1.- La résolution de l’OEA (Organisation des Etats américains) du 2 août 2018 (voir le point 7) est une défaite politique pour Ortega sur la scène internationale. Toutefois, il a décidé de chercher à en finir avec le « front intérieur » par la répression. C’est son objectif principal. Sa tactique immédiate se concentre sur la situation intérieure, bien qu’il engage quelques initiatives au niveau international (entretiens avec différentes chaînes de télévision internationale, dont Fox News [sic], Telesur [Venezuela-Maduro], RT [Russie-Poutine].
Nous devons nous demander quel effet cela peut avoir sur les sentiments des gens qui considèrent que toute défaite politique internationale d’Ortega-Murillo contribue à la lutte politique interne. En ce sens, la résolution de l’OEA est préjudiciable à la stratégie d’Ortega de vaincre la protestation sociale interne.
2.- L’indignation de la population ne tiédit pas. Par conséquent, la détérioration de la situation économique va se poursuivre. L’économie devient – à court, moyen et long terme – le talon d’Achille du gouvernement. En supposant qu’il réussisse à désarmer le mouvement social, l’économie restera son problème interne central. Il ne pourra pas le résoudre sans négociations internes et externes.

Rassemblement de soutien aux médecins licenciés, le 4 août à Managua
3.- Aussi bien les « erreurs » du gouvernement – répression des médecins, attaques contre les évêques accusés d’être des acteurs d’un coup d’Etat, répression généralisée – que les défaites politiques subies au niveau international contribuent à empêcher que le reflux social temporaire devienne permanent. La preuve en est la poursuite des manifestations dans différentes régions du pays : les mobilisations à El Tule [où était censé passer le canal transocéanique, ce qui avait déclenché de fortes mobilisations des paysans], Managua, Masaya, León ; les marches à la mine El Limón [à quelque 100 km au nord-est de la capitale] ; les piquets étudiants à Managua et León, les appels à des protestations à Nueva Segovia [département du même nom], etc.
4.- Pour le gouvernement, le fait qu’il n’y a pas de barrages routiers est un succès. En outre, le binôme [Ortega-Murillo] au pouvoir est conscient – sous un angle opposé, certes, au même titre que nous – que le manque de leadership politique du mouvement social est un avantage puisque de nombreuses activités sont menées sans objectif politique stratégique à moyen terme.
5.- A l’échelle internationale, le gouvernement cherche à concrétiser certaines initiatives. Par exemple, il pense qu’avec Vinicio Cerezo, secrétaire général du SICA (Secrétaire à l’intégration de l’Amérique centrale), il peut obtenir que le Guatemala change son vote par rapport au vote précédent [en faveur de la résolution de l’OEA, puis abstention ; et Ortega a cherché, y compris, de faire de Cerezo un médiateur, sans succès]. La même chose s’est produite avec El Salvador. Nous devons être conscients qu’il existe une alliance entre Cerezo et Ortega, une alliance qui a fonctionné dans les années 80 du XXe siècle avec les Accords d’Esquipulas [du nom de la localité sise au Guatemala] qui ont permis d’éviter un financement américain plus important pour les Contras. Ortega a maintenu cette relation de manière privilégiée avec Cerezo. Ortega mise aussi sur l’influence du Venezuela et de Cuba sur des pays de la Caraïbe. Ortega, pensait que, avec 20 ou 21 votes, « l’alliance internationale » contre le gouvernement ne gagnerait pas suffisamment de votes pour obtenir l’application la Charte démocratique ; en effet, pour cela 26 votes sont nécessaires, sur les 34 pays qui composent l’OEA. Ce qui constituerait, aux yeux d’Ortega, un succès relatif.
6.- Cependant, pour les Etats-Unis, la résolution peut servir de cadre à des mesures unilatérales contre le gouvernement Ortega-Murillo. Il est clair que le gouvernement Ortega-Murillo est devenu problématique en Amérique centrale étant donné des effets directs et indirects : le ralentissement économique de la région pourrait causer plus de chômage, plus de pauvreté et une poussée migratoire accentuée en direction des Etats-Unis.
