L’objectif de la guerre commerciale engagée par l’administration Trump contre Pékin n’est pas défini clairement, mais il ressort des accusations formulées à l’encontre de la Chine, accusée de « ne pas jouer le jeu » et de recourir à des méthodes déloyales. Cet objectif consiste à forcer la Chine à adopter les règles d’une économie de marché classique.
Au niveau du diagnostic, la position américaine est justifiée. Passée la propagande, la Chine n’est effectivement pas une économie de marché classique. La dichotomie que l’on trouve dans le discours officiel de Pékin l’atteste : tandis que la Chine réclame sur la scène internationale sa reconnaissance comme économie de marché, le discours domestique ne cesse de rappeler que le pays évolue dans le cadre d’une « économie de marché socialiste », qui est son modèle officiel et qui implique de nombreuses distorsions des règles de l’économie de marché.
Pour autant, ce constat amène quelques remarques. La première, c’est que la Chine n’est pas la seule à « tricher » par rapport à l’économie de marché. Son adversaire d’aujourd’hui, en l’occurrence, le fait régulièrement. Quand Washington nationalise temporairement son plus important constructeur automobile pour éviter sa faillite (GM en 2009), fait reprendre un appel d’offres militaire qui a échappé à son principal constructeur aéronautique (Boeing face à Airbus en 2010) ou exerce des pressions pour favoriser une acquisition à l’étranger (GE-Alstom en 2014), les Etats-Unis pratiquent ce qu’ils reprochent à la Chine.
Réalité brutale
La différence réside, bien sûr, dans le fait que la Chine recourt à ce type de distorsions de manière beaucoup plus systématique. Mais il y a une raison fondamentale à cela. Là où l’administration Trump perçoit une volonté chinoise de maximiser ses profits, il y a en fait une question de survie pour Pékin. La réalité brutale, que les deux parties cherchent à cacher (à Pékin) ou à ne pas voir (à Washington), c’est que si la Chine se convertissait pleinement à l’économie de marché classique, elle s’effondrerait en quelques mois.
L’« économie de marché socialiste » repose sur un système complexe et fragile, dans lequel les banques soutiennent à bout de bras des entreprises industrielles inscrites dans une projection à moyen terme. Soumettre les unes et les autres aux contraintes du court terme propres à l’économie de marché classique reviendrait à précipiter l’effondrement de l’ensemble.
La réalité est donc que, quelles que soient les pressions de ses partenaires étrangers, la Chine ne se convertira pas entièrement à l’économie de marché, pour des raisons vitales. L’objectif fondamental de la guerre commerciale engagée par Washington est ainsi inatteignable. Reste, dès lors, pour les Etats-Unis, la vision sous-tendant le mot d’ordre « America First », selon laquelle la Chine n’a qu’à gérer ses problèmes, et la priorité est de protéger le marché américain.
Entreprises fragilisées
Mais cette vision semble faire l’économie d’une donnée majeure : dans un monde dont la mondialisation a été menée par les entreprises américaines, les priver de l’accès au marché chinois constituera un rude coup à leur compétitivité. La Chine est le deuxième marché, derrière les Etats-Unis, de General Electric comme de Boeing ; et le premier de General Motors. Ces moteurs de l’économie américaine, et bien d’autres, seront radicalement fragilisés si l’escalade se poursuit et les atteint.
Il n’y a donc pas de scénario gagnant/perdant à la guerre commerciale engagée par Washington. Il n’y a qu’un scénario perdant/perdant. La Chine souffrira plus rapidement ; mais le système même que les Etats-Unis voudraient la contraindre à abandonner lui donne une chance de gérer la crise. Les Etats-Unis souffriront dans un deuxième temps ; et il leur sera plus difficile de compenser l’impact sur leurs fleurons industriels, alors que l’Etat est censé coûter moins cher au contribuable américain.
Les prochaines semaines montreront si le stade atteint aujourd’hui correspondait à une épreuve de force pour engager des négociations en position de force ou si le scénario d’une guerre commerciale totale (avec une taxation intégrale des échanges bilatéraux) est atteint. Dans ce dernier cas, la victoire de Donald Trump risque de ressembler à terme à celle de Pyrrhus.
Jean-François Dufour (directeur de DCA Chine-Analyse)