Dans son premier discours après son élection à la présidence du Brésil le 28 octobre 2018, Jair Bolsonaro a cité plusieurs fois Dieu et a déclaré : « Notre slogan est allé chercher dans ce que beaucoup appellent une boîte à outils pour réparer l’homme et la femme ; cette boîte à outils est la Sainte Bible. Nous avons été dans l’Evangile de Saint Jean (8:32) où il est dit : “vous connaîtrez la vérité et la vérité rendra libres”. »
Bien qu’il se soit déclaré catholique, le 12 mai 2016, Bolsonaro s’est laissé baptiser dans les eaux du Jourdain (où la Bible dit que Jésus aurait été baptisé). La cérémonie de baptême a été présidée par le pasteur Everaldo, président du Parti social chrétien (PSC). Le côté incontestablement évangélique de la famille vient de la première dame, Michelle de Paula Firma Reinaldo Bolsonaro (âgée de 38 ans) – c’est la troisième femme de Bolsonaro – qui fréquente régulièrement les temples évangéliques et est accompagnée de son mari.
En cas de doute sur la foi du nouveau président brésilien, les résultats des élections ne laissent aucun doute sur le fait que Jair Bolsonaro a été élu, fondamentalement, avec le vote évangélique, compte tenu de la variable religieuse.
Au deuxième tour, il y avait 104,8 millions de votes valides (sans les nuls et les blancs), avec pour Jair Bolsonaro 57,8 millions (55,13%) et pour Fernando Haddad 47,0 millions (44,87%). La différence était de 10,76 millions de voix.
L’enquête de Datafolha du 25 octobre a révélé une intention de voter à 56% pour Bolsonaro et 44% pour Haddad (chiffres très proches du résultat réel). Cette recherche a également donné l’intention de voter, selon les préférences électorales des diverses confessions religieuses. En appliquant les pourcentages trouvés dans l’enquête au nombre de votes valides (104,8 millions de votes), nous pouvons estimer le nombre d’électeurs par segment religieux, comme indiqué dans le tableau ci-dessous.
Dans la première colonne du tableau ci-dessous, le poids de chaque groupe religieux estimé dans l’échantillon de l’enquête Datafolha : 56% pour les catholiques, 30% pour les évangéliques, 7% pour les non-religieux, 1% pour les athées et les agnostiques, etc. Dans la deuxième colonne, vous trouverez le nombre d’électeurs pour chaque confession religieuse (ou non religieuse) en fonction des informations de la colonne précédente appliquée au nombre de votes valides. Les colonnes 3 et 4 indiquent les pourcentages de l’intention de vote, en tenant compte de la variable religieuse, pour les deux candidats. Les colonnes 5 et 6 indiquent le nombre de votes pour chaque candidat, en tenant compte des intentions de vote de l’enquête Datafolha appliquée à l’ensemble des votes valides.
Il est à noter que Bolsonaro a peu gagné parmi les catholiques (il y avait pratiquement une situation de pat, une égalité) et également parmi les spirites [qui invoquent une relation avec des esprits, avec des morts : de spiritisme] et les autres religions (mais sans une différence aussi significative dans le nombre de voix). Haddad a gagné parmi les religions afro-brésiliennes, parmi les personnes qui se professaient sans religion et parmi les athées et les agnostiques (mais aussi sans différence significative dans le nombre de voix). Ce qui a fait la différence, c’est le poids du vote évangélique, puisque l’estimation indique que Bolsonaro compte plus de 11 millions de voix par rapport à Haddad dans l’électorat évangélique, dans toutes ses multiples dénominations [3].
Les chiffres ci-dessus ont été calculés à partir de l’intention de vote de 56% contre 44%, mais le résultat final du 28 octobre indiquait 55,13% pour Bolsonaro et 44,87% pour Haddad. De cette manière, le tableau ci-dessous cherche à corriger les données du tableau précédent, à partir des résultats obtenus lors du second tour. Notez que le total des résultats est très proche des chiffres finaux (les écarts ne sont pas significatifs). Sans aucun doute, la différence positive que Bolsonaro a obtenue parmi l’électorat évangélique était suffisante pour compenser les défaites par rapport aux religions afro-brésiliennes, aux non-religieux et aux athées et agnostiques. Les 11,6 millions de suffrages que Bolsonaro a obtenus de plus que Haddad parmi les évangéliques étaient supérieurs à la différence totale enregistrée entre les deux candidats dans le résultat final (10,76 millions).
Ainsi, il ne fait aucun doute que le vote évangélique a été fondamental pour l’élection de Jair Bolsonaro. Bien que ne composant qu’un tiers de l’électorat, les dirigeants évangéliques sont très actifs en politique et récoltent les fruits d’années d’activisme religieux au sein de la société.