7.- Le Conseil permanent de l’OEA, le jeudi 2 août, a approuvé la création d’une Commission spéciale de suivi sur le Nicaragua. La motion a été soutenue par 20 pays sur 34 membres. La mission de la Commission consisterait à contribuer à des solutions pacifiques et durables pour le Nicaragua. En même temps, cette Commission spéciale devrait contribuer au processus de dialogue national, qui est actuellement bloqué en raison du manque de volonté de l’exécutif et du rejet du rôle de médiateur des instances de l’Eglise catholique. La session s’est déroulée face à la protestation du Nicaragua et de ses trois alliés (Venezuela, Bolivie et Saint-Vincent-et-les Grenadines).

Humberto Ortega (frère de Daniel Ortega) insiste sur le désarmement des paramilitaires
L’objectif du pouvoir reste d’éviter les sanctions unilatérales, de gagner du temps et, entre-temps, de poursuivre l’objectif de destruction du mouvement social avec plus de répression, plus de persécutions et plus de prisonniers.
8.- Les rapports finaux sur les droits de l’homme des Nations Unies, la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), les enquêtes du Groupe interdisciplinaire d’experts indépendants (GIIE) n’ont pas encore été produits. Ils devraient indiquer les responsabilités spécifiques pour les décès des 448 personnes, les milliers de blessés, les centaines de disparus et le nombre de prisonniers politiques sans procès transparents qui ont été condamnés lors de procès secrets et express.
Nous ne devons pas perdre de vue un élément : nous sommes dans une phase qui – pour établir une analogie, avec les limites des analogies historiques – ressemble à celle de la terreur développée par l’AAA en Argentine avant le coup d’Etat de 1976. Cela reste au centre de la stratégie du gouvernement.
9.- Pour le gouvernement Ortega-Murillo, il est très difficile de mener à bien un combat sur autant de fronts ouverts sur la scène internationale. Or, le Nicaragua n’a pas encore approuvé un programme de financement pour les cinq prochaines années (2018-2022) avec la Banque interaméricaine de développement (BID). Les gouvernements membres de l’OEA sont actionnaires de cette organisation multilatérale, ainsi que de la Banque mondiale (BM). L’OEA analyse la possibilité de bloquer l’accès du Nicaragua au financement par l’intermédiaire de la BID et de la Banque mondiale.
Jusqu’en mai 2018, la BID était le plus grand créancier du Nicaragua, endetté envers elle à hauteur de 1976,1 millions de dollars, soit 51 % du total des prêts des organisations multilatérales. Viennent ensuite la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE) avec 764,9 millions de dollars et la Banque mondiale (BM) avec 613,7 millions de dollars. Ce front s’ajoute aux autres. C’est dans ce contexte d’ensemble qu’il faut examiner la résolution de l’OEA.
Analyse du correspondant au Nicaragua, Managua, 2-3 août 2018
• Traduction et édition (incises) de à l’A l’Encontre publiée le 5 août 2018 :
http://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/nicaragua-le-gouvernement-face-aux-divers-fronts-ouverts.html
Pour la libération des prisonniers politiques et contre la répression des employé·e·s du secteur de la santé

Personnel médical de l’hôpital Heodra, manifestant, le 31 juillet 2018, suite à la réception de leur lettre de licenciement
Communiqué de presse. « Campagne le Nicaragua exige justice et liberté »
Nous informons le peuple du Nicaragua ainsi que la communauté internationale que mercredi 1er août nous manifesterons pour exiger la libération de tous les prisonniers politiques et dénoncer les abus systématiques commis par la dictature de Daniel Ortega contre les médecins ainsi que le personnel qui travaille dans la santé publique. Le slogan sous lequel nous manifesterons est le suivant : Justice et Liberté !
Cette campagne est portée par une série d’organisations engagée dans l’insurrection civique que développe la population depuis le 18 avril, entre autres par la Coordinadora Universitaria por la Democracia y la Justicia, l’Alianza Universitaria Nicaragüense y Movimiento Estudiantil 19 de abril, Patria Libre y vivr, Alianza Cívica por la Justicia y la Democracia, Grito por Nicaragua, Nicaragua Ùnete ainsi que l’Articulación de Movimientos Sociales y Organizaciones de la Sociedad Civil.
Ces actions visent à revendiquer la libération d’au moins 120 personnes, emprisonnées illégalement par la dictature et accusées de crimes pour avoir participé ou soutenu les protestations sociales, bien avant que l’arbitraire « Loi contre le terrorisme » – dont l’objectif est de criminaliser les protestations sociales – ait été imposée.
