Tara Fares était un peu trop libre dans un Irak pétri de conservatisme. L’ancienne reine de beauté de 22 ans, adulée par plus de deux millions de fans sur Instagram, postait régulièrement des photos d’elle dans des tenues légères, dévoilant ses atouts et ses tatouages. Jeudi 27 septembre, alors qu’elle circulait dans le centre-ville de Bagdad au volant de sa Porsche décapotable en fin d’après-midi, la jeune femme a été abattue froidement de trois balles dans la tête et la poitrine. Les deux assaillants, filmés par les caméras de la ville, ont pris la fuite en scooter.
Dernier en date d’une série d’assassinats de femmes, ce crime a profondément choqué en Irak, même s’il n’a pas surpris. Les violences à l’encontre de personnes jugées immorales au regard du conservatisme religieux ambiant sont un phénomène récurrent.
Nombreux y voient la main de milices chiites, toujours plus puissantes et promptes à faire appliquer leur loi. Le premier ministre Haïder Al-Abadi a estimé, dans un communiqué vendredi soir, que « ces assassinats donnent l’impression d’un plan organisé de groupes désireux de perturber la sécurité au prétexte de combattre les manifestations de déviance et de les présenter comme des cas isolés, ce qui ne semble pas être le cas ».
« Nous ne sommes que des otages »
Le chef du gouvernement a donné quarante-huit heures aux forces de l’ordre pour identifier les responsables des assassinats et kidnappings survenus récemment à Bagdad et à Bassora.
Tara Fares est la quatrième femme a être assassinée cette année. Rasha Al-Hasan et Rafif Yasiri, propriétaires de salons de beauté à Bagdad, ont été retrouvées mortes en août. Mardi, Souad Al-Ali, une militante des droits de l’homme de Bassora, active au sein de la contestation sociale qui agite la ville du sud du pays depuis l’été, a été tuée par balles en plein jour, dans une rue fréquentée.
Tara Fares, qui avait choisi de vivre à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, se savait la cible des conservateurs religieux. En juillet, elle écrivait : « Je n’ai pas peur de ceux qui rejettent l’existence de Dieu. Ce qui me fait vraiment peur, sont ceux qui tuent et massacrent au nom de leur foi pour prouver l’existence de Dieu. »
Sur les réseaux sociaux, de jeunes fans et des voix progressistes ont érigé sa mort en symbole de « la discrimination, du manque de libertés et de droits » en Irak. Beaucoup ont dénoncé les expressions haineuses révélatrices d’une misogynie bien ancrée dans la société, illustrée par exemple par le tweet d’un présentateur de la télévision nationale décrivant Tara Fares comme « une pute qui méritait d’être tuée ».
Ces assassinats ravivent aussi le spectre des heures sombres de la guerre civile et du règne des milices. « Celui qui détient les armes détient le pays, a déploré le célèbre écrivain irakien Ahmed Saadawi. Nous ne sommes que des otages, pas des citoyens. La conscience collective populiste va faire ce qui est nécessaire, comme à chaque fois, et faire le procès qui légitimera ce meurtre. Ce rôle a été joué pendant la guerre civile et dans toutes les catastrophes qui sont survenues. »
Face-à-face tendu
La montée en puissance des milices chiites soutenues par l’Iran à la faveur de la guerre contre l’organisation Etat islamique (EI) attise les craintes d’une nouvelle détérioration sécuritaire. Avec la fin de la guerre et la démobilisation, ces milices et leurs milliers de volontaires renforcent leur emprise jusqu’au sommet de l’Etat. Leurs chefs, réunis dans une coalition électorale arrivée en seconde position aux législatives du 12 mai, sont amenés à jouer un rôle majeur au sein du futur gouvernement.
Bassora est déjà le théâtre depuis l’été d’un face-à-face tendu entre les milliers de contestataires qui dénoncent l’absence de services et la corruption, et les milices chiites et les partis qui y sont affiliés.
