Une vague de jeunes politiciens et militants brave les dinosaures de la politique dans une bonne partie de l’Afrique, illustrant les mutations profondes que traverse le continent et qui devraient bouleverser la vie de centaines de millions de personnes.
Les représentants de cette classe politique montante ont entre 30 et 40 ans et se souviennent à peine de la guerre froide [affrontement entre les États-Unis et l’URSS lors de la seconde moitié du XXe siècle] ou des conflits qui ont amené bon nombre d’autocrates ou de partis au pouvoir en Afrique.
“Extrêmement enthousiasmant”
Souvent citadins et diplômés, ils sont à la jonction de bouleversements qui, selon les experts, pourraient doper la démocratie en Afrique dans les décennies à venir.
Analyste à Johannesburg, en Afrique du Sud, William Gumede commente :
C’est extrêmement enthousiasmant… toute la question est de savoir comment tirer parti du phénomène, comment soutenir ces jeunes leaders ?”
La nouvelle génération se heurte à la résistance obstinée de ceux qui tiennent encore les commandes, qui ont parfois deux fois leur âge et qui bénéficient du soutien de mouvements politiques au pouvoir depuis des décennies, de forces armées largement dotées, de services de sécurité implacables et de réseaux clientélistes solidement établis qui accaparent une bonne partie des ressources du pays.
Ouganda, Rwanda, Zimbabwe, Afrique du Sud…
Jeudi [20 septembre], Bobi Wine, 36 ans, ancienne vedette du reggae et député de l’opposition, est rentré en Ouganda sous les vivats de milliers de sympathisants, à Kampala, la capitale.
De son vrai nom Robert Kyagulanyi Ssentamu, Wine était aux États-Unis, où il était soigné pour des blessures infligées pendant sa détention, au mois d’août. Il a promis de pousser vers la sortie le président du pays. Yoweri Museveni, 74 ans, est au pouvoir depuis 1986. Wine avait alors 4 ans.
En début de semaine, Wine a confié au Guardian qu’il entendait prouver que “le pouvoir du peuple est plus fort que le pouvoir. Il y a 40 millions de personnes qui ont soif d’espoir, et je serai au rendez-vous, quoi qu’il arrive”, a-t-il affirmé.
Au Rwanda, le règne autocratique de Paul Kagame, 60 ans, s’est vu contester l’année dernière par Diane Rwigara, une comptable de 38 ans, qui se trouve aujourd’hui derrière les barreaux.
“Individus immatures”
Au Zimbabwe, le nouveau président se nomme Emmerson Mnangagwa. À 76 ans, il a pris le pouvoir après l’éviction par l’armée de Robert Mugabe, 94 ans, l’année dernière. Le 30 juillet, Mnangagwa a battu d’un cheveu Nelson Chamisa, 41 ans, chef de file du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), à l’issue d’une élection à couteaux tirés.
Pendant la campagne, Chamisa a confié au Guardian qu’il était la voix de la jeunesse zimbabwéenne et qu’il était temps que les vieux dirigeants du pays passent la main.
La semaine dernière, des responsables de la Zanu-PF, le parti au pouvoir au Zimbabwe, ont proposé de relever l’âge minimum légal des candidats à la présidentielle – actuellement fixé à 40 ans – afin d’empêcher des “individus immatures” d’accéder aux responsabilités.
“Les sociétés africaines restent très patriarcales… mais la population est jeune, et il y a un fossé sur le plan politique, culturel et traditionnel”, observe Gumede. Ce dernier est directeur de Democracy Works, un groupe de réflexion sud-africain actif dans toute la région pour pousser les jeunes à envisager une candidature à la présidentielle.
62 ans, l’âge moyen des dirigeants en Afrique
L’âge médian au Zimbabwe se situe autour de 20 ans, soit juste au-dessus de l’âge médian en Afrique. En Ouganda, 70 % de la population a moins de 24 ans. Abiy Ahmed, ancien militaire et cadre technique de 41 ans, aujourd’hui Premier ministre d’Ethiopie, fait figure d’exception. L’âge moyen des dirigeants africains est de 62 ans. Le continent le plus jeune a donc les gouvernants les plus âgés.