De même, ils ont été soumis à des processus judiciaires sans disposer du droit à une défense, devant des tribunaux dont la tâche est de les accuser et de prononcer des peines injustes contre les protestataires pacifiques, lesquels ont, dans certains cas, été frappés, torturés et empêchés de compter sur l’assistance d’un avocat désigné par leurs familles.
Ces actions seront diffusées sur les réseaux sociaux de toutes les organisations, avec une information permanente : vidéos, témoignages, dénonciations et revendications des membres des familles. En outre, les actions seront en outre accompagnées par des manifestations de mobilisation citoyenne dans l’ensemble du pays.
• Le 3 août, nous soutiendrons le piquet des « mujeres en luto » [femmes en deuil]
• Samedi 4 août, nous soutiendrons et invitons à participer à la Marcha por la salud, « Unidos por la Vida » [Marche en faveur de la santé, unis pour la vie], à la tête de laquelle se placera le personnel médical de León.
• Dimanche 5 août, nous invitons à participer au marathon ¡Corremos por la justicia, pedaleamos por la libertad ! [Courrons pour la justice, pédalons pour la justice !], sur un circuit de 5 kilomètres. Ce marathon sera emmené par le « Corredor por la Justicia » et accompagné d’autres coureurs et cyclistes de Managua.
Le but de ces actions est de rejeter et condamner la répression déclenchée par la dictature orteguiste contre le corps médical et le personnel de soins qui, jusqu’à aujourd’hui, s’est soldée par plus de 80 licenciements à l’Hospital Escuela Óscar Danilo Rosales Arüello (HEODRA), de la ville de León, et à l’hôpital régional Santiago, à Jinotepe. [département de Carazo] A ces licenciements s’est ajouté le renvoi d’une chirurgienne pédiatre de la clinique de médecine préventive La Asunción : Darling Pérez. La majorité des médecins licenciés arbitrairement sont hautement spécialisés : en chirurgie oncologique, en endoscopie biliaire, en infectiologie pédiatrique. Ces licenciements constituent donc une atteinte directe à la santé publique de la population. Certains médecins ont été avertis de nouveaux licenciements à l’UNAN de Managua, à León et à l’hôpital Bertha Calderón [Managua].
Nous rejoignons la Sociedad Nicaragüense de Gastroenterología y Endoscopia Digestiva (SONIGED), qui a condamné la répression lancée par le Ministère de la santé, la tentative de criminalisation de l’exercice de la profession médicale ainsi que l’ordre de ne pas prendre soin des victimes de l’actuelle violence. Sauver des vies n’est pas un délit, c’est une mission.
Nous soutenons également les actions lancées par le Comité de liberación de presos políticos, dont sont membres des familles de victimes, et nous encourageons toute la population à toujours rejoindre les diverses manifestations visant à la recherche de la liberté pour notre pays.
Par conséquent, nous réaffirmons notre engagement en faveur de la Justice et de la Liberté au Nicaragua et continuerons à lancer des actions sur tout le territoire national en tant que démonstration de la résistance pacifique contre la répression.
#NicaraguaExige #SOSNicaragua #GritoPorNicaragua
PS. Le gouvernement dictatorial Ortega-Murillo incrimine pour terrorisme (avec des peines de 15 à 20 ans prévues par la nouvelle loi) des membres du Movimiento Renovador Sandinista (MRS) : Dora María Téllez [ex-commandante de la révolution qui doit actuellement se « protéger« ], Ana Margarita Vijil, Suyén Barahona, Víctor Hugo Tinoco y Loyda Valle. De même sont explicitement accusés des membres du mouvement étudiant (Movimiento 19 de Abril) : Jorge Solís, Víctor Cuadra, Lesther Alemán, Kevin Rodrigo Espinoza. Les affirmations selon lesquelles ils seraient financés par le gouvernement des Etats-Unis servent de prétexte. L’objectif, comme souligné dans divers articles : criminaliser, arrêter et réprimer des animateurs ou porte-parole de la rébellion civique. Parmi les « crimes » est mentionnée une « aide aux manifestants » pouvant inclure : distribuer de la nourriture, de l’eau, une refuge, etc. La dite loi contre le terrorisme permet une répression sans rivages. Rédaction de A l’Encontre, sur la base de données fournies par El Confiencial.
