présenté une proposition législative, appuyée par 30’000 signatures, visant à interdire expressément le mariage homosexuel. Le projet de loi visait également à empêcher les écoles publiques d’enseigner la diversité et ce qu’elles appellent « l’idéologie du genre » aux élèves.
La menace de M. Trump de couper le soutien économique aux projets au Guatemala affectera directement le travail de la CICIG soutenue par l’ONU, un soutien joue un rôle décisif en aidant le système judiciaire du Guatemala à poursuivre les crimes violents. La CICIG le fait en collaboration avec la police et d’autres organismes gouvernementaux pour enquêter, poursuivre et démanteler les organisations criminelles opérant dans le pays. Elle peut participer aux procédures pénales en tant que co-plaignant, fournir une assistance technique et promouvoir des réformes législatives.
Le Congrès des États-Unis a approuvé l’octroi d’une aide financière de 655 millions de dollars pour 2017 dans le cadre du Northern Triangle Prosperity Partnership Plan, une initiative quinquennale annoncée en 2014 qui vise à réduire les incitations l’émigration du Guatemala, d’El Salvador et du Honduras. L’objectif de l’aide est de réduire la violence, de renforcer la gouvernance et de créer davantage de possibilités économiques. 50 % des fonds sont subordonnés à la condition que le département d’État des États-Unis certifie chaque année les progrès réalisés par les pays bénéficiaires en matière de renforcement des institutions, de lutte contre la corruption et l’impunité, et de protection des droits de la personne. En 2017, le Guatemala a obtenu la certification qui lui permet de recevoir des fonds totaux et continus selon le plan, dont sept millions de dollars pour la CICIG.
Honduras
La criminalité violente est un problème répandu au Honduras. Le pays continue d’avoir l’un des taux d’homicides les plus élevés au monde, malgré la réduction de ces crimes au cours des dernières années. Les groupes les plus vulnérables face à la violence sont les journalistes, les défenseurs de l’environnement et les militant·e·s lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT). Les efforts visant à réformer les institutions chargées d’assurer la sécurité publique n’ont guère progressé. Le pouvoir judiciaire et la police, deux institutions dans lesquelles la corruption et les abus sont répandus, restent largement inefficaces. En général, les crimes et les violations des droits de l’homme restent impunis.
Voisin de la frontière nord du Nicaragua, son territoire fut à partir de 1981, sous la présidence de Ronald Reagan, la base de la force partiellement mercenaire qui attaqua le gouvernement sandiniste : la Contra. Les forces états-uniennes disposaient si librement du vaste territoire du Honduras qu’on l’appelait le « porte-avions » des Etats-Unis. L’insistance à obtenir le renversement militaire du sandiniste a conduit au scandale Iran-Contras, par lequel le lieutenant-colonel à la retraite Oliver North a vendu des armes à l’Iran dont le trafic était interdit par l’embargo, pour financer l’opération au Honduras.
Condamné à un an de prison, North n’est pas allé en prison et est aujourd’hui chroniqueur pour le réseau américain Fox News et sponsorise également le jeu vidéo Call of Duty. La démobilisation militaire et civile, les personnes déplacées, les crimes non résolus et la faiblesse de l’État ont les mêmes effets au Honduras (et en partie aussi au Nicaragua) que dans ses deux autres partenaires du Triangle Nord.
Le « Triangle Nord »
La structure du crime organisé est, comme on l’a dit, le sujet d’études militaires. Elle est liée au terrorisme, mais cela ne peut s’expliquer que par des raisons idéologiques, car il n’y a pas de terrorisme dans le triangle ou dans son voisinage. Selon une étude spécifique publiée par Juan Ricardo Gòmez Hecht pour les cours militaires, ce qui serait nécessaire sont : une hiérarchie organisée, la fin du recours ou de la menace du recours à la force, qui rapporte des profits, mise hors-jeu de la corruption qui garantit l’impunité.
Le Triangle du Nord est considéré comme l’une des régions les plus violentes du monde, avec une forte présence de gangs. C’est la plus grande route de transit de la drogue et les forces armées sont impliquées dans la sécurité publique. Ses principales activités sont le trafic de drogues, d’armes, de personnes, de gangs et le blanchiment d’argent.
Il fournit des acteurs rationnels qui maximisent les profits par des activités illégales telles que les services sexuels, les jeux d’argent illégaux, la traite des personnes et le trafic d’êtres humains, tout cela avec des tueurs ; l’achat de produits illicites tels que le trafic de drogues, le trafic d’armes, la contrefaçon, le piratage, le vol de biens et les activités prédatrices comme l’enlèvement et l’extorsion. Dans ses activités de blanchiment d’argent, de fraude et de contrebande, elle intègre maintenant la cybercriminalité.
Ces organisations sont renforcées par les forces et les opportunités offertes par le marché, en y prenant appui elles cherchent à consolider ces marchés, à diversifier et à protéger la chaîne d’approvisionnement. C’est une grave erreur dans la lutte contre eux, dit l’étude, de se concentrer sur les individus et les organisations, puisqu’ils fonctionnent par le système aux caractères d’une hydre à multiples têtes, remplaçant par deux têtes une décapitation. Il faut appréhender leur organisation comme des réseaux. Ainsi, ils cultivent, collectent ou acquièrent du matériel de base pour la production de médicaments par l’intermédiaire d’agriculteurs, de producteurs propres ou de sous-traitants et d’agents de surveillance locaux. Ils les transportent à travers leur propre réseau de distribution international au-delà des frontières nationales. Pour cela, ils disposent d’acteurs locaux qui les protègent et qui travaillent à la fois au contrôle des transporteurs et à celui des points d’arrivée du produit ; ainsi qu’à sa livraison au grossiste, puis de celui-ci aux détaillants et de là aux vendeurs individuels (les dealers).
La référence stricte à la violence est une autre erreur, affirme cette étude. La corruption et le principe de visibilité de l’iceberg, qui n’expose que son tiers supérieur, sont beaucoup plus efficaces. Le mouvement annuel des fonds du Triangle du Nord est illustré par le fait que le Guatemala a mobilisé 1,831 milliard de dollars entre janvier et septembre 2017, le Honduras 450 millions de dollars en novembre 2012 et El Salvador 14,6 millions de dollars en septembre 2010.
L’ensemble de l’opération prend appui sur la faiblesse du système politique, du système judiciaire et des institutions. La fragilité et la faiblesse socio-institutionnelles qui fournissent le terrain favorable aux activités de cette hydre font écho aux rares possibilités offertes par le système social, son iniquité et ses ressources limitées, à la fois quantitativement et qualitativement, des ressources qu’il faudrait mobiliser pour allouer un appui aux quelques tentatives d’améliorer les potentialités du système.
Andrés Alsina