Comme le montrent Alves et al. [4], le Brésil connaît une transition religieuse majeure. En 1950, les catholiques représentaient 93,5% de la population et les évangéliques seulement 3,4%. Mais au cours des sept dernières décennies, le pourcentage de personnes se déclarant catholiques a diminué rapidement et a atteint 64,6% en 2010. Parallèlement, les évangéliques (traditionnels et néo-évangéliques, les « born again ») ont augmenté pour atteindre 22,2% en 2010. Ont aussi augmenté les autres religions (comme les spirites, etc.) et le pourcentage de personnes qui se déclarent sans religion.
Par conséquent, la transition religieuse brésilienne se caractérise par une modification du rapport de forces entre les deux groupes les plus importants (avec le déclin des catholiques et la montée des évangéliques) et par une pluralité religieuse plus marquée, notamment par une augmentation significative du nombre de personnes qui se considèrent sans religion.
Cette transition religieuse se produit de manière différenciée entre les régions : le Nord, le Sud-Est et le Centre-Ouest sont les régions les plus avancées dans le changement de corrélation des forces entre catholiques et évangéliques et qui présentent la plus grande pluralité religieuse. Le Nord-Est est la région qui compte la plus grande proportion de catholiques et la plus petite pluralité. La région du sud se trouve dans une situation intermédiaire entre le nord-est et le sud-est de la transition. Bien entendu, ces changements religieux ont un impact sur les résultats des élections.
Pour tester la relation entre transition religieuse et vote au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2018, le graphique ci-après présente le rapport entre le ratio des taux de vote valides dans Bolsonaro et Haddad (RBH) et le ratio entre le nombre d’évangéliques et le nombre de catholiques (REC), pour tous les Etats de la République fédérale du Brésil, selon les données du recensement démographique de 2010 (qui sont les dernières données disponibles de l’IBGE – Institut brésilien de géographie et de statistique). Autrement dit, le tableau teste si l’avance évangélique dans les Etats [liste des Etats avec leur acronyme] est corrélée à une plus grande proportion de votes pour Bolsonaro et si la plus grande présence catholique est corrélée à une plus grande proportion de voix en faveur d’Haddad.
Comme le montre la courbe exponentielle rouge du graphique, il existe une relation positive entre l’avancée de la transition religieuse et le vote de Jair Bolsonaro (avec un R2 de 52%). De toute évidence, la variable religion n’est pas la seule à expliquer le résultat électoral de 2018, mais elle avait un poids fondamental.
On peut noter sur le graphique que les quatre Etats [5] les plus avancés de la transition religieuse (Rondônia, Roraima, Acre et Rio de Janeiro) ont donné une victoire retentissante au candidat du Parti social-libéral. Les Etats du Nordeste (qui ont la plus faible proportion d’évangéliques) ont donné une victoire significative au candidat PT. Le petit Etat du Piauí, qui a le plus faible REC (catholiques), est celui qui a donné la plus grande proportion de voix à Haddad (RBH pourtant inférieur). Mais comme la religion n’explique pas tout, le cas de Santa Catarina montre que la deuxième plus forte proportion de votes pour Bolsonaro (taux élevé de RBH) s’est produite dans un Etat où la présence évangélique est faible (faible ratio de catholiques – REC).
Jair Bolsonaro lors du culte dans le temple de l’Assemblée de Dieu (Asemmbleia de Deus), avec le pasteur très connu : Silas Malafaia
En bref, le vote évangélique a été décisif lors de l’élection présidentielle de 2 018. En raison de l’égalité distributive du vote au sein de la population catholique, la grande victoire de Bolsonaro parmi les évangéliques (plus de 11 millions de voix) a été suffisante pour assurer un avantage d’un peu moins de 11 millions de voix (les 10,76 mentionnés) lors du deuxième tour du 28 octobre.
L’avancée des évangéliques dans la société est un processus connu. L’avancée des évangéliques en politique (comme dans le Front parlementaire évangélique) est également un processus connu. Ce qui pourrait être considéré comme une surprise, c’est l’anticipation de l’arrivée des évangéliques au palais présidentiel (Planalto) et l’ampleur de la victoire en 2018. Les évangéliques sont sans aucun doute devenus une force politique décisive.
Il reste à voir si cela deviendra soit un vecteur d’avancée de l’entreprenariat et de réduction de la pauvreté (comme le prêche « la théologie de la prospérité » des évangéliques), soit un vecteur de conservatisme comportemental et de restriction des libertés démocratiques, comme le confirme l’orientation du capitaine Jair Messias Bolsonaro.
Le monde fonctionne par « cycles ». Le cycle actuel, du moins à court et à moyen terme, tend à favoriser l’influence évangélique au Brésil.
José Eustáquio Diniz Alves