• Publié par Alencontre le 3 août2018 :
http://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/pour-la-liberation-des-prisonniers-politiques-et-contre-la-repression-des-employe·e·s-du-secteur-de-la-sante.html
Médecins spécialistes et personnel hospitalier licenciés pour critiquer la répression
La doctoresse Rosario Pereira a été expulsée de l’hôpital faisant office de formation Óscar Daniel Rosales Argüello (Hospital Escuela Oscar Danilo Rosales Argüello – HEODRA), dans le département de León, immédiatement après que la directrice de ce centre hospitalier, Judith Lejarza Vargas, lui a remis sa lettre de licenciement. Trois agents de sécurité ont obligé la doctoresse à quitter le bâtiment sans même lui permettre de récupérer ses livres de gynéco-pathologie, qui contenaient un registre des cancers de l’ouest du pays.
« L’un des agents m’a dit qu’ils avaient reçu l’ordre de m’emmener à l’extérieur. J’ai affirmé que les hôpitaux sont publics, payés par nos impôts, et que je ne suis pas une délinquante. Je suis honnête et ma morale me permet de garder la tête haute », a déclaré la doctoresse Pereira, l’une des dix doctoresses licenciées en représailles politiques, le 27 juillet à León. Treize autres membres du corps médical de l’HEODRA ont également été victimes des représailles.
Rosario Pereira et ses neuf camarades sont des médecins spécialistes formés dans des universités internationales prestigieuses, comme celles de Caroline du Nord, de Vanderbilt, de Saragosse ou encore l’Université du Texas. Les profils de ces spécialistes sont uniques dans l’ouest du pays. Rien de leurs amples curriculum vitæ (CV) n’a été pris en compte au moment de leur licenciement. L’argument de la directrice de l’HEODRA, la doctoresse Lejarza Vargas, n’a pas été très différent dans tous ces cas : « pour des motifs politiques » ainsi que « pour avoir soutenu les protestations contre le gouvernement ».
Les médecins licenciés ne travaillent pas seulement auprès de l’HEODRA, certains enseignent à la faculté de médecine de l’Université autonome du Nicaragua (UNAN-León) et mènent des recherches scientifiques pour leur propre compte au Nicaragua, cela en association avec d’autres centres et universités étrangers.
La doctoresse Pereira a reçu une bourse pour étudier la gynéco-pathologie au MD Anderson Cancer Center [Université du Texas]. Elle faisait partie de l’« Equipe de travail du registre des cancers auprès de l’HEODRA », un projet soutenu par l’Université de Vanderbilt.
Les titres de ces médecins ne sont pas communs dans la profession médicale et, dans de nombreux cas, les afficher garantit une marque de prestige. Gustavo Herdocia Baus, par exemple, est chirurgien général avec une sous-spécialité en chirurgie plastique et reconstructive. Ce médecin est connu pour son habileté en microchirurgie pour soigner les mains détruites. C’est le seul à avoir un tel profil dans l’ouest du pays.
Herdocia Baus enseigne également. Il est aussi responsable des accords internationaux, accords qu’il a lui-même contribué à conclure pour les étudiants en médecine de l’UNAN-León, grâce à sa formation à l’étranger.
« Nous avons un accord avec l’Université du Wisconsin, où nous formons des chirurgiens généralistes pour une période de trois ans afin qu’ils deviennent spécialistes en chirurgie plastique et reconstructive. L’idée de ce programme est d’envoyer les résidents diplômés vers les endroits de ce pays qui en ont besoin. Nous avons un diplômé à Bluefields [capitale de la région autonome de la Côte caraïbe sud] et un autre à Matagalpa. L’accord a aussi été conclu avec l’Université de Frankfurt et de Bâle, en Suisse », a expliqué Herdocia Baus. Il a été renvoyé pour être l’un des médecins à avoir souscrit au communiqué affirmant leur disposition à prendre soin de tous les blessés du conflit, sans aucune exception.
La doctoresse Gladys Amanda Jarquín Montalván ne s’exprime guère, elle est un peu timide, mais son dossier professionnel est éblouissant. Elle est non seulement doctoresse et responsable de la clinique de soins des personnes atteintes du VIH-Sida de l’HEODRA, mais elle est aussi professeure adjointe à l’Université de Caroline du Nord. Elle possède deux masters liés à l’étude et au traitement du VIH-Sida. C’est la seule pédiatre spécialiste en infectiologie dans l’ouest du pays.
