La plus grande compagnie low-cost européenne n’a jamais vu ça depuis le quart de siècle qu’elle existe : en pleine période de vacances, les pilotes en Allemagne, Suède, Irlande, Belgique et Pays-Bas ont décidé de cesser conjointement le travail pendant 24 heures. Sur 2 400 vols programmés, Ryanair a dû en supprimer 400, dont 250 en Allemagne où aucun décollage n’était assuré en début de matinée et où 42 000 passagers sont affectés sur un total de 55 000 en difficulté dans toute l’Europe.
Les pilotes se battent pour des hausses de salaires et l’amélioration de leurs conditions de travail ainsi que celles du personnel d’équipage, résume le quotidien de Zurich Neue Zürcher Zeitung. Mais après six mois de négociations pour mettre en place une convention collective, Ryanair ne veut conclure aucun accord qui mette en question son concept low-cost.
Une précarité injustifiée
Il y a deux semaines, rappelle la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ), les personnels d’équipage au Portugal, en Espagne et en Belgique avaient déjà fait grève, mais jusqu’ici seuls les pilotes en Irlande avaient cessé le travail. En s’y mettant à plusieurs pays, ceux-ci vont plus loin, y compris plus loin que les passagers qui se plaignaient des “surcoûts burlesques” de la compagnie low-cost : “ils poussent la société dans ses derniers retranchements”, souligne le quotidien conservateur de Francfort.
Ce conflit ne conduira pas pour autant au déclin du low-cost car les compagnies aériennes ont bien d’autres leviers que les salaires et les conditions de travail pour faire baisser les coûts. “Il serait faux de croire que des prix bas entraînent automatiquement des conditions de travail précaires”, pointe la FAZ.
Une gestion autocratique
De même, la Süddeutsche Zeitung juge sévèrement la compagnie Ryanair et ses méthodes de gestion “autocratiques”. Bas salaires, congés minimum, menaces de délocalisations, définition unilatérale des conditions de travail, paiement de la formation aux frais du personnel, pseudo-statut d’auto-entrepreneur – “Ryanair est allée trop loin. La société a peut-être compris qu’elle ne pouvait plus échapper au dialogue avec les syndicats [qu’elle n’a reconnus qu’en décembre 2017], mais elle continue de brandir la menace de la perte d’emploi envers ses personnels.” Si les managers de Ryanair se disent enfin prêts à “discuter de la structure des rémunérations, ils ne veulent en aucun cas accepter quelle qu’augmentation que ce soit”, déplore le quotidien libéral de Munich.
Une concurrence déloyale
Il faut en finir avec cette “folie du low-cost”, renchérit Der Spiegel, qui se réjouit que “Ryanair [soit] enfin forcée de mieux traiter ses personnels et, s’il le faut, débarque son directeur”. En tout état de cause, cette grève est “une césure profonde non seulement pour l’entreprise, mais pour toute la branche en Europe. […] Des concurrents comme Lufthansa ou Air France ont tellement été pressurés par cette politique de dumping des prix qu’ils ont eux-mêmes dû créer leurs propres sociétés low-cost. Si cela s’arrêtait, ce serait une bonne nouvelle”, estime le magazine de Hambourg.
Un soutien européen
En outre, ajoute le quotidien autrichien Die Presse, ce conflit du travail ne restera peut-être pas circonscrit à Ryanair. Car la grève déclenchée dans la plus grande compagnie européenne low-cost a obtenu le soutien de la Confédération européenne des Syndicats (CES). Une grève dans plusieurs pays européens, c’est aussi “un signal pour d’autres sociétés où les salariés sont mis en concurrence les uns contre les autres”, met en garde Peter Scherrer, l’un des dirigeants de la CES. En ligne de mire : la plateforme de commerce en ligne Amazon, où depuis 2013 se multiplient les tensions sociales dans plusieurs pays européens.
Si le mouvement des pilotes n’obtenait pas rapidement satisfaction, il est clair qu’il continuerait le combat – la grève comme “dernier moyen légitime pour conduire l’employeur à faire des concessions substantielles”, selon la formule de la Fédération allemande des pilotes. En attendant, un certain nombre de vols Ryanair, affrétés dans les pays qui n’ont pas pris part au mouvement, ont été assurés dans le courant de la journée. Et un trafic normal reprendra samedi 11 août dans la matinée.
Danièle Renon
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