Dernier des grands « fleuves libres », « fleuve vivant », « fleuve de l’amitié, de la coopération et de la prospérité »… les éloges ne manquent pas pour qualifier le 11e fleuve du monde avec ses 4 300 km de long, son dénivelé de 5 216 m, son débit moyen (avant travaux) de 15 000 m3/s, et surtout ses 60 à 90 millions d’habitants qui en dépendent, plus ou moins directement, pour vivre. Au total, il constitue un bassin de 795 000 km2, soit la surface du Pakistan !
« Le Mékong était jusqu’à récemment le dernier des grands fleuves libres du monde, plusieurs décennies de conflits géopolitiques ayant empêché la construction de barrages ou autres grands aménagements. Cette époque est malheureusement révolue, et les travaux engagés par la Chine, et à sa suite par les pays d’aval, menacent la qualité des eaux du fleuve et la sécurité alimentaire des populations », résume Olivier Petitjean sur le site Internet Partage des eaux [1].
En effet, les trente-cinq années de paix permettent la construction de barrages et la destruction des rapides visant à rendre le fleuve totalement navigable, mettant en péril la subsistance de dizaines de millions de personnes. Les premiers chantiers de barrages ont débuté dès 1992 sur la partie chinoise du Mékong. Depuis, six barrages ont été édifiés, dont en 2009 celui de Xiaowan dans le Yunnan haut de 292 m, deux sont en construction et deux autres en projets. Désireux eux aussi de se développer et de disposer d’énergie, les pays d’aval font de même. Sauf le Vietnam, le delta étant très plat. Des dizaines d’équipements pourraient ainsi être bâtis sur la partie aval du Mékong, transformant le fleuve en une succession de vastes réservoirs artificiels.
Riche de 40 000 variétés de riz
Les premiers éléments touchés sont les poissons, dauphins et lamantins, les nutriments restant bloqués en amont, le débit réduit, la pollution (pesticides, métaux lourds, nitrates) accrue du fait d’un faible écoulement, ainsi que le fameux renversement saisonnier du cours de la rivière reliant le lac Tonlé Sap (Cambodge) au Mékong. Or, durant ce phénomène, l’eau envahit des forêts où se reproduisent les adultes et naissent les deux tiers des poissons du Mékong. L’achèvement des barrages chinois aurait pour conséquence de réduire d’un quart le débit du fleuve en aval.
La riziculture est l’autre grand perdant : la région étant riche de 40 000 variétés de riz, et le delta du Mékong étant le « grenier à riz » du Vietnam. En outre, les gouvernements imposent des déplacements de population, comme récemment en Thaïlande.
Les six pays du Mékong sont pourtant censés se concerter équitablement. Des instances ont été créées pour cela : le Comité du Mékong (MRC) dès 1957 et relancé en 1995, mais avec une Chine et une Birmanie réduites au statut d’observateurs, pour œuvrer à un développement durable ; le Joint Committee on Coordination of Commercial Navigation (JCCCN), promu par les Chinois, pour superviser les travaux de navigabilité ; et enfin la Coopération Lancang-Mékong (CLM), créée en 2014, qui s’appuie sur un plan quinquennal (2018-2022) pour partager la gestion des eaux et atténuer la pauvreté susceptible de toucher des dizaines de millions de personnes.
Denis Sergent
• La Croix, le 17/07/2018 à 12h38. Mis à jour le 17/07/2018 à 17h51 :
https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Le-Mekong-fleuve-mal-partage-2018-07-17-1200955674