« La directrice m’a dit qu’on n’avait plus besoin de mes services. Je lui ai demandé pourquoi. Lejarza m’a répondu avoir reçu des plaintes d’infirmières selon lesquelles je les maltraitais. Je lui ai dit que si remplir les conditions de qualité des soins était un motif de plainte, je le regrettais beaucoup car cela fait partie de ma responsabilité envers les patients », a déclaré Jarquín Montalván.
La pédiatre infectiologue n’écarte pas la possibilité que le motif de son licenciement soit politique. « J’ai soutenu le premier communiqué qui se solidarisait avec les victimes, et nous avons souligné que nous nous occuperons des patients en vertu du principe avancé par Hippocrate : soigner toute personne, d’où qu’elle vienne », a ajouté Jarquín Montalván.
Les lettres de licenciement remises par la directrice Judith Lejarza Vargas sont succinctes, elles ne citent pas d’article du Code pénal. « A compter de cette date, nous n’avons plus besoin de vos services auprès de ce centre hospitalier », indiquent les lettres. Elles ont été remises aux dix médecins spécialistes et généralistes. Les représailles frappent 12 infirmiers et infirmières et 13 travailleurs de l’HEODRA.
Un plus grand nombre de spécialistes à l’étranger
La doctoresse Jarquín Montalván est préoccupée par ce qui adviendra des tâches dont elle était responsable. « Je gérais plusieurs programmes de traitement de maladies infectieuses et d’échange avec les universités de Vanderbilt et de Caroline du Nord afin de pouvoir assurer la mobilité des étudiants et aider la population », indique-t-elle.
Parmi les médecins renvoyés, le docteur Javier Pastora Membreño, chirurgien gastro-entérologue et responsable de la chirurgie à l’HEODRA. Les médecins à la retraite de León décrivent Pastora Membreño comme étant une éminence dans sa spécialité.
Pastora a obtenu, grâce au soutien des Universités du Wisconsin, de Saragosse et de Barcelone, l’installation d’un service d’endoscopie avancée (CPRE) à l’HEODRA afin d’établir le diagnostic et le traitement nécessaire pour les pathologies hépatiques biliaires et pancréatiques. « C’est le seul centre national de référence pour traiter ces maladies complexes et fréquentes. Plus de 2000 patients de tout le Nicaragua ont reçu des soins et bénéficié de cette procédure très spécialisée et coûteuse », ont précisé les médecins.
« Les services de soins spécialisés et sous-spécialisés pour le département de León et de l’ouest du pays resteront vides et, finalement, ce sont les patients qui perdent beaucoup. L’ouest du pays se retrouve sans spécialistes », se lamente Pastora.
La directrice Lejarza s’est montrée plus explicite avec Pastora lors de son licenciement. Elle lui a déclaré qu’il n’y avait « aucun problème » quant à ses activités professionnelles. « Elle m’a dit qu’elle me renvoyait pour des motifs politiques. Pour avoir exprimé mon soutien au peuple du Nicaragua qui protestait contre le gouvernement. Je lui ai dit que cela n’était pas un délit », rapporte Pastora.
Judith Lejarza Vargas, la directrice, n’a pas répondu aux appels téléphoniques de Confidencial qui cherchait à connaître sa version des faits.
Des policiers armés dans les salles d’opération
Yamileth Ruíz Carcache, anesthésiste et médecin cheffe de salle d’opération de l’HEODRA, a été licenciée pour avoir remis en cause la présence de policiers dans les salles d’opération alors que des personnes blessées à la suite d’interventions répressives y étaient opérées.
« La directrice m’a dit que le motif de mon renvoi provenait de mon manque de respect de la police. Je ne leur ai jamais manqué de respect, je leur ai seulement dit qu’ils ne pouvaient pas rester à cet endroit », affirme Ruíz Carcache, qui a suivi une formation en analgésie péridurale à Valence, en Espagne. « Il y avait toujours des policiers à l’entrée des salles d’opération. Je ne sais pour quelle raison. Les policiers me disaient que les blessés étaient des détenus, je suppose pour le simple motif d’avoir défilé lors des marches [contre le gouvernement]. Les agents affirmaient que la directrice avait exigé leur présence. »
La direction de l’HEODRA était particulièrement préoccupée des balles que les chirurgiens extraient des victimes. Selon les médecins, ils devaient immédiatement les remettre à la directrice. Les docteurs exprimaient également leur désaccord quant aux critères d’hospitalisation qui n’étaient pas remplis. Certains patients devaient être hospitalisés, mais ils étaient renvoyés à leur domicile.