Parmi eux, Paul Biya, 85 ans, qui est au pouvoir au Cameroun depuis trente-cinq ans, Teodoro Obiang, 75 ans, qui gouverne la Guinée-Équatoriale depuis 1979, et Abdelaziz Bouteflika, 81 ans, qui, quoique cloué dans un fauteuil roulant depuis un accident vasculaire cérébral (AVC) voilà cinq ans, pourrait bien briguer un cinquième mandat à la tête de l’Algérie l’année prochaine.
L’Afrique du Sud, le pays le plus industrialisé d’Afrique, ira également voter en 2019. L’actuel président, Cyril Ramaphosa, 65 ans, espère décrocher un nouveau mandat pour le Congrès national africain (ANC), au pouvoir depuis 1994.
10 millions d’électeurs sud-africains ont moins de 30 ans
Plus de 10 millions d’électeurs inscrits – soit un quart environ de l’électorat – auront moins de 30 ans et seront donc trop jeunes pour se souvenir de la lutte de l’ANC contre le régime de l’apartheid [pouvoir ségrégationniste de la minorité blanche en Afrique du Sud, 1948-1991].
D’après les analystes, cela devrait changer fondamentalement la donne politique dans le pays. Les deux principaux partis de l’opposition, l’Alliance démocratique (DA), de centre droit, et les Combattants pour la liberté économique (EFF), à l’extrême gauche, sont respectivement pilotés par Mmusi Maimane, 38 ans, et Julius Malema, 37 ans.
Tous deux sont capables de tirer parti de la grogne des jeunes, un vivier d’électeurs considérable mais encore largement inexploité”, observe le “Mail & Guardian”, un journal local.
Le risque de la récupération
Nic Cheeseman, professeur de démocratie à l’université anglaise de Birmingham, rappelle toutefois que beaucoup de jeunes loups en politique finissent par atterrir dans les rangs des partis et des régimes qu’ils ont combattus par le passé.
On s’enflamme toujours pour la jeunesse parce qu’elle représente la nouveauté et parce qu’on sait que les pays d’Afrique sont très jeunes et qu’ils vont le rester… mais les études montrent que les jeunes révolutionnaires finissent souvent ministres de quelque chose. Ils se font récupérer”, tempère Nic Cheeseman.
En république démocratique du Congo (RDC), où près des deux tiers du pays ont moins de 25 ans, les associations de la société civile comme Lucha [Lutte pour le changement] font campagne en faveur d’une réforme de fond en comble d’un système politique sclérosé.
La vieille garde a besoin de sang neuf, donc elle récupère les jeunes. Le défi, c’est de trouver sa propre identité et d’échapper au piège de l’opportunisme. Comment préserver son intégrité morale ?” analyse Sylvain Saluseke, militant chevronné de Lucha.
“La clé, c’est l’urbanisation”
Les jeunes leaders ne sont pas à l’abri de la tentation du gain matériel par des voies illégales, ni du populisme. Loin de là. Au Zimbabwe, Chamisa a été accusé à maintes reprises de faire des promesses intenables à des fins électoralistes. En Ouganda, Bobi Wine a souvent été taxé d’homophobie.
Beaucoup de dirigeants et de partis de la vieille école trouvent toujours un soutien massif dans les régions rurales que l’État tient encore fermement sous sa coupe, même si plus de la moitié de la population africaine devrait vivre en ville d’ici trente ans.
La jeunesse à elle seule ne suffit pas à provoquer une mutation profonde du système, prévient Cheeseman.
La clé, c’est l’urbanisation. Le vrai fossé se situe entre la ville et la campagne, pas entre les jeunes et les vieux. Quand la majorité des électeurs du pays seront en ville… cela chamboulera totalement les partis et la politique de l’opposition.”
Jason Burke
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