La question initiale à laquelle Wagenknecht , Lafontaine et d’autres veulent répondre est correcte : comment DIE LINKE peut-il bénéficier davantage de l’ érosion du SPD et empêcher l’AfD de grossir ? Mais la réponse qu’ils apportent est fausse.
À la mi-mai, un projet de texte d’appel pour un nouveau rassemblement politique, rédigé par Oskar Lafontaine, a été rendu public. Le texte est intitulé « Pour un pays juste et équitable » et est accompagné du mot-dièse #fairLand. Sahra Wagenknecht et d’autres voulu lancer l’initiative — avec un appel et des soutiens éminents — avant les vacances d’été. Maintenant, il a été annoncé que le lancement serait reporté au début du mois de septembre et que l’étiquette #fairLand serait abandonnée. L’orientation politique n’a pas été modifiée.
Le projet actuel de déclaration fondatrice constitue un recul par rapport au programme de Die Linke. Ce n’est pas un hasard, car Lafontaine et d’autres pensent que le programme de Die Linke est un obstacle pour gagner une majorité — en particulier dans des questions telles que la politique des réfugiés ou l’intégration. Nous ne partageons pas cette analyse.
Aucun mot sur la montée de l’AfD
Une faiblesse centrale est que la déclaration est muette sur la lutte contre le racisme et la montée de l’AfD. La montée de la droite et la progression du racisme ne sont pas reflétées dans le texte. L’AfD n’est mentionnée nulle part. Un Rassemblement qui reste muet sur le racisme et qui ne lie pas la perspective sociale à la lutte active contre le racisme ne répond pas aux exigences du débat politique.
L’AfD ne peut être affaiblie que si l’on dénonce le racisme et qu’on entre dans une confrontation ouverte. La gauche ne peut pas esquiver ce point névralgique en se cantonnant aux thèmes de la « paix » et du « néolibéralisme » — par ailleurs mentionnés à juste titre – tout en gardant le silence sur le reste. Traiter de questions mises en avant par l’AfD et certaines parties des médias comme étant des « préoccupations légitimes » n’aide pas non plus. Cela ne fera que renforcer l’AfD et les peurs et les préjugés qu’elle attise. Nous devons nous opposer frontalement à son discours : Non, notre problème n’est pas que Merkel a laissé trop de réfugiés entrer dans le pays. Non, les musulman·e·s ne menacent pas la cohésion sociale, etc.
Les ressentiments contre l’Islam et les thématiques sécuritaires
Les préjugés désormais largement répandus à l’encontre des musulmans ne sont pas du tout mentionnés dans le texte #fairLand. Au lieu de cela, les ressentiments contre l’Islam y sont reproduits : Si le monde politique reste spectateur alors que des prêcheurs de haine de l’islam radicalisé donnent une vision du monde à des enfants de 5 ans qui rend l’intégration impossible, le climat social est empoisonné. » Ce discours ne contre pas les distorsions et les peurs, il les renforce. De plus, il s’oppose à l’analyse de Die Linke jusqu’à présent : le manque d’intégration est une expression de l’exclusion sociale, politique et culturelle, de la discrimination et du racisme. Nous disons que les coupables sont les dirigeants politiques, pas les migrants et les musulmans qui sont victimes de discrimination.
L’approche du concept de « sécurité » est également problématique. Le centre d’attention de Die Linke devrait être la sécurité sociale et l’attention portée aux causes de la criminalité. Le texte #fairLand appelle au contraire à « plus de personnel et de meilleurs équipements pour la police et la justice ». Quiconque parle de plus de policiers ne devrait pas garder le silence sur la loi sur les tâches de la police . Un mouvement de gauche en ce moment doit s’opposer à l’expansion grotesque des pouvoirs exécutifs. L’État bourgeois n’est ni neutre ni statique, il réagit par un virage autoritaire à la crise de la légitimité politique.
L’anticapitalisme spongieux, la fausse politique pour la paix et l’environnement
Une autre faiblesse est l’anticapitalisme spongieux et les termes mal définis qui sont en réalité des obstacles à une politique de gauche. Le capitalisme en tant que système fondé sur l’exploitation, la concurrence et le profit n’est pas considéré comme le problème central, ce sont les grandes entreprises qui opèrent à l’international, les hedge funds et les banques qui agissent de manière immorale. Les perspectives de résistance sont affaiblies lorsque les illusions envers des entrepreneurs soi-disant plus justes sont alimentées comme s’ils pouvaient être nos interlocuteurs pour le changement social.
En ce qui concerne la politique de paix, le document propose une mauvaise orientation en mettant, en opposition aux Etats-Unis, les « intérêts européens au centre ». C’est une mauvaise orientation, car elle correspond aux intérêts impérialistes actuels de l’Allemagne et de la France, consistant à établir une capacité indépendante des banques et des entreprises dans la compétition mondiale en construisant une armée de défense de l’UE. Die Linke doit être très claire sur cette question.
En ce qui concerne l’environnement, il y a un grand écart dans le document. Il y a le slogan « économie soutenable », mais aucune réponse n’est donnée sur la question par exemple de la réduction du CO2 en rapport avec la question climatique . Des revendications telles que l’élimination progressive de la lignite ou l’expansion des transports publics ne sont pas mentionnées. C’est un recul par rapport aux positions socio-écologiques de Die Linke et constitue une restriction paresseuse des tâches politiques (ou politiciennes) pour une politique progressiste.
Aucune relation avec les luttes réelles
Enfin, il faut le noter : #fairLand n’est pas un rassemblement de mouvements — le texte ne se réfère nulle part à des luttes concrètes. C’est une grosse faiblesse stratégique. Nous ne réalisons pas le changement social d’abord et avant tout par des interventions intelligentes de célébrités dans des talk-shows ou dans des assemblées parlementaires, mais bien plutôt par des mobilisations dans la rue et dans les entreprises. La question clé pour Die Linke doit être la conquête de leur autonomie par les exploité.e.s et des opprimé.e.s — les formes d’organisation de gauche doivent prendre en compte cette préoccupation.
L’initiative de Wagenknecht et Lafontaine ne correspond pas à l’objectif juste de renforcer la gauche sociale, même au-delà du parti Die Linke. Le fait que les initiateurs (qui sont toujours à la tête du groupe parlementaire de Die Linke au Bundestag ainsi qu’au parlement du Land de Sarre) n’aient pas fait part de leur idée dans le parti pour qu’elle soit discutée est une erreur. A présent, elle peut créer une scission dans Die Linke. Le lancement prévu en septembre est catastrophique, il rendrait un mauvais service à Die Linke avant les élections en Bavière et en Hesse. Nous espérons que l’initiative sera abandonnée.
Travaillons dans Die Linke aussi bien qu’à l’extérieur pour créer des alliances sociales dans lesquelles les gens eux-mêmes deviennent actifs dans leurs propres intérêts. Que les travailleurs en CDI, en CDD, les intérimaires et vacataires se battent pour la fin du travail précaire, que les hommes travailleurs qualifiés se battent avec leurs collègues femmes pour l’égalité des droits et des salaires, que les travailleurs.se.s allemand.e.s considèrent les réfugié·e·s comme des collègues avec qui lutter ensemble pour de bonnes conditions de travail et un salaire minimum qui permette de vivre. Luttons ensemble contre l’AfD. C’est à une politique de classe solidaire et unificatrice qu’il faut gagner les gens.
Christine Buchholz, Hubertus Zdebel et Nicole Gohlke