Bien que les docteurs affirment que la direction ne leur a jamais interdit explicitement de prendre soin des blessés, ils signalent certaines « situations » qui décourageaient des personnes de venir aux urgences. Par exemple, l’HEDORA était encerclée par des paramilitaires et le bâtiment était lui-même militarisé. Travailler dans ce climat, sous cette « persécution », était pour eux très difficile.
Parmi les licenciés, il y a des spécialistes en chirurgie oncologique comme le docteur Aron Delgado ; Edgar Zúñiga, pédiatre dans le service d’urgence ; César Vargas, orthopédiste avec une sous-spécialisation dans le traitement de la colonne vertébrale, et Jorge Alemán Zapata, pédiatre pneumologue, parmi d’autres. La majorité de ces médecins ont exercé en moyenne 20 ans à l’HEODRA.
Ana María Hernández, infirmière pour les consultations externes, dont la protestation publique contre son licenciement a été largement reprise sur les réseaux sociaux, a aussi été renvoyée. L’infirmière a accusé la direction de l’HEODRA de vouloir leur « mettre une muselière ».

« La goutte qui a fait déborder le vase, c’est lorsque j’ai annoncé aux patients du docteur Vargas qu’il avait été licencié parce qu’il n’était pas d’accord avec ce que faisait le gouvernement Ortega-Murillo. Dès cet instant, tous les crapauds des alentours sont allés le répéter à la doctoresse Lejarza et, 20 minutes plus tard, toute la « tourbe » [les affidés du régime] de l’hôpital m’est tombée dessus. Ils m’ont acculée et m’ont dit que je ne pouvais plus continuer à travailler car je maltraitais les patients », rapporte Hernández.
Hernández a rejoint samedi [28 juillet] une marche de soutien aux médecins de León, qui s’est arrêtée devant le bâtiment de l’HEODRA. « Ils veulent que nous restions avec une muselière sur la bouche et que nous ne disions rien des massacres qu’ils commettent… Il n’y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir. Nous avons vu les garçons massacrés à Sutiaba [quarier indigène]. La police tirait sur les brancards comme si c’était des sacs poubelle », affirme l’infirmière.
Nettoyage à Jinotepe
On a également appris qu’une quarantaine de membres du personnel médical de Jinotepe, dans le département de Carazo, ont été licenciés en représailles. Aliseth Barrera Reyes, secrétaire de réception de l’hôpital régional Santiago, a condamné le sous-directeur Álvaro Urróz pour avoir licencié des médecins sans motif.
« A 8 heures du matin, samedi, le sous-direction m’a fait appeler. Il m’a dit que c’était urgent. Il m’a dit : signe. Je lui ai demandé ce que j’allais signer. C’était mon licenciement. Il m’a répondu que je savais pourquoi on me mettait à la porte », rapporte Barrera Reyes. Le sous-directeur Urróz l’a accusée d’avoir occupé l’hôpital Santiago de Jinotepe avec des jeunes. L’épisode auquel il fait référence s’est déroulé début juin, lorsque des groupes [turbas] favorables au gouvernement ont pris le centre hospitalier, mais les rebelles l’ont rapidement récupéré.
Barrera Reyes travaillait depuis 28 ans à l’hôpital de Jinotepe. La secrétaire de de réception clinique assure qu’une quarantaine de personnes ont été licenciées. L’information n’a pas été confirmée, ce d’autant plus que le sous-directeur poursuit son œuvre de licenciements. Parmi les personnes licenciées, le docteur Julio Sánchez, chirurgien qui a opéré plusieurs jeunes blessés par la répression paramilitaire. « Ils ont licencié des gens de tous les secteurs : brancardiers, surveillants, spécialistes, docteurs », énumère Barrera Reyes.
