Le 1er novembre 2017, une réforme législative remettant radicalement en cause les droits des femmes a été présentée au Parlement irakien. Elle consiste en une série d’amendements apportés au Code du statut personnel (loi n° 188 de 1959) régissant les droits des femmes en matière de mariage, de divorce, d’héritage, etc. Cette proposition est révélatrice du contexte actuel, marqué par la montée en puissance de forces sociales et religieuses conservatrices et par une instabilité politique majeure. Elle représente une rupture avec le Code du statut personnel (CSP) irakien adopté en 1959 qui repose sur les jurisprudences religieuses sunnite et chiite. Le Code tel qu’il existe s’applique à tous les musulmans, sunnites et chiites, et permet donc les unions interconfessionnelles.
Les amendements proposés introduisent la possibilité de codes confessionnels tels que la « loi Jaafari » [1] dominante chez les chiites d’Irak, dans laquelle le mariage d’une jeune fille est permis dès qu’elle a atteint 9 ans, considéré comme âge de la maturité. Ainsi, il s’agirait d’une remise en question fondamentale de l’âge légal du mariage, fixé à 18 ans pour les deux sexes.
Cette réforme ouvre la possibilité d’un affaiblissement de l’autorité du juge désigné par l’État au profit des tribunaux religieux. Depuis 2003, l’approche transconfessionnelle et non religieuse des droits personnels est déjà affaiblie par les forces sociales et politiques qui régissent le pays. L’Irak est depuis l’invasion américaine dirigé par des partis islamistes chiites conservateurs, et la rue irakienne est dominée par des milices confessionnelles conservatrices qui s’imposent par la violence.
DES TENTATIVES RÉCURRENTES DEPUIS 2003
Dès les premiers mois de l’occupation par les Américains, des islamistes conservateurs chiites ont émis l’idée, lors d’une réunion du gouvernement intérimaire irakien en décembre 2003, de recomposer le CSP irakien sur une base communautaire, comme au Liban. Cette proposition — une première depuis l’instauration de la République irakienne le 14 juillet 1958 — était justifiée par Abdel Aziz Al-Hakim, leader du Haut Conseil islamique d’Irak, l’un des principaux partis islamistes chiites arrivé au pouvoir avec les forces américaines, comme une expression de la liberté de croyance qui, selon lui, avait été brimée sous l’ancien régime. Il s’agissait en réalité de l’affirmation du caractère chiite de l’identité irakienne, revendiquée par un groupe communautaire et politique ayant subi discriminations et répression violente de l’ancien régime. Le CSP — correspondant à la loi n° 188 élaborée en 1959, régissant les affaires privées (mariage, héritage, divorce, etc.) regroupant l’essentiel de la législation concernant les droits des femmes — ne serait plus appliqué de manière unifiée à tous les citoyens irakiens. Un code spécifique pour les chiites serait ajouté, offrant ainsi le droit à chaque communauté de réclamer son propre code.
La proposition du leader du Haut Conseil islamique d’Irak ne fut jamais mise en application, mais réitérée sous la forme de l’article 41 de la Constitution adoptée en 2005. Si cet article figure dans la nouvelle Constitution, il n’est pas encore mis en application et c’est toujours la loi n° 188 qui est appliquée. Plus récemment, dans le contexte des élections parlementaires, Al-Fadhila, autre parti islamiste chiite, a réitéré sa demande d’introduire un CSP exclusivement inspiré de la jurisprudence jaafarie.
Lorsqu’elle a été adoptée en 1959, la loi n° 188 représentait l’un des codes les plus progressistes de la région en matière de droit des femmes. Il avait été obtenu grâce à l’activisme des féministes irakiennes, notamment celles de la Ligue des femmes irakiennes (al-Rabitah), dont la figure emblématique, Nazihay Al-Dulaymi, grande militante communiste et première ministre femme arabe, avait participé à la rédaction. Le CSP accordait même une égalité partielle en matière d’héritage, ce qui était — et demeure encore — absolument inédit pour un code qu’une assemblée d’oulémas sunnites et chiites avaient contribué à élaborer conjointement avec les autorités irakiennes. La première République irakienne dirigée par Abdel Karim Kassem était née dans un contexte où la culture politique dominante était celle de la gauche anti-impérialiste irakienne, notamment du Parti communiste, dont les organisations de femmes étaient très actives. La remise en cause du CSP suggère donc une rupture avec cet héritage unificateur né de la lutte contre l’impérialisme britannique.
« AU NOM DE LA RELIGION NOUS AVONS ÉTÉ VOLÉS PAR DES CRIMINELS »
Les militantes des droits des femmes en Irak, comme l’Iraqi Women Network, l’Iraqi Women Journalists’ Forum et l’Organization of Women’s Freedom in Iraq ont dénoncé cette tentative de remise en cause du CSP par des partis qui ont tous en commun d’être conservateurs et communautaires. Elles considèrent que ce Code, bien qu’imparfait — il avait été réformé dans un sens plus régressif par le régime de Saddam Hussein dans les années 1990 — préserve l’unité des Irakiens en matière de droits personnels, notamment en permettant les mariages interconfessionnels. Et surtout, qu’il garantit une lecture relativement égalitaire des droits des femmes (divorce, âge du mariage et restriction de la polygamie). Plus généralement, la rue irakienne, ainsi que le clergé chiite s’opposent à une remise en question confessionnelle du CSP.
Nombreuses sont les militantes féministes qui ont participé au mouvement populaire de contestation du régime post-invasion lancé en 2015 par la société civile. Depuis la place Tahrir à Bagdad et s’étendant dans tout le pays, ce mouvement a remis en question la base ethnoconfessionnelle du système politique imposé par les Américains en 2003. Les manifestants ont dénoncé le confessionnalisme, le népotisme et la corruption structurelle du nouveau régime. À travers le slogan « Bis mil din Baguna al-haramyah » (« Au nom de la religion nous avons été volés par des criminels »), les militants de la société civile dénoncent l’instrumentalisation du religieux par l’élite au pouvoir et leur incompétence à répondre aux besoins fondamentaux de la population irakienne : la sécurité, l’accès à l’eau potable, l’électricité, et à résoudre la crise du chômage et du logement.
Les militantes pour les droits des femmes en Irak souhaitent obtenir plus de droits pour les femmes et non la remise en question de la législation existante. Elles insistent sur la nécessité du pouvoir civil, et articulent leur lutte pour l’égalité de genre à celle pour un État civil (dawla madaniyya). Pour elles l’égalité de genre s’imbrique avec l’égale citoyenneté de toutes et tous, musulmans sunnites et chiites, musulmans et chrétiens.
ZAHRA ALI