Début septembre, des manifestants ont incendié leurs sièges et le consulat iranien. Depuis, les campagnes d’intimidation se multiplient. Rares sont ceux qui donnent ainsi crédit à la version de la police, qui impute l’assassinat de la militante Souad Al-Ali à son ex-mari.
Les tensions sont montées d’un cran, vendredi, après une nouvelle attaque à la roquette contre le consulat américain, accusé par les milices chiites de soutenir les contestataires. Dans la soirée, le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, a décidé le « départ ordonné » de tout le personnel américain de Bassora, invoquant des menaces répétées de la part de l’Iran et de ses « intermédiaires » en Irak.
Hélène Sallon
• LE MONDE | 29.09.2018 à 10h29 • Mis à jour le 01.10.2018 à 12h44 :
https://abonnes.lemonde.fr/moyen-orient-irak/article/2018/09/29/serie-d-assassinats-de-femmes-en-irak_5362061_1667109.html
Émoi en Irak après l’assassinat d’une célèbre instagrammeuse à Bagdad
La jeune femme de 22 ans, qui comptait quelque 2,7 milllions d’abonnés, a payé le prix fort pour avoir « choisi la vie », comme elle le disait.
Sa dernière photo datait du 13 septembre. Elle y apparaissait dans la nuit, vêtue d’une combinaison bustier à rayures, enroulée dans un néon violet d’où s’échappait deux ailes vertes, et une couronne blanche. « Je perds mes ailes », écrivait Tara Farès, 22 ans, récoltant plus de 100 000 « likes » pour son cliché.
La jeune femme, qui affichait sa vie et sa féminité sur le réseau social Instagram depuis plusieurs années et comptait quelque 2,7 milllions d’abonnés, a payé le prix fort pour avoir « choisi la vie », comme elle le disait. Jeudi 27 septembre à Camp Sarah, un quartier du centre de Bagdad, Tara Farès à été atteinte de « trois tirs mortels », selon le ministère de l’intérieur.
Depuis, l’assassinat du mannequin irakien a provoqué l’émoi dans le pays. Le ministère a annoncé l’ouverture d’une enquête pour identifier le ou les auteurs des tirs sur cette star des réseaux sociaux alors qu’elle conduisait sa Porsche blanche décapotable aux fauteuils rouges.
Punie pour son mode de vie
Pour les internautes, qui trouvent dans les réseaux sociaux un espace de liberté dans un pays conservateur, la jeune femme de 22 ans a été punie pour son mode de vie, détonant en Irak. La blogueuse, qui voyageait souvent et se signalait rarement à Bagdad où elle est née, postait régulièrement sur Instagram des photos d’elle, blonde, rousse ou brune selon les périodes. Sur ces clichés, elle y exhibait aussi ses tatouages, manucures et tenues exubérantes, qui ne manquaient pas de provoquer le débat.
« Celui qui trouve une excuse à ceux qui tuent une fille uniquement parce qu’elle a décidé de vivre comme la plupart des filles de la planète est complice de son meurtre », a écrit en réaction Ahmad al-Basheer, satiriste exilé en Jordanie dont l’émission qui tourne en dérision la politique irakienne est très suivie et lui a valu des menaces de mort.
Mercredi soir, la mission de l’ONU en Irak (Unami) s’était également alarmée de la mort –par balles aussi – d’une autre femme célèbre, la militante des droits de l’homme Souad al-Ali, à Bassora. La police a affirmé que cette Irakienne de 46 ans avait été assassinée par son ex-mari pour un différend familial. L’Unami a toutefois rappelé « condamner tout acte de violence, en particulier contre les femmes, dont le meurtre, les menaces et l’intimidation, comme des actes totalement inacceptables ».
Le Monde
• LE MONDE | 29.09.2018 à 17h32 • Mis à jour le 29.09.2018 à 18h42 :
https://abonnes.lemonde.fr/moyen-orient-irak/article/2018/09/29/emoi-en-irak-apres-l-assassinat-d-une-celebre-instagrammeuse-a-bagdad_5362180_1667109.html