Wilfredo Miranda Aburto
• Article publié le 29 juillet 2018 sur le site du journal nicaraguayen Confidencial ; Traduction A L’Encontre publiée le 1 août 2018 :
http://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/nicaragua-medecins-specialistes-et-personnel-hospitalier-licencies-pour-critiquer-la-repression.html
« Nous dénonçons les menaces d’agression dont nous faisons l’objet et les tentatives de criminalisation de notre protestation politique »

Monica Baltodano et Julio López Campos
Comme on le sait et comme l’a dénoncé publiquement le secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), M. Paulo Abrão : « Nous nous trouvons actuellement à une troisième étape de la répression dans le pays. On a assisté à un processus de transformation vers une répression plus crue, plus explicite, un processus de répression bureaucratique qui utilise l’institutionnalité elle-même et le système de justice pour détenir des personnes, afin de promouvoir contre elles actions et procès judiciaires. » On sait également que la « Loi antiterroriste » est devenue un ténébreux et arbitraire instrument de répression dans les mains du régime Ortega-Murillo.
Depuis plusieurs semaines, une campagne malveillante est en train de s’orchestrer contre nous. De faux profils sont créés sur les réseaux sociaux par des opérateurs du régime. Ils sont alors reproduits par des personnes partageant les mêmes idées et par des journalistes serviles, cela avec l’intention de stimuler des agressions directes à notre encontre et de mettre de l’huile sur le feu de la criminalisation des légitimes et légales actions de protestation menées contre le gouvernement dictatorial des Ortega-Murillo.
A l’occasion de la répression brutale et criminelle menée contre les habitants de Monimbó (quartier de la ville de Masaya), ils ont appelé à incendier notre maison, parce qu’ils supposaient que nous y cachions des jeunes fuyant la répression.
Au cours de ces derniers jours, ladite campagne s’est amplifiée, quand on a posté sur l’un de nos faux profils une vidéo d’une personne capturée, où il était affirmé que c’était une femme « venant de la petite localité de la Tranquera qui avait été détenue sur la Lagune de Apoyo (municipalité de Diriá) dans la ferme de Mónica Baltodano et qu’elle était en possession d’armes totalement nouvelles ». Un journaliste pro-régime a alors reproduit l’information en y ajoutant des mensonges supplémentaires, avec la volonté de nous criminaliser et de provoquer des agressions contre nous. La vidéo elle-même montre clairement l’absurdité et la fausseté de ces affirmations, pourtant c’est tout juste si les commentaires des « orteguistes » n’appelaient pas à nous couper la tête.
Déjà auparavant, depuis un autre faux profil sur les réseaux sociaux, on avait affirmé que nous cachions dans notre maison l’étudiant Lester Aleman, membre de la Mesa [table] del Diálogo y de la Coalición Universitaria. Ce n’était en l’occurrence pas vrai, mais nous comprenons bien qu’à travers ces affirmations ils cherchent à criminaliser tous ceux qui assument l’obligation morale et humanitaire de donner refuge et protection aux jeunes persécutés par la répression brutale et illégale menée par le régime, et qu’ils cherchent en particulier à mobiliser leurs forces répressives pour agir contre nous et nous agresser.
Ce n’est un secret pour personne que nous sommes publiquement et ouvertement aux côtés du peuple qui réclame justice pour les Crimes de Lèse-Humanité commis par l’Etat depuis le 18 avril 2018, et que nous demandons la destitution de Daniel Ortega et de Rosario Murillo.
Nous dénonçons au niveau national et international cette ténébreuse campagne en tant que citoyens libres qui défendons nos positions, actions et analyses politiques dans le cadre de la lutte pacifique et non violente menée par le peuple du Nicaragua.
Nous faisons et continuerons à faire usage des droits que nous garantit la Constitution politique du Nicaragua, et nous le ferons surtout au nom de nos principes sandinistes et humanistes.
Nous vivons à une adresse connue et nous continuerons à être avec et aux côtés du peuple dans sa juste et légitime lutte. Nous ne reculerons pas, même d’un pas !
Monica Baltodano et Julio López Campos, Managua, 30 juillet 2018
• Traduction A l’Encontre publiée le 1er août 2018 :
http://alencontre.org/ameriques/amelat/nicaragua/nicaragua-nous-denoncons-les-menaces-dagression-dont-nous-faisons-lobjet-et-les-tentatives-de-criminalisation-de-notre-protestation-politique.html